DEUXIÈME ANNÉE . .:._ VOL. m PRIX1 CINQUANTE CENTWES ENTRETIENS POLITIQUES & LITI'ÉRAIRES PUBLIIÎ:S :l!F:)(SUELLE:l!F:)(1' PAR llf. FR.\NCIS V!ELÉ-ORIFPIS SOMMAIRE: l. Xotes iné<litesde Laforgue : Ennuis non rimés. 2. M. Jean Thorel: Lr>s Romantiques allemands et • tes Symbolistes français. 3. M. Francis Vielê-Griffl.n : A propos des chansons li'A,nants. 'i. Notes et Notules. (Livres, :.\fusique, ThMtre, etc.) PA.HIS J:2, PASSAGE ~OLLEl', U Septembre 1891 • 1tP<.~ C111c Bianc_o
t 1.)10 ENTRETIENS POLITIQUES & LITTtRAIRES AIJminem,ent : U:-.: A"S. • ri francs. A.dr~SSet:loute:; ]es <:owmunicntions :'i M. BERNARD LAZARE, 1.2., Passage Nollet Hn rf'nle an ::\fKJWQX f'l F1,.-\~UT.-\lllOS' /)d. / . id. M. id, id.' id. id. id. l.tnHAJHrn DE r:AHT J;>;flE- , PEXJ)\XJ' .l~rnn.Arn11,:Xm·,•r,:tu: id. id. SÊYJX T1u;t:11v J )1•:i\TU ~At;\'All'BI•: 'l'AtUDE ,IAMATI VILDJE/1 \YEJL 'l'.-\ILLE.FEH ME~ li.1 CHAUMO::--'T LECA'.\IPIO"S lhll.A.XGEP,_ TRESSE et STOCK : J ,lilRAIRIE DUMF.Il \'ElLI.EUX: A. f-,R'.\fP.HHE 1':. PAi'[. CRET l'~: MAHTIX BR ,ssr,:n1 .,1:-;1:: BHA$$El:H ;11,:i-:,,.:1-: LÉON VANl..:tl GAG:-.f:F.1'HouuNmB. numéro r/le~: IO,Bonlevarù des Italiens. 1,. Rue.\ ri ber. ;.;, RçalieY;ml ~l-:\farliu: ~!. Hne :.\larPngo. l,alC'rir dc-,l'Odf>on. 11. Cliaussfc d'Antin. J5, BouJeYard tles ll:dien~ . :-{,rur rle la Boëlie. 8. Boulernrd des ltalien:--. :W, Ho11lt'\·ard dri-. lt::llirns. A.venue de \ï)péra. 7'2. Boulf'r;ird Hanssm:111n. JC-IK Bo1den1rd St-D,nis. î. Boule,·ard R1-,1:trti11. N. Houle,·:ll'<l 1JP11ai11. ~1. Hn(' du llavrf'. tii. Houle,·a.nl )l:llf"stwrlu•-;. 1. rue du Havrf'. 1,x. Ht1f' dr Rivoli. :! . .Pas:-:igP du Snumon. 132•.Hue Laf.Helte. !-:1-1 J. J;"). Gnl. lfu T.-Fr:1111;ais. 29. Hue <le 'J'l'évise. p,-\ssage Choi~f'ltl. Jt\0. F:inhonr).! :--ninl-llOnoré. P,1:ssage \"Pro-Dnd;d. !-):t Faubourg Saint-l lonl)rf•. 1,t)> Chaus:-t'e d".\ntin. Cralel"ie~de l'Odto11. H), (Juni Saint-.Midu•I. m. Houlernl'<I :---aint-)lidu•I. ;'1 BOBll]•:,.\1::-;. : ;Î, MAH:SEll.,LE : Librni1·i i• ~1,un·llC'. :1. pl. de l,t Co11i.é.l.i<'. (·hez Auher1i11i 1·11<• de Pnradî$. Ù. Nn.1ES : à BHUXELLES : il J ,n:;r,F, chez A. l.:alélan, rue Thourrrnyne. c·hez Lacornblez. rue <les .Parnissievs. <·hez De:--oër. · El dans tes Jn-il'u.:ipatrs gm~rs Dl>pMilai1·~~énéral, Librairie Charles, 8, rue Mousieur-Ie-PriJU.:•'. ,r O II JI
INEDITS DE LAFORGUE (1) ENNUISNONRIMÉS : s_ous la couvertU1·e qui po1·tece tit;e étaient placés cles b1·ouillons et notes liDr>lléasu c1-ciyonet à ta J}lume sur douze feuilles votantes ctecli-verspapiers et de divers formats. - Une autre coiive1·ture sw' laquelle on lit: E?\:\' ers S.-\.NS RIMES. P06mcs en prose Jt;LES LAFORGt;E · Xovembre - décembra janvier fénier - mnr.; -avril mai. 18~5-SG. était métée à a·aut1·es clocûments, mais vide.] (1) Voir l~ E~_TIJ,:°TIESS POLlT~Q.t;ES ET. LITTllRAIIIES de ja11;;'cr, avril et jtti/let 1891. BibliotecaGinoBianco
- 82 - i 11 poèmes en prose datés de partout - - Kopenhague, aYerse, le Sund, parade du jour de l'an, les mouettes - - Elseneur - Ophélia - - Hambourg - la fête de nuit du roi de Prusse - - Munich après G. Tell des Meiningen - les bocks, attablés sous les portes - juillet -- - express - - rage de dent - - Paris - - Berlin - Mal de mer - - Biarritz - le Rhin - - Musées - Grues - Bal blanc - échos wagnériens - - cirques [2] Ecrire une prose très claire, très simple (mais gardant toutes ses richesses) mais contournée non péniblement BibllotecaGino Bianco
- 83 - mais naïvement, du français d'africaine géniale, du fran- <;aisde Christ. Et y ajouter par des images hors de notre répertoire fran-çais, tout en rest;int directement humaines. Des images d'un Gaspard Hauser qui n'a pas fait ses classes mais a été au fond de la mort, a fait de la botanique naturelle, est 'familier avec les ciels et les astres, et les animaux, et les couleurs, et les rues, et les choses bonnes comme les gâteaux, le tabac, les baisers, l'amour. !3] Poèmes en prose Le chatIl _e.stendre - nous nous aimons. Ses regards [1: sont sublimes. Hélène a dit en l'embrnssant : il est étonnant il ne lui manque [que] la pcu·ote o Hélène voiL'tpomquoi je l'aime. Il ne parle pas. C'est une bête qui dit tout par ries m'Jyens naturels - et qui ne s·émancipera pas de sa condition ùe bête - li pleut à verse d'un ciel tout clair! les oiseaux s'égosillent - le jet d'eau n'en est que plus gai - [1] yeux BibliotecaGino Bianco
-· Si - cela lessivera les toitures, pour le coup d'œil, les lourdes gouttes glissent le long des courbes des fils télégraphiques - on les suit par l.t fenêtre - C'est l'heure où tout le monde est ;'t table - reprenant des forces - On en est aux cigares qui font rêver - les bonnes ont saisi cette minute pour refaire les lits - elles succombent sons les édredons de rechange - Et Yoih\ la marchrtnde de flems tenez, bonne vieille, voiUt pour vous. Quand l'amour va, tout va- [5] Ce sentiment de mélancolie qui nous prend au crépuscule. - surtout en 7Jleins champs c. it cl. a,·ec pas sous les yeux et ù. no'S côtés les bruits rassurants de la ville, de la tribu sociale -- l'atavisme de ce sentiment qui fut le pins fort, le plus impuissant de l'homme primitif notre ancêtre - le sentiment de faiblesse devant le jour qui s'en va de l'être nu qui a traqué et été traqué tout le jour, et que l'obscurité épeure et enYisionne - Aujourd'hui c'est l'antique sentiment d'effroi, de faiblesse, de créature dépendante de quelque chose de plus fort là haut la lumière, la nuit - et la nuit est le frère (alléchant, transitionnel) de la mort -- ce mystère - C'est l'effroi qui mêlé ,·l l'autre sentiment de la sécurité sociale et du savoir du fond de ces choses, se change en douce mélancolie. BibliotecaGino Bianco
- 85 - Tu n'es plus hL Et je suis comme une route désertée depuis l'inauguration du gd chemin à côté plm, coupant court et plus propre, - et qui n'a plus dans ses ennuis que le bonheur des ornières laissées dans sa peau tendre, mais que les averses et Je temps ~1~ auront bientôt effacées - Ah I puisque nul ne veut plus rouler sur moi qce les ronces et les haies de mes marges m'enrnhissent, Juxurient et s'inextriquent et que je vive cles petits bonheurs des feuilles, des sarments, des fourmis et des larves. qu'il était de tous ·2~ le plus adonné aux songeries solitaires - Erreur-Lejoli blond lui raconta dans une conJidence qu'il était trop amoureux et sensible pour nécessiter des expédients aussi radicaux, il ne lui fallait aussi que l'embrassement absolu de son oreiller [3; sur lequel il pleurait - l'expédient radical, it portée de la main, n'aboutissait qu'à une grise piqùre d'aiguille - l'attitude embrassante dans la nuit satisfaisait le cœur_et la puberté [41 . Et j,1mai::; entre eux l'idée de faire ce que ces aütres brute,:; soupçonnaient dans leur amitié de ce dernier été [l] qne les averses et les boues vont hio,ntôt que les averses et les boucs aurout bient6t [2] qne de tous il était le plus [::ll il vivait dans l'embrassement de son oreiller [1] satisfaisait l'âme et les nerfs. BibliotecaGinoBianco
