YOURI F. ORLOV ne reste jamais vide. Désormais, existent, amenés à leur point de développement supérieur, les moyens d'étouffer la réception et la diffusion de l'information indépendante et de réduire la dissidence ne fut-ce que par la faim, en lui barrant l'accès à certaines sphères d'activité : toutes les sphères de l'activité ne sont-elles pas en effet contrôlées et planifiées par l'Etat. Il est vrai, et le fait doit être signalé, qu'à l'heure actuelle en U.R.S.S. grâce à la diffusion des transistors, à la vitalité de l'environnement bourgeois et l'accroissement du nombre des missions à l'étranger, nous commençons à avoir accès aux informations non officielles. Les efforts héroïques des dissidents jouent dans ce domaine un rôle encore plus important. A l'époque stalinienne la majorité des citoyens vivaient par contre dans un monde parfaitement fantastique. L'appareil répressif travaille dans notre système en entente si étroite avec l'appareil idéologique qu'il est parfois difficile de séparer l'un de l'autre ; ils sont d'ailleurs imbriqués aussi au niveau des cadres. On pourrait en citer un nombre infini d'exemples. A Kiev, le Secrétaire de l'organisation du Parti de l'Union des écrivains retint, en aimable conversation, !'écrivain Mikola Roudenko, exclu depuis longtemps de cette Union et du Parti ; il s'avéra qu'il le fit dans le seul but que durant les quatre heures d'une conversation sans contenu le K.G.B. ait le temps d'installer un appareil d'écoute dans la chambre de !'écrivain. Mais la mauvaise qualité du travail devait les trahir (oh, sainte irresponsabilité) ! Lorsque Roudenko revint à la maison, il trouva le plafond défoncé et repéra un objet métallique dans un trou venant de la chambre de dessus. Sur le chemin du retour la Milice retint son taxi pendant encore près d'une heure sous un prétexte futile ; le chauffeur, terrifié, en oublia de réclamer à Roudenko le prix de la course ! Je sais que les intellectuels occidentaux se rassurent souvent avec l'espoir que les traits les plus repoussants du totalitarisme soviétique ne pourront pas s'implanter sur le sol européen, et l'idée que le peuple russe posséderait prétendument une prédisposition particulière pour les formes de vie totalitaires. C'est une illusion dangereuse. Lorsque le totalitarisme est vainqueur, il fait ensuite fleurir dans la nation les qualités qu'il veut pour prolonger son existence. On pourrait croire au particularisme des Russes à cet égard si l'Europe Occidentale n'avait connu, et ce dans un passé tout récent, le national-socialisme et le fascisme. La Russie pré-révolutionnaire n'était d'ailleurs un pays ni totalitaire, ni retardé. Elle occupait la cinquième place dans le 72
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