De la Justice dans la Revolution et dans l’Eglise - P. J. Proudhon - Vol. 5 - 1870

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J DELAJUSTlCE DANLSARÉVOLUTION • ETDANSL'ÉGLISE NO,.I'ES ET ÉCLAIRCISSEMEN'I'S Biblioteca Gino Bianco

En vcn I e chcz .les n1èn1es editeurs ' CEUVRES ANCIENNES COMPLETES DE P. J. PROUDHON 26 volumesgrand in· 18 jésus, à 3 fr. 50 c. le volume l". Qn'est-ce que la propriété? (tra et 2e Mémoires). LettrP; à Blanqui. ne. 1° Avertissement aux propriétaires; 2° Plaidoyer de l'auteur devant la cour d'assises de Besan~on; 3e Célébration du dimancbe; q, 0 De la concurrence entre tes chemins de fer et les voies navigables; 5° Le Jl,Jiserere. nle. Création de l'ordre dans l'humaoité. IV"et v•. Système des contradictions économiques. Philosophie de la misère. v.1°. Solution du problème socia], Organisation du crédit et de la circulation, Banque d'écha;oge,Banque du peuple. vue. La Ré,1 olution sociale. - L_eDroit an travail et le DroiL de propri?.té. L'impòt sur le revenu. VIII'\ Du Principe fédératif. - Si les traités de 1815ont cessé d'exister. 1x 0 • Co~fessionsd'un révoluiionnaire. X". Idée général/3de la Révolulion au dix-neuvième siècle. x1°. Manuel du spéculateur à la Bourse. XII•. Des Réformes à opérer dans l'exploitation des chemins de fer. Xlll 0 et XVI•. La Guerre et la Paix. XV•. Théorie de l'impòt. XVI•. t O Majorats littéraires; 2° Fédération et unité en Italie; 3° Nonvelles Observations sur l'unité italienne; 4n Les démocrates assermentés. XVIl8,XVllI•, XIX0 • Brochures, articles de journaux, lettres, etc., depuis février 1848 jusqu'à 1852 (réunis pnur la première fois). - Articles du Représentant du Peuple, du Peuple, de la Voix du Peuple., dn Peilple de 1850. xx•. Philosophie du Progrès. - La Justice poursuivie par l'Église. XXI•,XXI1°,XXIII•,XXIV0 , XXV0 , XXVI•. De la Justice dans la Révolution et dans l'Église. Notes et éclaircissements. CEUVRES POSTHUMES DE P. J. PROUDHON THÉORIE DE LAPnOPRIÉTÉsu, ivie d'un plan d'exposition universelle.1 voi. grand in-18 jésus . • • . . . . . . . . . . • • . • • . . . . • • 3 50 DELACAPACITPÉ0LITIQUDEESCLASSEOSUVRIÈRES. 1 voi. grand inJ18jésus . • • 3 50 FRANCET RBrn·. t vol. grand in-18 jesus . . . • . . . . . . . . • • . 2 50 · L B , i Les Evangiles. 1 fort vol. grand in-18 jésus. . . . . . 4 » A IBLEANNOTEE L A ~t 1 f t I d . 18 .. es po res. or vo . gran 1n- Jesus • . . . • . 5 , Bruxelles.- Typ. A: LAcno1x, VERBOECKHOVEN et c1e, boulevard de Waterloo, 42. Biblioteca Gino Bianco

CEUVRECSOMPLÈTEDSEP. J. PROUDHON TOME XXV ESSAIS D'UNE PHILOSOfHIEPOPULAIRE DEI~AJUSTICE DANISjARÉVOLUTIO ETDANSL'ÉGLISE PAR P. J. PROUDHON NOTES ET ÉCLA.IRCISSEMENTS ..... T01v1E CINQUIEME BRUXELLES A. LACROIX,VERBOECKHOVEN ET Cie, ÉDITEURS. ·Boulevard de Waterloo, 42 MtME MAISON A PARIS, A LIVOURNE ET A LEIPZIG 1870 Tous droits de traduction et de reproduction réservés Biblioteca Gino Bianco

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I AVANT PROPOS En publiant une nouvelle édition du liv~e JJe la Justice, nous avons surtout pour but d'inaugurer, dans la mesure de nos forces et partout où notre voix pourra se faire entendre, l'enseignement moral et philosophique destiné, selon nous, à remplacer, ou tout au mojns à suppléer l'enseigne1nent religieux. Lorsque nous avons vu le gouvernement de l'empc- , . reur Napoléon _III, pendant huit ans si ·dévot, entreprendre tout à coup, par un jeu cle bascule qui ne fait illusion à personne, de dornpter à la fois la Révolution , et l'Eglise, l'ancienne société et la nouvelle~ donner le signal ·de _l'assaut contre le catholicisme après avoir sacrifié la liberté, et-faire litière de tous les principes, nous avons pensé que nous ne pouvions différer plus longtemps, et, tandis que le pape et les éveques protes-- tent de leur còté, que l'heure était venue pour nous de reprendre la· parole. T. I. t BibliotecaGino Bianco

6 . AVANT-PROPOS Personne ne nous accusera pour cela, nous l'espérons, de nous coaliser avec l'Église contre l'Empire. Il suffit de nous lire pour voir, hélas ! que tout pacte entre l'Église et nous est impossible. Lorsque les bommes qui veulent le n1aintien de la liberté et du droit, le respect des principes, la fidélité aux engagements, quelles que soient du reste leurs aspirations sociales, leurs croyances po1itiques ou religieuses, viennent à se rencontrer tous, vis-à-vis d'un gouvernement, non pas meme dans une affirmation, mais dans une réprobation commune, ce gouvernement peut-il etre admis à accuser ses adversaires de coalition? Cette rencontre existe aujourd'hui; elle est forcée. Le gouvernement impérial, en me1ne temps qu'il supprime la liberté, qu'il méconnait les droits de sa nation, et trompe l'espoir de tous les partis, manque ~ tous les principes. lei les questions de dynastie, de république, d'Église, deviennent seco.ndaires : la question est purement, exclusivement morale. De mem.edonc qu'en 1848 et 1851 l'_ons'était groupé . . contre un péril social, vrai ou chimérique, on se retrouve fatalement uni, en 1860, contre un nouveau péril social~ bien autrement grave, bien autrement manifeste. Et cette union est légitime, légale_,autant que spontanée; ellé n'a rien d,insurrectionnel, rien de personnel. Elle tend unique1nent, àbstraction fai te des perso.nnes et des titres, à fai~e cesser l'anomalie, en pleine révolution Biblioteca Gino Bianco

