PREMIÈRE ANNÉE PRIX I VINGT-CINQ CENTIMES ENTRETIENS POLITIQUES & LITTtRAIRES SOMMAIRE: J. - Jean E. SCH)HTT. - A Propos du 1· Mai. JI. - Paul ADAM. - Les derniers jours d'Alexis le grand Comnène. 111.-Henri DJi; RÉGNIER. - .Puvis de Chavannes. ]V. - Georges LECOMTF.. - .Japon. V. - Francis V1EL1i:-GRIFF1N. - La Phonogrnphie. \ï. - Gec,rges VA~OR. - Notes et Notules. PARLS LIBRAIRIE DE L'ART INDÉPENDANT 11, rue de la Chaussée d'Antin, 11 Le 1" Ju:n 1890 t · ilioteca Gino Bianco
Bi 1lio c , Eî'1'TRETIENS POLITIQUES ET LlTTÊRAIRES Paraissant le l" du mois. Abonnements : six mois : 3 fr.; - un an: 5 francs Pour abounmnents, th•pôts, etc.u s"at1..-esse•• dit•ectemcnt à l\f. Edn101ul .Haill3·. 1 :1 rue de la Chaussée d' Antin. LIRE "ART ET CRITIQUE" INCONTESTABLEMENT la plus intéressante et la plus complète des Revues hebdomndaires. Bureau, 71 -rue des Canettes.
A PROPODSU f' ~IAI La journée du jeudi, premier mai 1890, revêtit selon les villes et les peuples d'Europe des caractères divers; il est it peu près impossible de présumer quelles en seront les conséquences; cette entente significatiw d'une forte proportion des populations ouvrières doit faire réfléchir, bien qu'elle n·ait été parfaite que pour accepter la date conYenue et prendre l'engagement de manifester publiquement de façon quelconque : mais cette journée est inquiétante parce qu'elle est le signe et la menace d'une anarchie déjà créée,e1wahissante, et qui peut bouleYerscr les conditions sociales si les gouYernants ne se décident :1 intcnenir aYec des intentions de justice et de loyauté. La crise est due aux gom·ernants. aYidcs, pour euxmêmes ou pour leurs états. d'argent. de situations, de force militaire, ou de prééminence politique. ll n'est pas nn état d'Europe qui ne soit ù la limite exlt'ême (quand il ne l'a pas dépassée, comme l' llalie) de son équilibre économiquc,au point Jù <;etéquilibre qui doit être stable,et qui l'est naturellement, deYient instable. clans le sens math{•- matique, et entraîne l'effondrement. Les gouYernants ignorent ce que peut être l'hygiène des grands organismes it eux conliés; ils ressemblent aux entraîneurs poussant leurs chevaux jusqu'ù rétat où le moindre effort supplémentaire fait claquer quelque membre ou rompre quelque organe, quand ces désordres ne se produisent même par le fait seul de l'entraînement intensif. Mais il est infiniment veu probable que les souverains, les cabinets ou les chambres se décident à prendre en BibliotecaGinoBianco
- 66 - main lrs on\ib cl sur eu-x-mêmes le:; responsabilités de,- l>E>,-og-nseosciales urgente,-: pourn1 que le fonctionnement (lr;; grandes machines financières et industrielles soit :lssuré. leut· conscience est tranquille et leur intPlligence s·cnorgucillit. .Jusqn'ù un certain point ils ont raison,car si ces machines fonctionnaient réellement bien, tont irait pour le mieux. ;,Ialhemeusement la contemplation des rouages et comhinaisons snpérienrs distrait souYent de rétude des malérianx qui forment le soutènement de la machine ou alimentent la Yoracité de ses organes. Quand un jour la base s·effondre pour aYoir été surchargée, ou ébranlée par un traYail excessif, on s'aperçoit que tout avait été négligé pour la consolider. on se lamente. mais la machine est par terre. Une grèYe, une révolution, sont des accidents sociaux analogues: l'é'goïsme des gouYernants fut toujours a,·eugle à les préYc1lir, et quand le peuple surchargé se retire du fonctionnement économique qui