- 86 - de lycée [1] - Ils avaient leur oreiller. Et ils se croyaient d'une essence supérieure, d'autant plus justement que seuls au lycée ils allaient réaliser le rêve, le fin du fin, abandonner le lycée la province, aller à Paris. [21 Et it MonteYideoles semaines de grand Yent à silhouettes bousculées reprenaient le dimanche on allait loin avec la grand mère, endimanchés, effilochant une banane, manger une galette chez de lointains parents boulanger - Il y avait des rats derrière les sacs. le dimanche suiYant c'était chez un oncle qui avait une usine. ça paraissait riche - les cousins adolescents étaient toujours partis à chernl. 2 cousines étaient là. Que d'autre souvenir - ou dans un beau magasin appartenant au gel père maternel. Des matins on allait i;e baigner à la mer. [8] Il était temps d'en finir, disait une voix, voilà deux ans que ces projets de lois attendent à la Chambre - Nous ayons encore failli être noyés dans- les préoccupations de H:hision. C'est ce que le public attendait, on s'était arraché les billets, les tribunes onl fait une tête! - Une autre voix: C'est une grande victoire qu'on a remportée aujourd'hui et pour le Trésor (ci - une vingtaine de millions de plus) et pour la santé publique et pour les viticulteurs. - Quelle était la pro position de la [l] de faire comme ces autres brutes ne serait venue - [2] Un jour il avait six ans - diner très-long six surcharge sept. BibliotecaGino Bianco
- 87 - - Abaisser à 12 degrés le régime au-dessus duquel les vins devront payer un droit par degré d'alcool, c. à d. empêcher l'étranger de nous envoyer indemne de droits des vins qui ne sont en réalité que de l'alcool à 15~ce qui vise surlout Madame l'Espagne dont l'importation s'élèYera cette année à 9 millions d'hectolitre - C'est la faute au phyloxera - i\foi j'aurais demandé le vinage à 15° pour avoir l'égalité avec les vins espagnols -11 est honnête et point contraire à l'hygiène publique d'user modér~ment de l'alcool pour fortifier des vins qui n'ont que 3, li.ou5 degrés et qui ne se conseneraient pas si on portait par le vinage à 8° au moins. - Parbleu il y a en Espagne aux points les plus rapprochés de nos frontières quantité de commerç. franç. qui font le comm. des vins, et il y a aussi en France des négoc franç qui vinent en franchise des vins destinés à l'export. les charg. sur un navire envoient ce navire à quelque petit port situé à 20 ou 25 kilom. et deux jours après ce même navire revient chargé d'un vin d'espagne alcoolisé à 15 degrés et qui n·estautre que le vin parti de france 2 jours auparavant. [9] Complainte du faux [1] convalescent copie conforme - A huit heures.et demi, montre en main, commença le délire. Il disait que : Ça lui convulsait la santé, laquelle il tenait en dépôt [1] du convalescent. BibliotecaGinoBianco
--88 - sacré de sa sainte mère, que, gràce à cette regrettable histoire de canapé, la conversation eùt-alors pris une autrn tournure, et qu'il y avait une chose qu'il ne lui pouvait pardonner ) 1, bien que ce ne fùt pas sa faute, hélas! c·est qu'on eùt pris justement [2J ce prétexte pour contrarier du moins en apparence le cours de sa vocation et que c'était sous toutes latitudes une chose digne de remarque qu'il est malaisé de juger la conduite de son semblable; donc que c'était là enfin :sJ des procédés exorbitants. [L1 i . 11contmua que : C'était simplement déplacer la question que faire Yenir ce médecin de la Faculté de Paris, alors qu'il était prêt ù réintégrer les traditions de sa famille, que c'était une indiYidualité sans mandat de droit divin [5'., que pour un observateur impartial on l'avait, lui, Pierre, pris en traître et que d'ailleurs aYant de s'ériger en juge d'une situation on ne peut plus contagieuse 0 6J il fallait faire preuve d'un charme elfrén~, quitte à inventorier ensuite la chose qu'est la chose, dès que [7] sur cette province triste comme un bureau d'expédition, le temps se remettrait au beau-fixe, élevé à la hauteur d'un principe [8j. Ses adolescences ayant été insuflisantes, sa rare faculté d'a<;similation lui aurait du moins permis dès le début d'enrayer les foules et les sergents, puisqu'on y tenait et qu'il aurait vite atteint le nommé Bien-Etre; qu'en tout cas le souvenir de ses yeux, malgré leurs lacunes bleues, [l] ne lui pardonnerait pas, bien ! 21 eC,t pris ce prrtexte :1 et que c'étaient là des ij (Ici il fit remarquer, avec une toute auti·e voix, que décidément les cigarettes que ces.mtssieurs youlaient bien lui passer donnaient defuis quelq".es jours un_e ce!1dre _qui était en réalité dn poi\Te) ~o] On avait tout a fait deplace la question en faisant venir un medecin de la Faculté de Paris, alors qu'il était prêt à réintégrer son air comme il faut, que toutes ses phraséologies étaient soudoYées que pour un observateur impartial " ' 1 6\ céleste 7 inventorier ces airs après, si sur celte iuventorier ensuite l:1 situation, dès que sur cette [8] temps se remettait au beau-fixe. (Ici il demanda à lamper un petit wrre de quelque eJJosc). Il conclut que : Bibli6tecaGino Bianco