AVANT-PROPOS 7 ,. démocratique, d'un pouvoir absolutiste, et à replacer la société sous sa propre loi. Que chacun ici prenne eluse.il de sa conscience : quant à nous, dont toute la force est dans la parole, et qui avons contracté l'habitude de conspirer tout haut, voici la marche que nous nous proposons de suivre. Nous publierons une suite d'Études sur toutes les questions qui peuvent intéresser le citoyen et l'homme. , . Les .douze Etudes dont se composait la première édition du livre De la Justice, revues, corrigées, augmentées, formeront les douze premiers numéros de cette série 1. Les augnientations, se composent : 1 ° de Notes et / .Eclaircissements, citations d'auteurs, réponses aux objections,_ etc., servant à marquer ~~ mouvement des esprits ; 2° de Nouvelles de la Ré1)olution, résumé des •faits politiques, économiques et ijociaux, servant à constater le mouvement de l'histoire .. De cette manière notre publication sera théorique et pratique, toujours au niveau des circonstances, et cependant toujours affranchie des circonstances. Du i"este, nous rappelons ce que nous avons déjà dit 1 Ces douze premières Études ont ét é réunies en qua tre volumes in-i8. - Les Notes et .Éclaircissements et l~s J\'ouvellesde la Révolution,. qui étaient mis en appendice à la fin ùe chaque Et ude, sont publiés ~épar.ément et font l'objet de cns deux volumes. Nous indiquons au commencement de chaque Note, le volume et la page du Il vre Dd la, Justice, auxqnels eile se rapporte. (NOTE DES ÉDITEURS.) Biblioteca Gino- Bianco

8 AVANT-PROPOS dans notre programme : Nous ne fondons point une Église; nous ne fqrmons pas, à proprement parler, uri parti. Nous n'apportens pas au monde une doctrine I faite, à la manière des révélateurs, des philosopbes de l'absolu et de quelques réformateurs contemporains. Nous ne sommes les représentants d'aucune opinion, d'aucun intéret de corporation ou de classe. Notre principe est vieux co1nme le monde , vulgaire comme le peuple: c'est la Justice. Nous croyons seulement qu'on est loin d'avoir aperçu tout ce que contient cette notion inépuisable de la Justice, et nous entreprenons d'en donner, sur nouveaux frais, un con1mentaire que d'autres continueront après nous et qui n'aura j amais de fin. La Justice· est pour nous l'a.xe de la société, la raison première et clernière de l'univer8. Ainsi, dominant tout des hauteurs du droit, notre philosophie est purement critique : elle ne devient dogmatique qu'à l'égard · des cboses que la conscience, assistée ·des lumières de la science, déclare etre justes; elle ne prononce d'exclusion qu'à l'égard de celles démontrées injustes. De pareilles affirmations et exclusions, soumises d'ailleurs au contrqle incessant de l'opinion, n'ont rien du tout de personnel, etnepeuvent donnercarrièreàaucunego:isme. _.Elles paraitraient men1e excessives dans leur ·aésintéressement, si nous n'étions décidés à poursuivre, cou.te que cou.te, l'iniquité, dans les faits qui la réalisent aussi bien que dans les théories qui l'expri_ment. Biblioteca Gino Bianco

NOTES I ET ÉCLAIIlCISSEMENTS ·nr,,; -=- CRITIQUE RELIGIEUSE 1 La critique des idées religieuses tend décidément à prendre un nouveau caractère. Autrefois , il n'y a de cela guère plus d'un siècle, on attaquait la religion par le ridicule, l'impiété et le libertinage. On se moquait de ses miracles et de ses mystères ; on relevait les erreurs commises par ses écrivains, en pbysique, astronomie, chronologie, histoire naturelle .. C'est le temps de Rabelais et de Voltaire. Puis on a compris que la religion était une manif estati on de l'esprit humain; on s'est attaché à en déchiffrer la symbolique, à faire servir ses légendes de témoignage à la raisori elle-meme, au droit et à la liberté. Cette critique commence en France à Dupuis, Origine des cultes; la philosopbie allemande s'en est ensuite e~parée : le travail est loin d'etre fini. Le résultat de· 1 De la Justice dans la Révolution et dans l' Église, t. I, pag. 99. t. BibliotecaGino Bianco

10 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS cette critique a été de réconcilier, jusqu'à certain point, l'esprit humain avec son ouvrage; les objections de l'ancienne critique ont été traitées de vétilles ; la religion a été jugée essentielle à l'humanité. De là, une disposition piétiste qui , sans amener une complète restauration de la foi, a rendu, pendant un temps, l'opinion des masses et des gouvernements sortis de la Révolution plus favorable aux croyances religieuses. · Actuellement la critique fait un pas de plus. La question qui l'occupe est celle de l'utilité et de l'efficacité pratique de la religion, de la légitimité de son intervention dans la morale, de la perpétuité de son action dans l'humanité. Forts des conclusions. de la Symbolique, nous soutenons que la Religion n'a de valeur aux yeux de la raison, que camme expression poétique de la société, allégorie de la justice, conception mythique de l'univers et de la destinée; et nous affirmons en con - séquence que, du jour où la philosophie se distingue de la théologie, la science de la croyance, la morale de la piété, la Religion est hors de role; elle devient pour rhomme et la société un élément nuisible, im1noral. Parmi les ouvrages appartenant à cette troisième critique et qui ont paru depuis la publication du livre JJela Justice, nous citerons : la JJémocratie, par lVI.Vr.- cherot, ouvrage déféré à la police correctionnelle par le gouvernement i111périal; la Métapkysiqueet la Science, du mème; r.Église et la Mo1~ale, · par Dom Jacobus, Bruxelles, 2 vol. in-18, ouvrage remarquable par une érudition forte et un profond senti1nent moral. ~ention- . nons encore un opuscule de M. Ferd. Eenens, le Paradi'.s terrest1·e, bien quo· l'auteur se soit laissé entrainer à-des critiques qui sont plus du xv111e que du xrxe siècle. Biblioteca Gino Bianco

. NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 11 Quant aux ouvrages de MM. Larroque, Examen crit_iquedes doctrines de la 1·eligio;ich1~étienne, et Henri Disdier, Conciliation rationnelll du .Droit et du J)evoir, ils appartiennent, par leur déisme autant que par leur. critique, à la première époque. Chose à-remarqu~r : les détracteurs les plus acres du christianisme sont, ou des libertins que" la morale encore plus que la foi indispose, ou des religionnaires qui, sous des noms divers, aspirent à refaire l'reuvre de l'Église, l'reuvre de la Divinité ! POLI CE ÉPISCOP ALE 1 Nous n'avions pas seulement vu et lu la lettre, nous . en possédions une copie, certifiée conforme par M. de Mirecourt lui-meme. Sans cette précaution nous nous serions vu traduire en police correctionnelle pour fait de calomnie, ce qui n'aurait pas été la moindre joie du parti catholico-impérial. Lorsque nous comparumes devant le juge d'instruction pour· répondre sur les inculpations dirigées contre nous, l'honorable magistrat, après avoir épuisé toutes les questions relatives à l'ouvrage, continua, avec une indifférenc~ parfaitement jouée : • " Vous avez adressé votre livre à Mg~~Matt~ieu; . vous parlez d'une lettre qu'il aui;-ait adressée à M. de Mirecourt : etes-vous sur. de ce que vous avancez là? - Est-ce que par hasard, rnonsieur le J uge, luirépon~ dimes-nous, si nous n'étions pas sur du fait, vous nou~ f eriez un procès en diffamation? 1 Dc la Juslice dans la Révolulion-.ct dans l' Églisc, t. I, P.ag f GG. Biblioteca Gino Bianco