récrase, ils s'indignent (eux qui aimaient tant le peuple!), mohilisent des régiments pour réprimer les troubles (eux, fils de révolutionnaires) sans Yonloir reconnaitre qu'eux-mêmes les ont causés. i\Ion but n·est pas d'attaquer les gouYernants; je note seulement ceci : que toujours ils commirent des crimes contre le peuple et, par suite, contre l'Etat, et que toujours ils commettront les mêmes crimes tantquïls n'auront pas la responsabilité de leurs actes. Pour de la justice et de la loyauté, ils n'en eurent jamais spontanément, d'autant moins qu'ils faisaient partie de gouvernements pins libé'mux: ils en montrèrent un peu plus quand la menace d'nn châtiment autocratique demeurait suspendu sur leurs têtes. La Yieille querelle entre Trarnil et Capital n'est pas la cause unique de cette manifestation unanime; ou plutôt, cette cause fondamen.tale est partout profondément dissimulée sous des systèmes de rcYenclications locales,plus ou moins fondées en droit, en justice ou en raison. Pourtant les manifestants ont cru devoir arborer une formule unique, brandir un seul guidon :Diminution des BibliotecaGino Bianco
- 67 - heures de t.ranil, augmentation des salaires. (L'une de,; deux réclamations implique l'autl'e.) Remède séduisant, que les travailleurs s'éblouissent it entre\'Oir appliqué, dont les industriels- s'effarent clan,; lem certitude qu'il e:;t illusoire autant que clans leur amour du gain. Tout d'abord, on est bien forcé de co,wenir de ceci: que s'il était possible d'améliorer aussi ai;;,ément la condition des traYailleurs - sans ùouü·rerse1· l'économie génfra/1• - il faudrait y consentir :'1 tout prix. :\falhcureusemc11t il n'y a ,weun exemple. dans lï1isloirc écouomir1uc et ;;ociale des Etats, 11tl't111cloi nl'éc dans le bnl de rcûrcs,;<'I' dircclcmcnt un abus (fneleonqu<'. eut amené une amélioralion 1·é<•llc:cal' le:; lois. ouln' leur d•sultat immédiat cl appa rcnt, ont des résu I tais ~cconclaircs déj;'t di rticilcs ù [)l'é\'Oil',CLdes ré,rnlLats lertiairrs tout ù faiL impré,·isilJlcs mèmc poul' les esprits les pins clair\'Oyants. On ne doit légiférer qnc le moins possible: une loi est si ,;ou,·cnt une restl'iclion clans le fo11clionncmcnt organiqne, qu·on pent dire qu'elle est presque loujom·:; Ull!' atteinte ù la lihcrlé. l•:t sïl est q11e1<1uceliosc de sané, qua11L ;'1 salih<•rlé,c'esl le trarnil. llfa11lsi111plilicrlcslois: il l'aut flu'cllcs l'Cdc1·icnncntla protection des principes 1·itaux, jamais il n·cn faut créer lLUitrcs, ù rnoins de leur donner le caractère d'ordonnances momcnLanécs, ;;'abrogeant par la disparition des néccs:-;ités immédiates. Admettons qu'une loi établisse le sy:-;tè1ne des huit heures et impose un tant pour cent thwgrnentation dan,; les salaires; admettons aussi que celte 101 ne soit impo::;éc que transitoirement pour attendrr ou proYoqucr des améliorations; que se passcra-L-il? La brnsqucrie mème des modiftc,ttions entrainées par cette loi empêche de présager rien de certain : modilication du prix des produits, finissant par rétablir un éLal analoanc il l'état actuel; commerce dirigé aut!·emenl; introcfuction sur notre marché de produits exotiques dans des proportions incalculables, désa::;trcuse en tout ca:; pour notre production; migration de populations onHièrcs 1·ei1ant troubler le bicn-ètre des plus heureuses; équilibre économique compromis ou boulel'Crsé, puisqu'il est cléj;'Lsi menacé partout; dissimulation des capitaux cl BibliotecaGino Bianco