- 8D - lui serait, où qu'il afütt un oreiller d'indulgence pour toutes les créature,:, et qu'il était depuis la vP-iltedécidé ù commencer son temps, en d'autres termes puisqu'on l'absolvait sans l'entendre de raccusation d'être trempé pour l'accomplissement de grandes choses 1J, it aller s·enquérir de certaines histoires aux EnYirons de raudelit. A hu il heures quarante, montre en main, ce n'était plus du délire, mais un je ne sais quoi qui 1ùt de nom dans aucune langue, comme dit Marmontel de Pompignan, surtout dans notre belle langue française, cette « gueuse fière » comme a dit Voltaire L2:, notre maitre à tous. Toute lïncompréhensible, l'insaisissable désolation d'exil [ô] des automnes de ma vie quï me sont restés sur le cœur crève dans le vent qu'on entend aujourd'hui. Hien, que je sache, ne co:nblerait la dérnstation que ce vent a balayé en moi - Une vallée de Josaphat d'ambitions inconnues. Je ne sais rien faire - Je ne suis bon à rien. Je n'ai pas de but - Rien pourquoi je ferais un pas, aujourd'hui- ni musées, ni Yoyages, ni J11P,rsn, i femmes. Et les gens travaillent, brute. - En haut le frotteur cire le parquet - On entend des vaiselles. J'ai clans l'oreille, le navrant son de cloche des mille petites [4: gares allemandes. Et des ombres de peupliers, longues et vaines vers 6 1/2 du crépuscule. Il] oü qu'il allât un mémorable oreiller mais qu'il avait fait sou possib!e, et qu'il élail depuis la veillP. décidé à jouer son va-tout, en d'autres termes, à aller s'enquérir [:.!l B0ileau (il désolation des automnes I'• des petites BibliotecaGino Bianco
~ 90 ~ ·Oh.l'amas des bouts de cigares fumés jusqu'ici! Tiens, le vent a cessé ses histoires. J'allume un cigare - . Et les paires d'yeux, et les bouches variées à <:rujie me suis inléressé dans mes ça et lù. Elles ont vivotté aussi comme ça les petites gens des une à une <rénérations ~1]- tettant, apprenant à lire et à écrire, Et chacun tour à tour croyant décounir l'Amour, ils ont vivotté avec leurs cancans de clocher, usant des habits, se faisant les ongles, flànant l'après-midi, allumant les lumières du soir, se demandant Quel temps fera-t-il demain, laissés froids par les siècles à venir où je suis quelqu'un [2]. Ah ! je ne veux rien ni personne - Mais qu'on ne me laisse pas seul ! ~3] faire quelque chose d'Ctile. - Par ex. si je pouvais dormir. j'allume un cigare - Mais c'est peu comme imprévu. fll] .·Ces dimahches de février en province qu'aucun soleil de demain ne rachètera pour nos cœurs pleins de ranc.une [li.J. Ciel de cendre opaque distillant une pluie montone grisâtre, qui moitié retombe et enflaque le sol, moitié imprègne la grosse atmosphère comme un .invisible buvard qui vous pénètre. ! ll Ils on.tvécu nussi comme ça les petites gens de l'IIisto.ire tettant, i2 ,pai: les siècles à "enir. 3 Air comme on fait claquer les portes dans les corridors de cet hotel ! [1] Ces irréparabl(s, incurables dimanches de février ù Berlin. BibliotecaGinoBianco
- 91 6 h. on allume le gaz dans les maisons, pas encore les reverbères, les 2 ou 3 cafés sont pleins, étouffants de ci~ares économiques, on s'y arrache les journaux illustres .. à 6 1/2 les gens vont au théâtre - les monuments découpant à leurs terrasses des statues trophéïques [1], prennent dans le crépuscule crotté, le ciel définitivement gâché, (dimanche râté) prennent des tristesses de cheminées - Voilà qu'on entend quelques cloches d'après vêpres disant la province bloquée sans espoir et les dimanches de vieilles fille:s. On a froid au pied - puis la cloche impertinente d'un tramway - La pluie devient de l'averse, l'atmosphère étant trop saturée. Les amateurs de dimanche quand même vont patauger en familles toute la nuit et 1·entrer n'osant supputer les arnries de leurs toilettes. - et demain repeupler leurs bureaux, leurs comptoirs, leurs ateliers. Le grand poème des gares, n'a que des trains cendrillonesques, des trains de banlieues - soldRts bus, gens confits en lem règle de trois, qui accumulent lt:isscories des dimanchards et les crachats locaux, sans jamais prendre un bain d'espace et de plaines à toute vapeur. - Un lundi matin plafard. - le livide sec (après la ventée furibonde de la nuit) ricane blanc au ciel où courent des nuées noires et monotones comme des huissiers. Des gens recommençant la semaine - hélant un fiacre - portant des paquets que fatigué on remonte sous le bras = Des parapluies en réserve - Un bébé qui court contre la grille du square balottant son petit manchon bleu sur son ventre comme une breloque maternelle. Un couple se racontant quelque chose. - des solitaires qui ruminent ce qu'ils viennent de vivre ou l'affaire où ils vont, les uns avec des faces optimistes, les autres ennuyées, dures, giflées. Toutes les femmes ont l'air battues à la maison, ou uniquement heureuses pour le quar- [l] à leurs terrasses des groupes grecs cl nobles, prennent BibliotecaGino Bianco
- 92 - d'heure de leur mise, de leur chapeau, d'une plume, d'une tournure, de leurs gants. Les cochers de fiacre ont encore les têtes les plus sages, adéquates au piétrisme de l'existence (à la situation.) tous sont non pas giffleurs ou gifflés, mais les deux comme causes et effets. le printemps revenait - avec ces premiers beaux jours d'avril où l'on hésite à mettre le pardessus d'été où l'on se traîne accablé le long des boutiques en clignant au soleil ~ prendre une glace. il est 7 heures bientôt il fait encore très-jour - le beau ciel - encore un été - comme l'an passé - etc ... [12] Après dîner, torride et stagnante. Les pieds cuisent, on sent battre ses [1] artères aux chevilles, sous le menton, au cœur, aux poignets, on doit tenir en l'air ù des embrasses ses mains déjà trop gonflées et moites, le moindre dîner Yous pèse, il faut défaire sa cravate, on souffle si prnfondément :2J, la cigarette qui ne quitte pas le coin de votre bouche est consumée en douze bouffées, la peau trempe. - Que je serais malheureux si j'avais des seins, et étais nourrice! Ou si, un de ces musiciens miiitaires f.3:, je demis sanglé dans un uniforme, souffler dans un trombone des clanaides, au jardin public. Ah être une mouche clans une cuisine aux [Il les [:2 8a crnrnte_. à force _d_csouffler, la cigarette [ô Ou s1111us1c1, eu 1111htairc, Je BibliotecaGino Bianco
- ü3carrelage arrosé, en province! Ou plutôt une éponge pasSi\·e, un corail an fond de la mer, incrusté à la même place Yoir le défilé de la nature sous-marine - Ou un bluet bleu, sur une faïence de Delf au dessus d'un empi- !rment d'étoles, dans la fraiche et toujours obscure arrière- -9outique d'un bric-à-brac sur les bords de la Séquane ! ou une fleur de rideau dans le salon propret et nu d'une heille fille à Quimper - Ou un héron. BibliotecaGinoBianco