12 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS - Oh! s'écria-t-il, il ne s'agit pas de cela.· Mais, comme magistrat, je dois vous interroger sur tout ce qui peut aggraver ou excuser les délits qu'on vous reproche, et servir à la manifestation de la vérité. - Eh! bien, voici la copie certifiée conforme que nous avons obtenue de cet écervelé de Mirecourt. Maintenant vous etes prévenu, ~onsieur le Juge, que s'il vous plait de qualifier cette pièce de faux, nous de notre coté nous ·sommes décidé à faire assigner l'archeveque et son correspondant, et à leur déférer à tous deux le serment. Nous saurons ainsi le fond de cette intrigue, et quel est le faussaire. ,, Le juge d'instruction se saisit du papier, descendit au parquet où il l'examina avec le procureur impérial; puis, rentrant dans son cabinet au bout d'un quart cl'heure, nous. le remit sans dire mot. Il n'y avait pas moyen de 1nordre. · Au reste, nous ne voudrions pas laisser croire à nos lecteu~s que nous attachons la moindre importance ~ ce que le nom de Mgr Matthieu, pas plus que celui de lVI. de Mirecourt, continue de figurer dans un écrit dont le sujet dépasse toute personnalité. Mais il faut que la vérité soit connue, dans l'intéret de l'histoire et po~r la juste appréciation de cette époque. Or, la vé.rité est que l'Église, crédule, comme toujours, aux démonstrations d'un pouvoir qui l'einployaìt à ses fins, triomphait, il y a deux ans, jusqu'à l'insolence; que, par un effet de cette meme crédulité, elle mettait sa police secrète au service de libellistes qu'elle prenait de confiance pour des défenseurs de la foi. Tandis que de lVlirecourt ne songeait qu'à faire ar"gent du scandale, l'archevèque de Besançon, nous n'en douBiblioteca Gino Bianco

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 13 tons pas, s'imaginait faire muvre pie; cela résulte des termes memes de sa lettre. M~intenant l'Église est frappée dans son chef par celui-1à me1ne dont la piété, pendant dix ans, l'a comblée d'allégresse; ce qu'il y a de plus triste, .c'~st que les 1nemes écrivains mercenaires, qui naguère poussaient le· zèle de leur orthodoxie jusqu'à l'ultramontanisme, aujourd'hui, sur un nouveau mot d'ordre, sapent le siége de saint Pierre dans l'intéret, disent-ils, de l'Église meme, et se prétendent plus catl1oliques, plus orthodoxes et meilleurs chrétiens que le pape ! Quant au sieur de Mirecourt, après avoir longtemps éprouvé la mansuétude des tribunaux de l'empire, maintenant démonétisé, décrété de prise de corps, il . s'est réfugié à Londres, où il vient, pour s~s débuts, de pub]ier un pamphlet contre l'e1npereur. Voilà le monde qui avait entrepris de refaire la société : par une anecdote, qu'on juge du reste. , IMMORALITE ET INSUFFISANCE DE LA CRITIQUE VOLTAIRIENNE 1 M. Larroque, dans son Examen critique desdoctrines de ta religion chrétienne, développe la pensée que nous ne faisons ici qu'indiquer : " C'est faire une muvre incomplète que de se contenter d'òter au peuple ses croyances fausses sans en mettre de vraies à la. place. Telle a été Pmuvre des philosophes du dix-huitième siècle, qui de plus ont commis la faute d'attaqu~r, en meme temps que l'erreur, des 1 Di1la Jiistice dans la Révolution et clans l' Eglise, t. I, pag. H.O. Biblioteca Gino Bianco

14 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS vérités fondamentales ... Voltaire a rendu à la cause de la raison d'immenses ~ervices ; m~is on ne saurait trop regretter que le sens moral ... ait été chez lui si déplorablement en défaut ... Quand il fallait instituer con tre l'ennemi. une polémique grave, et qui fit appel aux sentiments élevés de l'ame humaine, il a plus d'une fois pris pour auxiliaires les corru ptiqns du creur et le~ nialignités de l'esprit ... Il s'est ad1~essé à une peti te minorité, éclairée, 1nais impie et libertine, etc ... ·... ,, M. Larroque conclut contre Voltaire et· la philosophiè du dix-huitième siècle. par une RÉNOVATION RELIGIEUSE, qui n'est autre qu'une paraphrase de la Professsion defoi du vicaire savoyard et du Contrat social. Ses trois volumes, imprimés à Bruxelles, et dont l'introduction . en France avait souffert d'abord quelque difficulté, y entrent maintenant sans e1npechement. M. Larroque est ou se dit religieux: ce n'était pas assez, il y a deux ans, pour la politique i1npé-riale, témoin la suppression de la Revue philosophiqueet religieuse; cela suflit aujourd'hui. Mais on condamne à l'amende les journalistes qui se permettent de faire !'apologie du livre d~ M. Proudhon De la Justice dans la Révolution et dans l'.Église (Voir la Presse du 27 janvier 1860.) Plus tard, on verra. Et voilà ce que c'est que la politique !. .. NOUVELLES DE LA RÉVOLUTION La situation de l'Europe est décidément compromise. C'est le fait qu'exprime la. formule devenue vulgaire, Les traités de 1815 sont déchirés. Oui, les traités de -l-8-15 sont déchirés, et il n'est pas de gouvernement en EuBiblioteca Gino Bianco

I .,. NOTESET ÉCLAIRCISSEMENTS 15 rope qu'on ne puisse ~ccuser à ce sujet de violation, de con1plì'éité, de connivence, ou tout au moins d'indifférence. Mais; chose étrange, et qui metà nu l,incapacité des conducteurs_ de nations, si les traités de 1815 sont déchirés,. il est tout aussi certain que les puissances qui les ont signés ne saivent comment en sortir, quelle idée substituer à l:idée qui a inspiré le ·congrès de Vienne, idée qui continue, malgré tout, de régir le monde poli- ~ique, et qui est loin d'etre épuisée. Le renouvellement du droit européen, par delà la pensée de 1815 : tel est le problème actuellement posé aux hommes politiques, autant, il faut le dire, par l'ineptie des gouvernements, que par le progrès de la Révolution. Combien en cof1tera-t-il de sang versé et de trésors gaspillés avant que ce problème soit résolu? RoME. - Le fait capital du moment est l'échec fait, par la première des puissances catholiques, à la puissance temporelle du Pape ..Quel événement, s,il se fùt accompli sous une initiative révolutionnaire, par une nation armée pour les idées et un gouvernement libre! Ce serait, non plus cette vaine et mensongère distinction du spirituel et du temporel, qui a déchiré le moyen age, et dont un éclectisme quelque peu intelligent, s'il lui était possible de revenir sùr les faits accomplis, aujourd'hui ne voudrait plus; ce serait le spirituel selon la Révolution s'affirmant au lieu et place du spirituel selon l'Église, et cela, sans aucune séparation du temporel. La séparation de~ deux pouvoirs était une arme de l'État contre le sacerdoce, de la· philosophie contre la foi, alors que les esprits, ne voulant plus du gouvernement ecclésiastique, ne se.·sentaient néanmoins pas la Biblioteca Gino Bianco