- 68 - leur retrait de la circulation et du commerce, etc ... il est certain que tout changerait; mais il est tout aussi certain que les améliorations promises et attendues demeurent problématiques. Pense-t-on que les prolétaires demeurés prolétaires faute de traYail, d'aliments, consentiraient à vivre plus longtemps sur leurs territoires trop pauvres sans songer à leurs Yoisins plus heureux? que les populations favorisées se laisseraient dépouiller? On s'aperçoit que le triomphe général du parti travailleur non seulement n'amènerait aucune amélioration réelle, mai:; encore ferait surgir entre les nations des conflits à peu près identiques à ceux que pourrait provoquer la politique internationale la plus maladroite. ~I. de J\Ioltke affirmait il y a peu de jours encore une chose qu'on ne eomprend pas assez, bien qu·on l'entende répéter tous les jour,; : << Les éléments qui menacent la paix sont dans les peuples, dam; le,; classes malheureuses qui 0hen-hent ù améliorer lenr ,;ituation ; on ne fait plus que des gnenrs de peuple ». ~i l'on ponrnit ll1C'llre,;ous les yrnx du prnple l'abime de misi're,; et de eala11tité:1où il se précipite; si l'on pouYait lui laisser rnlrernir rn sa réalité de rui11es et dr ,;ang la i::at,hlrophr (!"une' guerre pop11lairr. c1·u11egncrrc de nwes. il li{,silerait s1·11·e111,'11l rt ,;'arrèlt'ntit pcut-c;trc sur la pe11k: et si lr,; go11Yrr1i.111<h'nlrcYoyairnt ees u1alhe11r,; irré111édiai>lcs, pe11l-l'lrc sP dl·eidernie11t-ils ;'t fairP q11el- <1ueel10se. ~fais prédire Je,; uwlheurs fut toujours inutile. Preno11,; la <1ueslion autrement. Le peuple, las de peiner et de pâtir. réela111eune plus grande aisanee dans la Yie. LI souffr<' et comme on lui répète depuis cent <:incpante ans que lui seul existe, que lui seul importe, qu'il rst tout, il veut agir par lui-même pour son bien; il Ycut devenir 1:;onpropre dispensateur de bonheur futur. Il prétend connaître, lui seul, le uai remède ù son mal, et dans son ardeur ,\ réclamer ce qu'il juge être l'équité, il en arriYe à se ernire identique à luimême dans toutes les nations, clans toutes les races et ne tient plus eompte ni des différences de nature, de mœurs, BibliotecaGino Bianco
- (j() -. de besoins, de cil·i!isation même, qui séparent les peuples les plus analogues de l'Europe. Quelle folie de ,·ouloir uni lier l'emploi du temps, quand des êtres YiYantcôte ,'i côte, de la même ,·ie sociale, dans la même industrie, n'utilisrnt jamais les heures de la même manière; qünnd le repos du dimanche, utü\'ersellemont adopté, est aussi bi;,rnrrement employé, allongé ou raccourci. (.)nelle eneu1· de Youloir moditier uniformément le taux des salaire., qui dépendent de tant de causes justifiées ou iniques, quand les uns mériLeraient tout autant d'être diminués que d'autres éle\'és. (Jucl inquiétant remède qu'un remède absolu! E\'idemmcnt le nai remède existe, mais qui le connait ù cette heure 1 En retournant sur toutes ses faces la question des salaires, ou plus exactement, de la rétribution du tniYail, on poussant très loin l'anal_,·se du mal dont les trn,·ailleurs souffrent, on ani\'O .'t ceLleconstatation: que l'écart entre ht rnleur du travail et la rnlour de l'argent o::;ttrop considérable, et quo les causes de cet écart résident principalement on ce que des intermédiaires trop nombreux et Lrop aYidos empêchent les rapports d'être nonnaux entre los producteurs et les consommateurs. Le traxail (immédiatement payé) donne seul aux matières brules la ,·aleur