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LES ROMANTIQUEASLLEMANDS ET LES SYMBOLISTES FRANÇAIS S'il était bien vrai que ce fût un aYantage de ,ne pas connaitre les choses pour en mieux discourir, on pourrait conclure que toutes les pages dont fut noircie la presse depuis quelques années au sujet des symbolistes, ont dù être singulièrement belles et riches en Yertus critiques, car jusqu'à ces derniers mois ce fut le moindre souci de presque tous nos ju~es ès-arts de chercher à savoir à quel fonds d'idées génera1espouvait bien puiser la jeune école. Tout au plus se préoccupa-t-on assez fréquemment des réformes prosodiques q_uetentaient la plupart des poètes nouveaux, et dont ils tirent eux-mêmes un peu inconsidérément le drapeau à agiter pour forcer l'attention publique. Il faut pourtant rendre cette justice aux symbolistesqu'ils nemanquèrent pas, dans les vingt petites revues que fait éclore tout renouveau littéraire, de développer abondamment l'idée qu'ils se faisaient de l'art et d'échafauder laborieusement d'hermétiques tours où s'étagea,lent tous les principes d'esthétique générale suivant la spfrale BibliotecaGinoBianco
- PGdesquels ils prétendent évoluer. Si donc on ne discuta pas plus tôt la valeur de ces principes, la faute en fut daYantagequ·à eux-mêmes it l'indifférence générale avec laquelle le grand public accueille toute manifestation purement littéraire, pour réserver tout son intérêt it des luttes di personnalités ou tout au plus au développement de c qu'on appelle des situations artistiques. Une des critiques les plus autorisées qui aient ét<'f.•aite récemment pour élucider Yis-à-vis du public un sujet où déjà les initiés arnient des notions plus nettes qu'on ne croit, est celle de :.\1. Brunetièr~, qui a résumé très nettement dans la Revite des Deux-Mondes les principes épars un peu partout dans les rem es symbolistes, et a dégagé des œuvres déjà publiées par les écrivains de la nouvelle école les lignes directrices consciemment ou inconsciemment suivies par eux. M. Brunetière, et cela ne surprendra personne, s'est acquitté de cette tàche aYec beaucoup d'impartialité et de justesse, et de telle façon que, bien qu'il n'ait pas ménagé les critiques, les symbolistes ont dù reconnaitre l'ampleur et l'exactitude de son jugement sur leurs tendances. S'il était besoin de le prçmver, il suffirait de se reporter it la réponse qui fut faite ù son article dans cette reYue même. M. Francis Vielé-Griftin y constate la manière parfaite presque de tout point dont~. Brunetière a porté la lumière sur des questions que presque tout le monde jusqu'ù lui semblait plutôt se plaire ù emorouiller. Nous voudrions aujourd'hui, nous en tenant aux conclusions de l'article de M. Brunetière, montrer la ressemblance frappante que présente le mou verneu t symboliste aYec un mouvement littéraire qui eut un retentissement considérable en Allemagne à la f!n du siècle dernier et au commencement <le celui-ci : nous Youlons parler des manifestations d'art et des œuvres dues à l'école romantique allemande . . Ona ditqu'il fallaitchercherl'originedumouvementsymboliste dans le perpétuel besoin de réaction qui se manifeste ù toutes les époques contre les doctrines ayant eu la BibliotecaGinoBianco
- Ü7 - prédominance pendant la période de temps immédiatement antérieure. Puisque depuis de longues années c'était le positivisme qui triomphait dans la philosophie et à sa suite en littérature, il était donc facile de prévoir quelles doctrines tout opposées se préparaient à devenir demain souYeraines. L"école romantique allemande fut de même une réaction fort vive contre l'esprit d'incrédulité et de scrpticisme tolérant du xvm• siècle, et contre l'influence qu'ayait exercée cet esprit sur les grands classiques allemands, influence que subfrent et qu'acceptèrent même les plus vrais poètes d'entre eux, et <1uiapparaît d'autant plus sensible qu'on en étudie la trace chez ceux de ces écriYains qui s'adonnèrent à des genres plus éloignés de la poésie. On ne connait guère en France cette école allemande, dite romantique, que par le livre où Heine a parlé d'elle, et on risque ainsi de s'en -faire une idée un peu fausse. Heine, il est vrai, a bien prouYé que le groupe romantique en Allemagne n·ail peu près de commun que le nomarnc l'é - cole qui eut aussi ce nom en France, et aussi bien aucun des critiques qui se sont occupés d'histoire littéraire générale n·a tenté de rapprocher vraiment ces deux groupes r,m de l'autre. Mais Heine, quoiqu'il sùt fort bien lui-même que le meilleur de ses toutes men-eilleuses qualités de poète pouvait à bon droit le faire se rattacher tout justement anx écrivains i-omr.ntiques, ne s'en est pas moins montré le plus souvent fort iujuste envers eux, d'abord pour d~s raisons purement politiques, et aussi sans doute parce qu'ils étaient ses clernnciers immédiats, ce qui peut servir c:hez les poètes, qui, après tout, sont des hommes aussi, il expliquer sinon il justifier de bien incompréhensibles inimitiés. · La lutte contre les devanciers était plus naturelle et plus explicable chez les romantiques eux-mêmes, et il faut dire qu'ils n'y faillireHt point, quoique les écrirnins quïls prétendaient. combattre, et combattre non seulement par de la critiqne mais aussi par des œun-es, fussent d~jà presque devenus des demi-dieux, puisque c'était tout simplemenL Gœthe et Schiller à qui ils s'en prenaient ainsi. On c01wiendra qu'il y avait h"t sujet ,·l d'aussi beaux tournois que ceux dont nous offre11t le BibliotecaGino Bianco
- 98 - spectacle nos écl'ivains symbolistes quand ils partent en guerre par exemple contre :M. Emile Zola ou bien :M. François Coppée. Et non seulement les critiques les plus acerbes des romantiques, comme Frédéric Schlegel, ne ménagèrent jamais leurs attaques aux idoles de \Veimar, mais chacun des écrivains du groupe ne manqua pas à exprimer ses sentiments d'hostilité contre une esthétique qu'ils jugeaient étroite, incomplète, presque antipoétique. Cependant c'était à un Gœthe qu'ils en avaient, c'est-à-dire à un uai grand poète malgré tout, et qu'ils reconnaissaient comme tel, malgré qu'il eùt selon eux faussement interprété le genre d'enseignement qu'il convenait de demander aux littératures latine ou grecque, malgré aussi ses préoccupations de ce que nous appellerions aujourd'hui naturalisme, malgré ses soucis d'économiste et de savant. C'est ainsi que Novalis, un des plus purs poètes qui aient été, et dont ses adver aires mêmes ont aYoué quïl avait senti et exprimé plus que personne la poésie de la poésie, a écrit de Willlelm,- rneister que c'était un Candide dirigé contre la poésie, et que ce livre, quelque poétique qu'en paraisse la composition, était anti-poétique au suprême degré. La plupart des œuvres de Gœthe apparaissaient ,l Kovalis comme douées des qualités « qui caractérisent les marchandises des Anglais, très simples, élégantes, commodes et durables. » On ne s·étonnera pas que le poète qui a encore qualifié . 1Vilhelrnrneiste1· d' « évangile d'économie politique » ait dit des poésies de Schiller qu'elles lui semblaient simplement être cc de jolies superfluités>>. Les reproches faits aux naturalistes et aux parnassiens par les symbolistes, s'ils s'attachent it des noms qu'on ne saurait guère raRprocher que par peu de points de ceux de Gœthe et de Schiller, sont cependant cl"unordre identique aux reproches que ne cessèrent de faire à leurs prédécesseurs les romantiques allemands. D'un côté comme de l'autre, on juge que ces prédécesseurs ont trop oublié que la vraie poésie est la plus haute expression de l'art littéraire, et qu'ils ont ignoré ou peu connu ce qui est l'essence même de toute poésie. Pour le cas présent, personne ne contestera par exemple que M. Zola, s'il atteint souvent une vraie grandeur épique, ait jamais BibliotecaGinoBianco