16 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS force de proclamer la 1norale humaine en éli1ninant la morale révélée. En elle-meme, la séparation du-temporel et du spirituel serait la mort de la société, com1ne la séparation de l'ame et du corps est la mort de l'individu ... Mais ici,. comme en tout, devaient se retrouver le chaos intellectuel et l'empirisme anachronique qui dis- . tinguent le second empire. Lorsque Napoléon rcr décréta la réunion des États de l'Église à la France, il affectait, comme chacun _sait, la monarchie universelle. Le pape, en deven~nt primat des Gaules, ne cessait pas du moins d'etre le chef du monde catholique; la conquete pouvait aider au retour des populations protestantes. L'Église se trouvait reportée aux temps, pour ainsi dire réunis, de Constantin et de Charlemagne. A ne juger_le nouvel établissement que du point de vue chrétien, on pouvait dire qu'ìl y avait compensation. Puis, Napoléon rer, législateur et codificateur, poursui-. vant l'oouvre de la Constituante, de la Législative et de la Convention, venait de jeter les fondements du nouvel ,,. ordre moral. Si l'Eglise était abaissée, le spirituel révolutionnaire s'élevait d'autant. Il y avait de la suite, de la logique, ~n plan, dans les actes du premier empereur. En est-il de meme de Napoléon III? Isolé en Europe après ses victoires, débordé par la Révolution, sans idée comme sans idéal, il se réconcilie, on ne sait pourquoi, avec l'Angleterre, qu'il menaçait la veille, on ne sait pas davantage pourquoi; il capte la faveur du libé:-alisme bureaucrate, en faisant un traité de libre échange, non selon la solidarité française et au point de vue des intérets français, mais d'après la théorie anarchique de M. Cobden et dans le sens de la supréBiblioteca Gino Bianco

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 17 matie industrielle de l'Angleterre; enfin il sacrifie purement et simplen1ent, sans profit et s-ans gloire, au détriment de l'influence nationale, et contre une tradition de quinze siècles, la souveraineté du saint-père. A ce coup de théatre, l'Angleterre applaudit, les journaux du saint-simonisme battent des mains, proclament Napoléon III le souverain le plus libéral du siècle, plus avancé que la Révolution, plus catholique que le pape. Pour nous, si nous pouvions nous réjouir dans cet effroyable gachis, ce serait sans dou.tede voir nos ennemis se dévorer les uns les autres, et nous abréger la besogne. Mais, devant les circulaires dévotes du gouvernement impérial et les rigueurs déployées contre la liberté, devant ce trafic des intérets nationaux déclarés méprisables, tantot à propos d'une expédition inachevée et sans fruit, tantot à propos d'une entente auparavant dédaignée et qu'il s'agit de rétablir, il nous est impossible de ne pas voir que l'on travajlle, au profit exclusif .du despotisme, à dégager le pays de toute idée comme de toute foi; que l'esprit de la Révolution est plus que jamais odieux, et que le seul principe que l'on suive, dut-il en couter à la nation, avec sa pensée, son travail et son capital, est le bon plaisir. Au surplus, rien n'est fait, disait Napoléon Icr, tant qu'il reste quelque choseà faire. Le pape n'a perdu que la moitié de ses États : Napoléon III, par une de ces volte-face qui lui sont familières, peut très bien quelque jour le réintégrer. Il est dans la nature et dans la situation de ce pouvoir de tout commencer et de tout laisser, de défaire et de refaire, de n'etre fidèle à aucune idée, pas seulement à la sienne. Dégouté des Italiens, comme des Turcs, qui sait si Napoléon III ne se T I 0 . . .. Biblioteca Gino Bianco

18 NOTESET ÉCLAlRCISSEl\tENTS retournera pas vers l'Autriche et vers le pape? Attendons. .. lTALIE. - Nous ne demanderions pas mieux que de porterà l'actif ·de la Révolution la conquete de la Lombardie sur l'Autriche, l'expulsion des arèhiducs, et l'annexion des provinces de l'Italie centrale à la royauté· constitutionnelle de Victor-Emmanuel. Mais une chose nous tient en méfiance : c'est que, l'Italie perdant son· einpereur et son pape, on ne sait pas ce qu'elle devient, onn'entrevoit pas meme ce qu'elle peut étre. Là, plu~que nulle part ailleurs, la notion du droit parait éteinte, et les idées brillent par leur absence. Aussi l'Ita1ie émancipée s'appartient moins que jamais; ses destinées se brassent en dehors d'elle, à la grande joie d'une nuée d'intrigants, et à la profonde indiff érence des paysans. Un de nos amis, Italien, nous écrit à ce sujet : " l.ie futur parlement italien sera, n'en doutez pa.s, " un rendez-vous irréfléchi de niais authentiques et de. " fripons qualifi.és. Toutes les affaires italiennes, les " vraies affaires, traìnent dans les ténèbres : elles tien- " nent aux mystères des Tuileries ou à ceux des socié- " tés secrètes. En Italie, vous n'avez devant vous que " des diplomates silencieux ou des conspirateurs asser- " n1entés. Demandez-vous la discussion? On se tait. " On vous répond par de fausses nouvelles ; on vous " oppose des théories équivoques à dessein, fausses par " calcul, co?tradictoires de propos délibéré. On n'ai1ne " que les positions à double et quadruple entente; on " court après la volupté de tromper, la félicité supreme " de surprendre. Savez--vous où l'on djscute l'Italie ?-A " Paris .. " :Là on a déjà i~primé 218 brochures depuis BibliotecaGino Bianco - . - .