- 99 - cependant soupçonné ce que c'est que la poésie; et on peut d'autre part soutenir sans paradoxe que peut-être certains poètes ont pénétré plus que ne l'a jamais fait M. Coppée << l'essence même de toute poésie ». Cette même accusation faite à leurs devanciers par les romantiques allemands semblera au contraire quelque peu étrange à ceux qui ne connaissent guère de Gœthe que Faust, We1·ther, ou ses ballades, ou ses beaux lieds et chants lyriques; mais pour ceux qui ont pénétré tout le reste de son œuvre, et qui savent que c'est surtout cela qu'il aimait à défendre, elle étonnera beaucoup moins. On ne sera même plus tenté rle Yoit·de la présomption dans le fait de s'être attaqué à un si haut génie, quand on se rappellera qu'en agissant ainsi les romantiques se réclamaient d'une personnalité non moins haute, le philosophe Fichte, et qu'après celui-ci son continuateur Schelling, non-seulement se joignit d'enthousiasme aux romantiques, mais sans cloute même se laissa influencer singulièrement par leurs idées pour la seconde partie plus mystique de son œuvre. Fichte avait fait de l'idéal la réalité suprême, el considéré le m,oi comme principe de toute existence, comme créateur perpétuel du monde. Il parut aux romantiques que la plus vraie mission du poète était de rechercher et de retrouver le monde dans le moi, et qu'il fallait cloneen art se préoccuper non des mœurs ou des passions grossières de notre vie humaine et passagère, mais du mystère de notre existence divine et éternelle. Dès l'apparition du livre de Fichte, La Doctrine de la Science, Frédéric Schlegel et Nornlrs, tous deux encore à leurs débuts, font de cette œu \Te une étude approfondie. Bientôt tous les écrivains les plus en vue des romantiques sont en relations constantes avec Fichte, CL applaudissent avec passion à son enseignement. Si les symbolistes français prononcent peu souvent le nom de Fichte, c'est cependant à l'idéalisme tel que ce philosophe le conçut qu'il convient de rapporter leurs BibliotecaGino Bianco
- 100 - tendances. Ce que la Revue Wagnérienne et la Revue Indépendante, à l'époque où celle-ci avait un caractère assez nettement défini, appelaient philosophie et littérature wagnériennes, ce n'était autre chose que l'idéalisme fichtéen. Dès 1886, }If_ Teodor de \Vyzewa aYait fait obserrnr que les deux écrirnins qui eurent peut-être la plus profonde influence sur la littérature qui tend h s'affirmer aujourd·hui, nous voulons dire Villiers de l'IsleAdam et M. Stéphane Mallarmé, ont toujours été presque de purs fichtéens. « i\I. Mallarmé, écrivait M. de Wyzewa, admet la réalité du monde, mais il l'aùmet comme une réalité de fiction. Pourlui, la nature, avec ses ehaloyantes f0erie;:;et le::; sociétés humaines effarées, n'est qu'nn rêYe de l'àme, réel certes, mais tous les rê,·es ne sont-il:; point réels, et notre âme est-elle. autre chose qu'un atelier d'incessantes ficlions, souverainement joyeuses lorsque nous avons conscienr,e que c'est nous qui les créons? » D'antre part, nous pouvons lire dans la Claire Lenoir de Villiers de l'Isle-A.dam : « Die•1 n'est que la proj~ction de mon esprit., comme toutes choses; je ne puis sortir de mon esprit», et dans Axel : << Tu possèdes l'être réel de toutes choses en ta pure volonté ... Tu n'es que r,e que tu penses ... Tu crois apprendre, tu te retrouves: l'univers n'est qu'un prétexte à ce développemt~nt dP. toute conscience.» Pour qui sait que toute l'œuvre de \ ill,c,·;; ,'c l'Isle-Adam, comme celle de M. Stéphane Mallarmé, sont en chaque instant pénétrées de ce sentiment que nous venons de leur voir, il sera facile de découvrir des traces continuelles de l'importance qu'eut leur autorité sur la plupart des symbolistes. Dans leur ardeur que rien n'arrêtait, les romantiques allemands voulurent aller plus loin que Fichte. Frécl,él'ic Schlegel, s'écriait: << Fichte n'est pas assez idéaliste absolu, parce qu'il n'est pas assez critique ni assez universel, Novalis et moi nous le svmmes plus que lui. » Croyant aller plus loin, ils en vinrent à Schelling, qui non seulement se joignit à eux, mais plaçr.smême d,.ns son premier système l'art au-dessus de toute science, en proclamant que « l'intuition esthétique est la révélation la plus profonde de l'identité qui existe dans l'absolu entre la const:ience etl ïnconscience. ,> Dans sa Philosophie de la Nature, BibliotecaGinoBianco
- 101 - Schelling ajoutait: « La nature est pour l'artiste ce qu'elle est pour le philosophe, le monde idéal apparaissant sans cesse sous des formes finies, le pâle reflet d'un monde qui n'est pas hors de sa pensée, mais en lui-même. L'esprit de la nature n'est cloneopposé à l'âme qu'en apparence; en soi il est son organe et son symbole.» Combien toute autre tâche alors devra apparaître vaine, qui ne se proposera pas uniquement de pénétrer dans « le sanctuaire où brùle d'une mème flamme, en une primitire et éternelle union, ce qui existe séparé dans la nature et dans l'histoire, ce qui se fuit constamment dans la vie et dans la pensée. » N'est-ce pas là ce que, d'après M. Brunetière, tentent de faire aussi les symbolistes, dont le but lui a semblé être de tflcher à produire l'impression toujours plus profonde des correspondances intimes qui peuvent exister entre la nature et l'homme, des rapports secrets du sensible et de l'intelligible, de vouloir enli n " atteindre l' essen0e dont les manifestations se jouent à la surface des choses. » Ce que nous avons dit de la qualité