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 19 " celle sur le Pape et le Congrès; ici, rién. Voilà l'incu- " rable plaie du pays de Mach~avel : ajoutez-y la mode " de tourner le dos aux amis sans leur dire pourquoi: " la mode d'établi~ de gaité de creur des inimitiés per- " sonnelles pour éviter des explications politiques; la " mode, en un mot, de donner toujours des coups de " ~tylet au physique et au moral ... " La campagne se moque de tout. Le gouvernement " n'a trouvé le remède à la situation que de nommer " des gouverneurs, qu'il choisit parmi les riches à plu- " sieurs millions, et qu'il oblige d'accepter des appoin- · " tements de 50 à 70 mille francs. Mais les soldats, les " hommes dévoués, les victimes de l'Autriche, sont sur " le pavé. On Jeur refuse les plus modestes places. Et " savez-vous à quoi servent ces gouverneurs? A.repré- " senter la fédération !... En sorte que nous aurons " l'unité entourée de gouverneurs, avec un ministère " fédéral, faisant nommer des représenta.nts unitaires, " et ~rganisant le règne des riches contre les paysans, " au nom ·de la démocratie française ~t de 1789... ,, Le royaume, c'est à dire la centralisation monarehique, est antinational dans la vieille Italie. Cinq fois, depuis la chute de l'empire d'Occident au cinquième siècle, on en a essayé : il y a eu le royaume des Hérules, le royaume des Ostrogoths, le 'royaume des Lombards, le royaume des Francs ; en dernier lieu, un royaume soi-disant d'Italie, mais dont les titulaires féodaux venai_ent, qui du -Frioul, qui de la Germanie, qui de la Provence ou de la Bourgogne. Tous ces royaumes ont été dévorés l'un après- l'autre par le fédéralisme italien. Les choses furent à ce point, que les plus avides des princes, à qui l'on offrait cette dangeteuse couronne, à BibliotecaGino Bianco

20 NOTESET ÉCLAIRCISSEMENTS la fin n'en voulaient plus. Nous voici maintenant au royaume piémontais. Dieu préserve d'accjdent le chevaleresque Victor-~~111manuel ! Mais nous sommes ferme ... ment convaincu que si, au lieu de l'Empereur, la Révolution avait présidé à l'émancipation de l'Italie, si les Italiens avaient attendu le signal de Paris, les Autrichiens ne seraient pas restés dans la Péninsule; l'Italie, fédérale par nature .et destination, ne chercherait pas la garantie de son indépendance dans l'unité du royaun1e ; et Victor-Emmanuel, à peine en possession de la J~ombardie, ne se verrait pas dans l'alternatìxe, ou d'abandonner la Savoie, son patrimoine de fan1ille, à l'e1npereur des Français, ou d'etre accusé cl'ingratitude par son grand et très peu sur allié. Nous souhaitons sincèrement de nous tromper : mais nous avons peur que l'émancipation de l'Italie, sous les • auspices d'un e1npereur, ne soit qu'une fantaisie impé- . riale, une chose à recommencer. Salut, en attendant, aux patriotes savoyards qui protestent contre l'annexion de leur pays à .la France l Ils sont dans leur droi~, dans la vérité des principes. Le gouvernement impérial lui-meme l'a reconnu : il a déclaré que l'annexion de la Savoie n'aurait lieu que du consentement des popula.tions. Se croirait-il sur de ce consenten1ent '? Y a-t-il quelqu'un en Savoie que tentent ìa gloire et les libertés de l'En1pire? Quant.à la France républicaine, ce n'est plus par ces moyens surannés qu'elle compte exercer son influence sur le 111011deQ. ue les Savoyards, les vieux Allobroges, disent donc à l'Europe : " Nous ne s01nmes pas plus Français que nos voisins de Genève, de Vaud, de Neuchatel, du Porentruy, de Fribourg, du V alais; nous ne pouvons pas le Biblioteca Gino Bianco

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 21 devenir, nous ne le voulons pas, et cela ne sera pas. Nous en appelons au principe Je nationalité, pour lequel on a combattu à Solferin età Magenta. ,, AuTRlCHE.- Nous croyons qu'on se trompe, 1ors- • qu'on s'imagine que l'empire autrichien, formé de tant de peuples divers, et travaillé de la maladie générale, la liberté, est sur le penchant de sa ruine. Il se peut qu'à la suite de résolutions obstinées et d'événements faciles à prévoir, il y ait en Autriche un changement de dynastie. C'est une loi de l'histoire, qui souffre peu , d'exceptions, qu'une révolution dans un Etat amène un changement de dynastie, de meme qu'une modification dans la politique d'un gouvernement a1nène un changement de ministère. La dissolution de l'empire d'Autri- • che n'en résulterait par pour cela. Dans la situation de l'Europe et dans la disposition des esprits, un grand État, à peu près à la place actuellement occupée par l'empire d'Autriche, nous parait inévitable. Que la capitale soit Vienne, Prague, ou Pesth, que cet État se nomme autrichien ou magyar, peu importe. La loi d'agglomération serait ici la plus forte; la Révolution n'est pas assez avancée dans les idées pour qu'une si grande étendue du pays, entourée de puissants e1npires, reste ljvrée au·morcellement. Ce qui rend l'Autriche malade, c'est que, héritière du Saint-Empire romain, formée à son image, et comme lui constituée, dans le principe, en une sorte de fédération, elle est tiraillée par deux tendances contraires : d'un còté, le pouvoir central, qui depuis deux siècles s' efforce de transf ormer sa constitution fédérale en une constitution unitaire, absolutiste et de droit divin, analogue à la cons2. Biblioteca Gino Bianco

22 NOTESET ÉCLAJRCISSEMENTS titution française après Richelieu et sous Louis XIV ; d'autre part les peuples, qui tous demandent des liber.- tés et des garanties. C'est, en deux mots, la lutte de la Révolution et de la contre-révolution, lntte qui pourrait bien se terminer par le sacrifice de ♦ia fa1nille impériale .d'Habsbourg, jamais à coup sur par la déchéance des peuples. ANGLETERRE. - Nous avons .Iu dans ces derniers temps le livr.e de M. Ledru-Rollin sùr la IJécadencede l'Anglete1:re. Nous connaissons celui de M. Éliat Re- . g4ault sur les Crimesde l'Angleter·re. Nous avons également pris connaissance de la brochure de M. de Montalembert snr l'Aveni1·politique de lAngleter·re. Et nous avons été suffisamment édifié, depuis huit ans, par la lecture des journaux, sur la politique du gouvernement ., anglais. Tout en reconnaissant la vérité des faits, et en nous associant à la plupart des appréciations cles écrivains dont la foi politique est au fond la nòtre, nous ne sommes cependant pas aussi convaincu qu'ils le paraissent de cette damnation prochaine -de la Grande-Bretagne. Au reste, et quelle que soit notre opinion sur l'avenir de la nation anglaise, nous voudrions savoir, et nous le demandons instamment à l'ancien ministre de la République, si les dix années écoulées depuis la publication de son livre n'ont pas n1odifié en quelque cbose son jugement; si par exemple il ne pense pas qu'une réf orme électorale an1ènerait en Angleterre la résurrection de ce que nous appelons en France le peuple; s'il croit que ce peuple serait de force à se poser en face de la bourgeoisie et de la gentilho1nmerie anglaise, et saurai t user du suffrage universel 1nieux qiie BibliotecaGino Bianco

NOTESET ÉCLAIRCISSEMENTS 23 n 'a fait le peuple français dans les comices célèbres de 1800, 1803, 1804, 1848, 1849, f 851 et 1852? RussrE.-L'én1ancipation des paysans marche-t-elle? Où en est-elle? Nous ne le savons pas. On dit que l'empereur Alexandre II a voué son existence à cette grande reuvre; mais il ne parait pas pressé de s'en faire le martyr. Ce que nous croyons fermement, c'est que cette révolution est désormais inévitable, et qu'il ne s'éqoulera pas une demi-génération avant que les serfs de Moscovie ne soient rendus à 1~ liberté, et les boyards à la tempérance. En attendant, on fait des chemins de · fer en Russie, et on enseigne l'économie politique. Bon . s1gne. · PRussE ET ALLEMAGNE-. Le développèment et la consolidation du système parle1nentaire sera la meilleure défense à opposer à 1~ conquete napoléonienne, si tant est que Napoléon III, curieux de visiter les champs de bataille de son oncle, s'avise de passer le Rhin. En 93, la liberté était de ce coté-ci du Rhin; maintenant elle est de ce coté-là. La Révolution n'a pas perdu un pouce de terrain : il n'est pas difficile de prévoir quelle sera l'issue de cette marche ·et de cette con tre-marche. · FRANCE~- · Après ce que nous avons dit, dans notre programme, de la politique du gouvernement impérial, . quelques mots sur l_'état men tal du _pays suffiront. "· Tout est mort en Ji.,rance, nous écrit un de nos cor- " respondants, en droit, philosophie, littérature et art. " Hors une élite qui n'a pas fléchi, et qui conserve, Biblioteca Gino Bianco

24 NO'JESET ÉCLAIRCISSEMENTS " avec le feu sacré, le culte du beau et du bien, per- " sonne ne s'intéresse à quoi que ce soit. Satisfaire " l'instinct nutritif et l'instinct sexuel, telle est l'occu- " pation de ce grand caravansérail que l'empire a f~it " de Paris. N'allez pas vous imaginer que le procès " Vacherot, la suspension d'Ollivier, la consultation " des avocats à propos del' article de M. d'Hausson- " ville émeuvent tant soit peu le public. Vous seriez " dans la plus profonde erreur. Croyez-vous que dans la " ville des Césars on prit le moindre souci des accusations " intentées, par les sycophantes officieux ou officiels du " prince, contre un Épictète, un Crémutius Cordus, un " Thraséa? ... Eh bien, la France en est là. On s' est oc- " cupé de la question romaine comme et autant ·qu'ìl a " plu en haut lieu. Puis, lorsque le maitre à jugé que " c'~tait assez jasé du pape et de son temporel, il a " coupé court au bavardage par sa lettre à M. Fould; " et les badauds de par ler alors réduction de tarifs et _ " libre échange. Ce qui m'a1nuse est de voir des gens " qui se croient babiles prendre tout cela au sérieux; " et, à chaque parole tombée de la bouche d'Auguste, " batir des ro1nans politiques. Ce qu'il y a de sérieux, " cher ami, c'est que ce pays-ci est devenu un véritable " toton... ,, Le peuple français, nous le disons dans la douleur de notre ame, en laissant s'accomplir et en ratifiant de ses votes le 2 décembre, A MANQUÉ A L'HONNEUR : comme il faut que justice se fasse, la dégradation a frappé le coupable. Que ne donnerait pas la France pour que l'élu de ses terreurs fùt ce que le vulgaire et les poètes appellent un grand génie, un grand homme ! La gloire du prince couvrirait l'ignominie de la natiOil. Biblioteca Gino Bianco

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 25 Que ne donnerait-iLpas lui-meme pour se transformer en roi constitutionnel, et laissrr une, couronne irresponsable à son fils innocent !... Ces espérances devaient étre impitoyablement déçues. Que d'autres insultent Napoléon III : nous dirons simplement que, sans principes, il n'y a ni génie ni gloire, et que Napoléon III, de tous les mortels le plus avide de renommée, ne saurait, quel que l'ait fait la nature, de quelque généreuses intentions qu'il soit animé, exprimer autre chose que ce que ses six· millions d'électeurs au 20 décen1bre 1851 avaient dans le creur. Ah! pourquoi ses amis n'ont-ils pas su donner une autre sjgnification à son avéne1nent? Pourquoi n'ont-ils pas marié son nom à une idée? En le fàisant, per fas et nefas, despote, condamné à gouvèrner sans principe, ils l'ont maudit, et nous sommes 1naudits avec lui. Cependant, comme dit le proverbe, l'excès du mal produit le remède. Quelques symptomes de revirement se manifestent. Les avertissements, depuis quelques mois, sont tombés plus drus que jamais sur les journaux : preuve que l'impatience gagne les esprits, et que le pouvoìr s'irrite. L'esprit chauvinique est en baisse : témoin l'article d8 la Presse sur l'annexion de la Savoie, article qualifié de mensonger par un ministre qui prétend, apparemment, que le pouvoir dont il fait partie a seul le privilége de mentir. Les tendances à la centralisation commencent à faiblir : tén1oin les articles publiés sur ce sujet par le CourJ'ier du IJimancke, et l'ouvrage, annoncé par la Presse du 27 janvier, de M. Ch. Dollfus. La France Biblioteca Gino Bianco

26 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS . libérale et républicai~e n'a pas à offrir à l'Europe de gage de paix .plus solide que celui-là. Est--ce donc que la Bretagne, Ja Provence, l'Alsace, le Languedoc, la Bourgogne, la Franche-Comté, l'Auvergne n'ont pas aussi leur nationalité? Parfois la justice de l'opinion se fait jour, il suffit qu'elle r·encontre un interprète digne d'elle. Le succès de M. Dupanloup, répondant au Constitution1J?;el et au Siècle, a été ~omplet. Cro'ye~-vous pour cela que l'opinio:q.soit papiste, en France? Elle l'est moins, peut-etre, · qu'en Angleterre. Le gou.vernement impérial prend · pour une .marque de sympathie à son adresse le silence des po_pulations au milieu de l'agitation cléricale : il ne voit pas que cette indifférence, effet de la Révolution, l'accuse lui-meme, et sa politique de huit années. L'opi- · nion, en France, est comme la langue : elle aime les positions nettes. Elle_veut que la Révolution soit la Révolution, et que le pape soit le pape. Elle siffle les homélies évangéliques et gallicanes du gouvernement, et flétrit une défection de plus. On parle de rapprochement entre une. fraction du parti républicain et une fraction du parti orléaniste. Nous ne croyons pas aux fusions; mais nous n'en persistons pas moins à regarder ce rapprochement comme d'un bon augure. Il y a bien des nuances dans chacun des deux partis : pourquoi celles qui s'avoisinent ne se concerteraient-elles pas '? Il faut une prodigieuse consommation d'hommes et de choses pour opérer une révolution : pourquoi ne pas employer tous les moyens termes à mesure que leur tour arri ve? L'antagonisme de la république et de l'orléanisme a rendu possible . - le rétablissement de l.'empire; la fin de l'empire, 11ous Biblioteca Gino Bianco

NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS 27 voulons dire la _findu gouvernement personnel et le retour a~x principes, serait le; résultat de l'entente des républicains et les libéraux. - Plutot la continuation· de l'empire que le·retour à la monarchie constitutionnelle, disent ~ertains radicaux, affectant le puritanisme. - Nous soupçonnons ces puritains d'etre des amis de creur de l'empereur beaucoup plus que de la Révolution. Eh! chers amis, qui vous parle de retour à la monarchie? Ne voyez-vous pasque vous parlez exactement comme les puritains de l'orléanisme : Plutot l'empire que la république, disent-ils. Laissez donc agir les modérés des deux partis, agissez, au besoin, vous-memes, sur vos amis du 2 décembre, et soyez convaincus que tout ira pour le mieux dans cétte évolution · 11ouvelle. , L'alliance avec l'Eglise brisée, l'orléanisme et la république se formant en· une seule et meme opposition, que reste-t-il à l'empire, en fait d'idées et d'hommes? Le saint-simonisme millionnaire, la police, peut-etre l'armée : appuis peu surs. _Malheureusement il lui reste cette démoralisation affreuse qui fait dire au malade : Plutot la gangrène que le bistouri l Mais ici ·encore !'empire est sur son déclin. . · . - " Au milieu de toutes ces ruine·s, nous écrit " un_autre de nos amis, il y a un~ co;nsolation grav-e, " séi:ieuse et réelle : le vrai, le si~cère parti républi- " cain devie.nt une religion phi~osophique ; par cela " meme que·ses rangs s'éclaircissent, ses débris s'affir- " ment de plus en_plus au nom de la raison humaine, " au nom de la ,;Tustice. C'est du sto:icisme·, moins " l'égoYsme. Ce parti sera fécond :·mais combien de " terp.ps µi.ettr~-t-il à porter ses fruits? ... ,, Biblioteca Gino Bianco

28 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS En s01nme : la république de 1848 aura servi à semer la graine révolutionnaire; ·le sang du 2 décembre l'a fait lever; l'expérience d'un pouvoir sans principe et sans controle lui donnera l'accroissen1ent. PRINCIPE DE LA. DIGNITÉ PERSONNELLE 1 L'objet de cette étude a été de démontrer que la Justice nait en nous du sentiment de notre dignité; qu'elle est la mème chose que cette dignité, en sorte que, soit qu'il s.'agisse du prochain ou de nous-mèmes, Justice et dignité sont en nous identiques, adéquates et solidaires. En sorte que la n1axime suivante peut etre prise pour un axiome de morale et de clroit : Tout outr.age à la dignité personnelle est une violation de la J usti ce, et vice versa. Le principe de la dignité personnelle est celui que M. Cousin. donne à la morale : " ÉTRE LIBRE, RESTE LIBRE, ,, clit le chef de l'école éclectique. Or, qu'est-ce que la liberté, au point de vue de la raison pratique,. et dans la philosophìe de M. Cousin? L'intégrité de la personne, des f~cultés, et par dessus tout des mceurs. La possessiop. de soi-mème, par l'intégrité des mceurs · et l'équilibre des passions et des facultés, ce que nous avons appelé dignité, voilà la liberté. A un a.utre point de vue, celui q.e la sociabilité, le principe de la dignité personnelle ~t de son identité 1 De la,Justice dans la Révolution et dans l' Églisc, t. I, pa:g. 154. Biblioteca Gino Bianco

NOTES ET ÉCLAlRCISSEMÈNTS 29 avec la Justice, est encore la base et la dominante de la morale contemporaine. . " Le se·ntiment qui me domiJe, dit un écrivain de la meme nuance que M. Cousin, M. Alexis de Tocqueville, quand je me trouve en présence ~'.unecréature humaine, si humble que_soit sa condition, est celui de l'égalité originelle de l'espèce; et dès lors je me préoccupe encore moins peut-etre de lui plaire ou de la servir, que de ne pas offenser sa dignité. ,, Le respect de ma dignité personnelle est la mesure de toutes les libertés publiques. M. Guizot dit, dans les Mémoires de mon temps: " On n'élève pas les ames sans les affranchir. ,, La réci proque est vraie. Comment, dira-t-on, des écrivains tels que MM. Cousin, Alexis de Tocqueville et Guizot n'ont-ils pas déduit d'un principe qui Ieur est cher toute la morale humaine, tout le droit révolutionnaire, abstraction faite de toute croyance religieuse? -- Nous ne nous chargeons pas d'expliquer les inconséquences des autres : nous répondrons, seulement pour nous-memes, que l'incompatibilité absolue entre les lois de la morale et les dogmes de la religion n'avait jamais été jusqu'à présent révoquée en doute; qu"ensuite la religion, en tant qu'aspiration vers l'absolu, ne pouvant jan1ais etre entièrement détruite, on lui supposait, dans les mmurs, toujours la meme nécessité, la meme intensité, la meme influence; on ne se demanJait pas si son action était purement transitoire; si, à partir d'un certain moment, elle devait décroitre en raison meme du progrès de la J usti ce. C'est du reste le caractère de I~ philosophie éclectique·, comme de la politique conservatrice, de 1naintenir tous les principes, toutes les sponT. I. . 5 BibliotecaGino Bianco

30 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS tanéités, toutes les forces de l'humanité, sans se préoccuper de leur accord, pas plus que de leur progrès ou de leur recul. Le respect de la dignité personnelle est le principe de toutes les v0rtus sociales que les moralistes distinguent ordinairement de la Justic~, et q~i n'en sont que des for1nes variées : l'affabilité, la politesse, la tolérance, la charité. " On déshonore la Justice, dit Fénelon, quand on n'y joint pas la douceur et la conclescendapce : c'est faire mal le bien. ,, Le principe de la dignité personnelle ·apparait enfin comme sanction de la Justice, en ce qu'il nous rend supérieurs à l'iniquité des autres : " Tu supportes des injustices, dit Pythagore : console-toi; le malheur est d'en faire. ,, Le sto:icisme 11'a rien de plus beau : il est Jà tout entier. Si l'offense à la dignité des personnes est une atteinte à la J ustice, l'offense fai te à la dignité d'un peuple est la subversion de toute justice: c'est pourquoi le despotisme, la tyrannie, l'inquisition policière ou sacerdotale sont des agents de corruption et de mort. Un corollaire de ce principe est que le tyran ne peut jamais etre juste, et qu'on ne peut dire d'un despote que c'est ~1n bon roi. Le gouverne1nent personnel, avoué ou subreptice, le despotisme et la tyrannie, sont un outrage à la dignité nationale. Un second corollaire est que, dans une société, l'autorité est adéquate à la Justice, attendu qu'il ne peut pas y avoir dans 1 ;État de clignité supérieure à la dignité nationale, et que la dignité nationale est la Justice meme. - BibliotecaGino Bianco