d'idéalisme qu'on peut reconnaitre se dégager des œuvres des symbolistes, nous mène directement ù la question du symbole clans l'art. Si tous les phénomènes de la vie physique et de la vie morale ne sout q11edes manifestations difféœntes d'un principe unique, chacun de ces phénomènes pourra être appelé it suggérer cette existence supérieure qui est partout présente, et chaque objet de la natu1·e, chaque fait de la vie morale pourra et devra dernnir symbole. Et puisque tout dans ce panthéisme, car il faut rappeler par son nom, aboutit ainsi' à !'Esprit absolu, on conç-oit tout d'abord l'infinie complexité d'interprétation de toute chose, qui laissera donc aux poètes une source intarissable de symboles, où chacun pourra puiser sans cesse, sans que jamais la source ne tarisse ni soit seulement moins vive. Quant it donner plus de profondeur au symbole, et à faire en sorte qu'il se présente plus capable d'émouvoit· profondément, c'est précisément là ce qui constituera le vrai poète et le distinguera des simples manieurs de mots et d'images. BibliotecaGinoBianco
- 10:2Entendu dans cc sens, et tout le monde l'entend ainsi maintenant, le symbolisme date de toujours, puisqu'il est le fond même de toute poésie, et que tout ce qui n'est pas lui ne peut guère ètre qu'arabesque curieuse, ou exercice de rhétorique, ou simple travail d"analyse, qu'il est un peu puéril alors de parer du manteau de la poésie. Gest précisément parce que le symbole joue ce rôle synthéthique, et qu'il est appelé à fournir d'une seule fois un aliment aux sens, iL l'âme et à !"esprit, qu'il est d'essence supérieure il la simple comparaison ou à l'allégorie qui, elles, dit M. Brunetière « distinguent et séparent, pour l'exprimer alternati,·einent,ce que le symbole au contraire unit et joint ensemble pour en faire une seule et même chose.» Ce nom de « symbolisme » clone, quoique l'idée qu'il signifie ne puisse être re,·ei1cliquée comme l'apanage exclusira·un groupe quclconquecle poètes,était.toutaussi bon qu'un autre, et même était meilleur que tout autre pour signifier un renouveau de la poésie. Le groupe des romantiques allemands y eùt eu tout autant de droit que nos poètes les plus récents, car tout autant qu'eux ils eurent souci du symbole. Ce qui, selon Schlegel, donnait le plus de valeur à la poésie antique, c'était la beauté des mythes qu'elle avait enfantés; et le poète qu'il prisait le plus depuis l'antiquité, c'était Dante, à cause du merveilleux monde d'images et de légendes symboliques qu'il arnit su créer. Ce fut parmi les romantiques que nous ayons déjà cités, et parmi leurs émules amis, à qui trouverait les plus riches symboles, aussi bien clans la nature que dans les lé0 endes, les contes ou les mythes de partout qu'ils étudiaient sans relâche. C'est ce mouvement qui a déterminé Creuzer il écrire sa Symbolique, où il analyse tous les mythes des peuples de l'antiquité. Une des œu vres les plus remarquables dues à ce souci de symbolisme chez les romanti~ues allemands, et qui est peut-être le chef-d'œu ue de I Ecole, quoiqu ·elle soit d'un écrivain qui ne compte pas parmi les coryphées du groupe, c'est le roman cl'Oncline, de Frédéric de La Motte Fouqué. Ce petit line, outre ses autres qualités exquises, dont nous n·avons pas à parler ici, donne de manière parfaite l'exemple de ce quïl faudrait sans doute que présenBiblioteca Gino Bianco
103 - tât 1out symbole pour mériter d'être dédié à l'art. On y découne en effet une succession, une progression de sens, qui font de lui d'abord un conte populaire, de péripéties fort claire , et accessible it tous, aYec de parfaits tableaux propres à susciter en nous l'i mage des mille extériol'Ïtés où se complaisent nos sens; on peut y suivre en même temps le drame émotionnel de sentiments intensément humai>1s, dont moins de lecteurs déjà pourront percevoir toute la grandeur; enfin le poète appelle chacune des forces naturelles qu':l évoque, et chacune des situations émotionnelles qu'il crée, it nous suggérer des idées d'essence générale, qui ne pourront plus êLre1rnrc:uesque d'un nombt·e plus restreint encore de yecteurs, an:-:ieux de se rn.pproche1' en chaque instant de cet « esprit absolu » qu'ils voient au fond de tout. Les mêmes causes p1·oduisent, dit-on, toujours les mêmes effets. La toute-puissance rendue à la seule intuition estr,étique devait conduire les symbolistes aux mêmes règles, ou plutôt au même manque de règles que cela avait amené chez les romantiques allemands. Au lieu de tyranniser la liberté de l'imagination et du rêve, dit M. Brunetière, les symbolistes demandent que la poésie les rende ù leur essor. » Rendre ainsi le moi à la« volupté vagabonde du rêve », cela avait été aussi l'effort des romantiques allemands. Frédéric Scblegel avait dit:« La nature n·est autre chose que la fantaisie devenue perceptible par les sens »; et ce qu'il appelait être romantique, c'étnit le fait de Youloir e:-:primer un sentiment dans une forme uniquement déterminée par la seule fantaisie. Novalis pensait de même. « Le mur de séparation entre fable et Yérité, écrivait-il, entre passé et présent, est tombé; et c'est la foi, l'imagination, la poésie, qui nous dévoileront l'essence du monde. » On doit penser qu'avec de telles convictions, les romantiques allemands durent fuir comme souYerainement mnlfaisante et anti-poétique toute plastique, toute réalisation formelle, et c'est encore un point par lequel nous voyons se rapprocher d'eux les Biblioteca Gino Bianco