NOTESET ÉCLAIRCISSEMEN.TS 51 ORIGINE DE LA RELIGION 1 ) Tout ce que nous disons ici sur le sens et l'origine de la reli'gion, et sur la conception de la spiritualité divine, est confirmé par le savant professeur de Strasbourg, F. G. BERGl\tIANN : " L'homme est porté à la religion, d'abord par le sentiment invincible qu'il a de son insuffi.sance ph.1/sique pour se protéger lui-mème contre les forces enne1nies et inexorables de la nGl,ture,et contre les hasards et les accidents de la vie; ensuite par le sentiment de sa faiblesse intellectuelle, pour comprendre la réalité, la vie et le monde, dans leur essence et dans leurs ca,uses ; enfin par le sentiment de son impuissance morale pour satisf aire à la loi de J usti ce qui s'annonce impérie usement dans sa conscience. Il éprouve donc le besoin de A s'appriyer sur quelque ETRE qui soit physiquement plus puissant que lui-mème, qui soit-la clef de voute de son système plus ou moins scientifique, et qui soit enfin la sanction de sa conscience morale. ,, (Les Gètes ou La flliation généalogiquedes Scythes aux Gète~·et des Gètesaux Germainset aux Scandinaves, pag. 152.) Voilà, dit Bergmann, comment procède l'humanité primitive, l'homme enfant. Le premier senti1nent qu'il . éprouve au moment où il·s'éveille sur la terre, est celui .de sa faiblesse physique, intellectuelle et morale. Il triomphera, avec le temps, de la première par son industrie; de la seconde par la philosophie, la science, l'observation i~fatigable; de la troisième par la disci1 DJlaJustice dans la Révolutionet dans l'ÉgZise~ t. I, pag. 1C5. Biblioteca Gino Bianco

32 NOTES ET ÉCLARI CJSSEMENTS pline,. par la société, par le maintien de sa dignité, et par la félicité que donne la vertu. Jusque-là il cherche son appui dans un étre supérieur : de quelle nature sera cet etre? " Dans l'origine, continue Bergmann, on ne concevait un dieu, objet de la nature physique, autrement que comme un etre vivant (~wo1J animal), doué d'une puiss<-tnce surhumainrJ, et ayant précisément la forme qu'on lui voyait dans la nature. Le premier objet qui fut ainsi revétu par 1es premiers peuples de la divinité fut le ciel, dont l'éclat frappait sans cesse leurs regards, attirait leur attention, la nuit comme le jour, par ses phénomènes n1erveilleux et sublimes, et leur inspirait par ses influences bjenfaisantes l''idée et le respect religieux d'un etre surhumain, puissant, et généralement bienveillant. Comme le ciel n'avait pas de :figure humaine, on ne put le concevoir d'abord que comme un animal gigantesque, comme un dieu zoomorphe... De son attribut caractéristique, qui est la lumière, ·il fut nommé Pivus, le brillant, le meme que Ziu, Zeus, JJius, DJou-piter, etc... · " La conception première de la Divinité fut donc purement zoornorphique. Puis elle devint, par éli1nination anthropomorphique, et enfin purement spiritualiste. ,, (Ibid., pag. 154.) Bergmann cite ensuite à l'appui de sa théorie une multitude d'étymologies dont voici quelques-unes : Gott, nom de Dieu en allemand, le Bon; - Bog, en slave, le vénérable; - Bacchos, du sanscrit paka, le respectable, meme signification que Bog; - j}folock, le r?i; - Baal, le maitre; - Adonaz, le seigneur; -- les Azes, dans la langue tles Scandinaves, soutiens, prote-c::" ,,. Biblioteca Gino Bianco

NOTESET ÉCLAJRCISSEMENTS 33 teurs. - La signifi.cation communément donnée au nom de Jéhovah: " Celui qui est '), selon nous est fausse, ce mot signifie le Puissant ou le Fort; dans quelques• passages il est appelé Iejort d'Israè'l. Dans lesPsaumes, il est sans cesse invoqué comme appui: Jéhovah est ma for,teresse, .Dominusarx mea. La plus intére.ssante de toutes ces étymologies du nom de Dieu est celle d'Ormuzd, le dieu des n1ages, en langue zende, Ahu1,.o-maxdao, Soleil beaucoup brillant, ou mieux, beaucoup sachant. Dieu, le soleil, est la source de toute lumière, par conséquent de tout savoir : il est, comme dit Bergmann, la clef de voùte du système scientifique de l'homme, ce que nous disons précisément aujourd'hui de la J usti ce. A Quelle que soit du reste la conception de l'Etre supreme, zoomorphique 011 anthrop~morphique, il est pour l'adorateur le sujet d'inhérence de la force, de la 8Cience et de la J usti ce : c'est ainsi qu'il devierit le garant de la foi pu_blique et des contrats, l'auteur et le sanctionnateur du Droit. " Le rapport 1nythologique qui existait anciennement entre le dieu Soleil et la J ustice a laiss·é des traces dans les usages,judiciaires des Scandinaves et des Gern1ains. D'après ces usages, la justice ne pouvait etre rendue que pendant que le Soleil était en course dans le ciel. L.ejuge siégeant au tribunal devait avoir la face tournée au Soleil, cette source de lumière, de pureté et de justice. Le bouclier, ou la targe, symbole du Soleil (Pargitavus) et la royauté, était suspendu au dessus du siége du chef du jury; de _sorte que aller à la targe pouvait signifier, chez les Gerrnains et leE Scandinaves, aller à l'assemblée judiciaire. Ensuite le tribunal sié3. Biblioteca Gino Sian.ca

. 34 NO'I:ESET ÉCLAIRCISSEMENTS geait aux grandes époques de l'année, c'est à dire aux grandes fètes religieuses; et l'on profitait du grand concours d'hommes qui avait li~u lors _de ces assemblées religieuses et judiciaires pour f aire égaleme!1t le commerce, sous la protection de la justice. L'endroit, tout autour ou tout près du lieu où se tenait le tribuna!, s~ transformait donc chaque fois en un champ de foire; et de mème qu'au moyen age chrétien le nom de la messe, ou de l'acte religieux par lequel s'ouvrait la fète religieuse, devint le nom n1eme pour désigner la foire (all. messe, foire), de mème, chez les peuples d'origine géto-gothe, le mot de targe· prit aussi la signification de marché (suéd. to?~g n. marché; espagnol, trueco). De ce nom les Goths d'Espagne ont formé le verbe trocar, d'où vientle français troquer.,, (Ibid., p. 200.) - RÉALISA.TION DU CONCEPT DIVIN 1 .. - Cette question eRt une de celles sur lesquelles il i1nporte d'appeler avec. le plus de force l'attention du · peuple. Sous les noms de déisme, panthéisme, religion naturelle, etc., une abominable superstition se tra1ne, à _ la honte du siècle, et pour la perte de la raison ·et de la liberté. Ceux qui y travaillent avec le plus de zèle ne paraissent pas se douter encore du résultat a·e leurs efforts; ils ne voient pas qu'après avoir éliminé le dieu vivant, réel, positif de la Genèse et du Sina:i, le dieu cl' Adam, de Noé, d'Abraham, de Mo:ise et des prophètes : le clieu incarné en J ésus-Christ, touj ours présent par son esprit dans l'Église, et qui se donne en 1 De la J11stice c(ans la Révvti, don et daris t-' Eutisc, t. 1, pag. 166. - 4 Biblioteca Gino Bianco .

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