- 101.1, symbolistes, dont c'est le grief fondamental contre l'école varnassienne, qu'elle ne parvienne presque jamais à« rien suggérer au-delà de ce qu'elle dit, ce qui la met par conséquent dans l'impossibilité d'exprimer tout ce qui ne se peut complètement exprimer», c·est-à-dire clans l'impossibilité d'exprimer ce que doit justement rechercher arnnt tout la poésie. Héaliser des caractères, des personnages de physionomie déterminée, pensaient les romantiques allemands, c'est s'en fermer dans des li mites trop étroites, c'est perdre en profondeur tout ce qu'on gagne en délimitation, c·est revenir Yers le fini, alors que le devoir du poète est de chercher sans cesse ù pénétrer l'infini. Aussi pour enx, comme pour nos poètes récents, il n·y a plus de détermination de genres; et non-seulement tonte œuvre, mais même chaqt,e partie de chaque œuvre, doit produire à la fois tous les effets : lyriques, épiques, dramatiques. Le danger auquel cette recherche appelle ,·L faire succomber en chaque instant, c'est l'obscurité; et aussi bien c'est là le reproche principal qu'on adressa aux romantiques dïl y a cent ans, comme on le fait aux symbolistes cl'aujourd'hui. li n'a d'ailleurs guère jamais paru toucher ni les uns ni les autres. Novalis pensait que seules les impressions vagues, les sensations imprécises, les sentiments divinement indéterminés, sont en puissance de faire l)ressen tir ce qu'est le bonheur, et qu ï I était clonedu derni r de la poésie de chercher à faire naitre ce genre d'impressions par du ngue et de l'indéterminé aussi clans le style, clans la contexture de l'œuvre, et parfois même dans la pensée. 11faut bien croire que ses congénères en poésie jugeaient tout comme lui, car s'il est une qualité que leurs ennemis ne leur contestèrent jamais, c'est justement celle-là. C'est d'un assentiment â. peu près aussi général qu'on a constaté che;1,nous que la plupart des écrivains symbolistes possèdent également au plus haut point ce qu'ils appellent la Yertu de l'obscurité. Poe écrivit un jour : « .L'erreur des poèt1~s novices est de se croire sublimes chaque fois qu'ils sont obscurs, parce que l'obscurité est une des sources du sublime; ils confondent ainsi l'obscurité de l'expression aYeCl'expression de l'obscur. ,> li semble bien que plusieurs des symbolistes ont négligé de se rappeler cette dernière parole de Poe. Jl est vrai que si on BibliotecaGinoBianco
- 105 - leur reprochait cet oubli, ils ne manqueraient pas de ré~ pondre, puisque personne n'accepte plus aujourd'hui d'être en aucun moment considéré comme un poète novice, que ce n·est donc pas à enx que peut se rapporter ce jugement. Dans son curieux Art poétique, M. Paul Verlaine donne aux poètes des c0nseils qui semblent bien aYoir été précieusement écoutés par µne grande partie de la jeune gtnération. On y lit en effet : « Rien de plus cher que la chanson grise Où !'Indécis au Pré•;is se joint . . . . . . . . . . . . Car nous voulons la Nuance encor, Pas la couleur, rien que la nuance! ............ Prends !'Eloquence et tords-lui son cou! De la musique encore et toujours! » Si nombre de jeunes écrirnins ont paru aller plus loin encore que ne le recommandaient ces lignes du poète, cela provient peut-être de ce que, plus que lui encore, ils aYaient souci de produire une imp,·ession complètement musicale, cal' ils se persuadaient de plus en plus que les lois constitutives de l'art du Yers sont des lois toutes musicales de rythme et d'harmonie, et qu'il convient clone de demander au Yers non plus un rytLme trop souvent factice, mais un rythme basé réellement sur les sensations auditives produites par la lecture normale du Yers, et une combinaison plus consciente, sinon plus saYante,des effets d'harmonie qu'on ne remarquait cruère jusqu'ici qu'à la rime, et que pourtant il serait faciÎe d'analyser dans leur belle complexité r.hez les grands poètes antérieurs qui les ont produits, tout d'instinct et par la seule vertu de leur' génie, même lorsqu'ils croyaient ne s'inquiéter que cln rôle spécialement réservé à. la rime dans leurs compositions poétiques. C'est sans cloute ce désir de combinaiscfns harmoniques plus fines, plus discrètes, plus immatérielles, qui doit être considéré comme la principale cause des réformes de BibliotecaGinoBianco
- 105 - langage par lesquelles se signalent aussi grand nombre des œunes rdcentes : extension du vocabulaire usuel, emploi de mots archaïques et de néologismes, essais de nouvelles formules syntaxiques moins uniformes et plus fluides. Le plus grand tort de ceux que séduisirent ces tentatives, fut d"oublier de se rendre compte si elles se pliaient toujou1·s bien réellement au génie foncier de la langue. Les romantiques allemands chercMrent tout autant à donner à la langue qu'ils écririrent ces qualités musicales qui leur paraissaient les plus aptes à servir leur idéal d'art. Les langues n"étant pas les mêmes, les moyens par lesquels ils le tentèrent durent être différents, et il serait superflu d'en parler ici, mais ils poursuivirent le même but avec persistance, et récole romantique allema.11tle fut maintes fois appelée école musicale par les critiques d'outre-H.hin, qui ne manquèrent pas de releYer, comme il nous serait facil.e à nous-mêmes de le faire pour les symbolistes, l'abondance d'œuvres dont le titre est emprunté aux termes en usage dans la musique. Et sans doute faut-il croire que ces préoccupations ont prêté un charme réel à l'œuvre des romantiques allemands, puisque le critique Hettner, que ses préférences personnelles ont engagé à juger le grnupe romantique avec un peu de shérité, s'est vu contraint, voulant être impartial, d"avouer que'< tout justement à cause de cette base musi- <:alesur quoi elle se fonde, cette poésie \'ient faire vibrer nos cœurs d"une manière si saisi:;sante et si profonde, si gracieusement 1•ieuse ou si émournnte, qu·on a peine à imaginer que puisse jamais pan·enir it un résultat aussi intense une poé<;ieplus plastique, fù.t-ce mème celle des plus grands poètes. » Il est un point des doctrines de l'école rnmantique allemande qu'il semblera de prime abord moins facile de rapprocher de cç qu'il semble que soient les doctrines symbolistes : nous Youlons pader de l'importance considérable qu·attachèrent aussi ù. l'ironie et à l"humour théoriciens et poètes parmi les romantiques allemands. Tieck, BibliotecaGino Bianco
- 107 - par exemple, écriYait : L'ironie est le parachèvement d& toute œune d'art, c'est cet esprit sublimé qui plane à l'aise sur le tout et joue librement aYec lui. )) l\I. Paul Verlaine, au contraire, dans son court poème, Art poétique, que nous avons déjà cité, dit encore : « Fuis du plus loin la Pointe assassine, L'Esprit cruel et le Rire impur. » 1 'ous pourrions faire observer que i\I. Paul Verlaine lui-même, même dans ses meilleures pages, ne s'est pas toujours gardé contre ce qu'il recommande ainsi de fuir du plus loin; mais d'autres s'en sont tenus à la vérité fort éloignés, et non seulement ont fui la pointe et l'esprit, mais nulle part n'ont laissé place en leur œuvre ù. ce que les Allemands appellent l'ironie et l'humour. Tous les romantiques allemands ne l'ont pas non plus cherché, mais pour montrer que tout ce qui distingua l'école romantique allemande, peut se retrouver ici ou là parmi les poètes symbolistes ou les ainés dont· ils subirent l'influence, nous n'aurons qu'à rappeler combien ces qualités d'ironie et d'humour sont manifestes ·chez villiers de l'Isle-Adam par exemple, et aussi dans l'œuvre admirable, si tristement écourtée par la mort, de Jules Laforgue.<< L'humour, a dit tncore Hettner, est le plus bel enfant de la douleur et de la mélancolie, et ne commence à vraiment viYre que là où il y a douleur et mélancolie. >> C'est en vertu c1·unc même façon de juger qu'on a parfois tenté de rapprocher ce sens de l'ironie que Laforgue eut à un si haut Jegré de l'humour de Heine. Un excellent critique allemand, M. Paul Hemer, dans une étude sur les tendances actuelles d'une partie de nolre littérature; a très Lien établi la différence qu'on doit pourtant y Yoir : cc Dans Heine, dit-il, le sentiment, la fantaisie, et l'ironie, dominent chacun à son tour, l'un chassant l'autre; chez Laforgue au contraire les trois ennemis sont réconr,iliés et s'en vont constamment la main dans !a main, sans qu'aucun cesse un seul instant de faire sa partie dans le concert de l'œune. » BibliotecaGinoBianco
103 Un dernier point qui resterait à traiter, c'est celui du sentiment religieux qu'on pressent bien devoir être une conséquence des principes que nous ayons reconnus communs aux romantiques allemands et aux symbolistes, car dans une telle façon de concevoir la poésie, art, philosophie et religion, arrivent Yite it se confondre. Kornlis ne cessa pas de proclamer la néce ·s:té <le cette union. Elle préoccupa aussi longuement \\'ackenroder et Tieck, et sul'tout Schleiermacher, dont les œuvres, ayant qu'il ne se confinftt dans le protestantisme, furent d'admirables poèmes sur le sentiment religieux. Tous les écrivains de l'école ont lu Jacob Bœhme et les autres mystiques. Quelques-uns se convertissent solennellement au catholicisme. On sait comment Schelling lui-même finit par donner à la religion le rang suprême dans sa philosophie. Gœnes, auteur d'ouvrages fort beaux sur La Mystique est un des romantiques. c·était d'ailleurs un courant tout .'t fait général. C'est de la même époque que date l'école allemande de peinture, dite école chrétienne, qui donnait comme unique fondement à l'art l'inspiration et estimait que l'inspiration n'était donnée qu'i't ceux qui avaient la foi. F. 8chlegel était aussi le théoricien de ce,; peintres, et comme .luimême, la plupart d'entre enx se convertirent au catholicisme, et même allèrent vivre à Rome. Ce courant, pour ne pas exister peut-être d'une façon aussi caractérisée chez nos symbolistes, n ·en apparaît pas moins très clairement non seulement à qui connaît les sentiments personnels de tel ou tel d'entre eux sur ce sujet, mais encore it qni pensera qu'en effet c·est là une conséquence iné,·i table des idées fondamentales dominant toute l'école, et observera qu'il serait facile de réunir en un faisceau probant, mille traces de religiosité et de mysticisme un peu dispersées dans les œuvres. 'ous n·arnns pas ici à faire ressortit' les différences profondes qui existent entre nos romantiques frarn;ais et nos synrbolistes. Toutefois pour spécifier l'une d'elles, nous remarquerons en passant qu'on ne saurait prétendre que nos romantiques BibliotecaGino Bianco
- 109 - aient vraiment eu le sentiment religieux. Ils purent, par désir de pittoresque, choisir des sujets religieux, écrire des N'Jtre-Dame de Pm·is, mais sauf Lamartine, qu'on ne rat.tache aux romantiques que faute de savoir où le classer, aucun d'eux, à commencer par Hugo, ne sut jamais ce ,1ue c'était que le sentiment religieux, tandis que les œuvres de Villiers de l'Isle-Adam, de M. Paul Verlaine et d'autres encore d'aujourd'hui, en sont toutes pénétr~es. Nous n'avons prétendu discuter ici ni le degré de vérité de.;; théories que nous avons rec~nnues communes aux romantiques allemands et aux symbolistes français, ni encore moins la valeur en soi des œu vres produites par <'~'- ilfmx écoles. Cette dernière tâche d'ailleurs serait prématur<3e,n11isrrueaussi bien, les précurseurs laissés â part, les écriv,li11-;qu'on appelle à proprement parler les symbolistes n'en sont guère qu'ë't débuter, et sont ·donc surtout jusqu'ici riches de promesses. Les romantiques allemands en firent de tout aussi admirables, et comptèrent dans leurs rangs de vrais grands poètes; cependant on ne peut pas dire qu'ils aient jamais, ni de leur vivant, ni depuis leur disparition, reçu la consécration d'un n-ai succès. On les plaisante moins aujourd'hui qu'ù. l'époque où ils vécurent, mais on n'est généralement pas moins sévère pour eux. La même sévérité sera-t-elle réservée à toujours aux symbolistes, comme dernier trait de ressemblance avecles écrivains auxquels nous les avons comparés? L'avenir seul le saura. JEA:s' TIIOREL. BibliotecaGinoBianco
A PROPODESSC. IIA.NSONS D'AMA.NTS L'opinion critique de M. Gustave Kahn, qu'elle soit écrite ou parlée, est toujours intéressante, et bien que l'interview nous ait apparu de loin, et se soit définitivement acclimatée, for/ne littéraire des moins parfaites, ce n'est pas sans plaisir que nous cherchâmes, avec circonspection, il est vrai, quelques nouvelles formules dans ce n° 2,602 de l' Eclw de Paris, journal dont la lecture ne nous est pas habituelle. Kous nous sentîmes un peu dé\u mais d'autre part fort it notre aise - tel qU1 retrouve d'anciennes connaissances vieillies sans doute, mais toujours semblables aux souYenirs. Passant lüti',ement sur le prologue, où l'interviewer fastidieux jugeur se montrait particulièrement agaçant, nous eùmes une lettre tronquée - pourquoi ce huis-clos sur certaines idées? - : il y était question du « symbolisme », du « Yers libre » et, surtout, de la reYendication - justifiable, -peut-être, mais si futilP- - d'en avoir inauguré la. pratique; qu'importe cela en effet? Je Yers du Hugo a été inventé par Vigny - le plagiat? mais Virgile, ma_isShakespeare'! Laissons aux historiens des Lettres discuter et fixer ces l:hoses de chronologie. - Puis s'exprimait une rancune peu dissimulée contre M. ~Iallarrné; Yoyoils : peut-on en vouloir à ce très noble poète et à ce très honnête homme de ce que M. Mendès a cru habile de faire couper dans cet interrogatoire les choses gracieuses que l'au leur du Faune y avait dites de l'auteur des Palais Nomades? Une rectification exigée par M. :.\Iallarmé arnit du reste, et pleinement, déjoué cette manœuvre. Au surplus, l'écrit de M. Kahn semblait BibliotecaGino Bianco
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