absoluequ·ellespossèdent;la n1leur du produit créé, rC\'endu plusieurs fois, augmente do tous les hénélices qne les re\'endeurs prélèYent aussi grands qu'ils peu\'ent les exiger; pendant ces re\'enles, des intermédiaires financiers possédant des capitaux disponibles aY,tncent ,tnx industriels et aux commen;anls dos fonds et prolilent de ces aY,rnces ù la production et au Lraflc pour les leur faire pa~·er aussi cher quïb peuYent; onlin l'un des commerçants intermédiaires, possédant une quantilé importante du produit, peut se permettre, au moment où le produit manque ailleurs. d'en réclamer un prix aussi éleYé que les nécessités obligent les consomma leurs il lui payer. \'oilù déjù bien des causes do ,,trialions: ce sont les moindres, les moins graYos: elles sont on partie conlrebalancées par la concurrence, mais elles sont déjil trop puissantes: d'une façon générale on peut dire que les commer<;ants ont trop de facilité BibliotecaGino Bianco
- 70 - à s'enrichir, et que les banquiers prélè,ent trop pour les services réels qu'ils rendent. :.lais voici bien antre chose: entre rélaboration d'un produit et son paiement par le consommateur s'interposent : 1 ° la nécessité d"amortir les capitaux engagés dans l'entreprise industrielle (ce qui est inique, car l'argent transformé on échangé contre une installation clïndustrie ne doit pas être amorti, recréé intact en tant que capital, puisque ce capital argent est représenté par des matériaux produisant des intérêts): 2° en outre de l'amortissement, et quelc1uefoisdissimulé avec lui. l'intérêt de l'argent anrncé, aussi éleYé que possible grflre aux prix de Yente des produits qu·on lance dans le commerce ù nne cote que la conc·nrrence seule fait fléchir; 3° les Yariations dans la Yaleur même de la propriété industrielle, variations dues à des trafics sur la ,:aleur représentatiYe de cette propriété, Yariations qui ont une influence lointaine sur le prix des produits par les facilités ou les dilïicnllés qu'elles créent dans la vente de ces produits: ~0 les variations clans la rnlenr de rargent lui-même, ducs aux trafics purement financiers sur !"ensemble des titres de propriété de lïndustrie en qnf;)stionet de toutes les autres. industries ... Llserait loyal, de trarnilleur ù industriel, que ces rnriationsprofi tassent aux traYailleurs etanx industriels, ponrla quo tepart des mérites de chacun; mais ce:=r;nriationsmème n·ont rien de lo~·alen elles-mêmes;l'industriel profite des gains et pùtit des reYer:=;de fortune, rou nier pfttit des. reYers et ne profite pas de:-;gains; et comme, par retour, les ouuiers sont le plus grand nombre des consommateurs, il se trouve qu'ils ont trarnillé beaucoup pour euxmêmes et que des trafiquants, interposés entre son trarnil et sa consommation, lui ont pris une énorme part de ce travail sans m6riter par leurs sen·ices (réels, je le répète) le prélèvement excessif qu'ils osent exercer. c·est U qu'il faut chercher le remède; mais je n'irai pas plus loin que cette indication; il faut du temps pour établir un ordre économique plus honnête sans houleYerser les systèmes actuel;; qui ont du bon et qu'il suffirail de redresser. Pou1tant j'ose affirmer que le peuple en général n'accueillerait pas aYec bienveillance celui qui aurait le courage de rcclamer de lui la patience el le stoïBibliotecaGinoBianco
-71 - cisme quïl faut pour attendre les réformes à longue échéance. Supposons toutefois que le peuple possède le secret du remède et <Juele bien (1uïl mérite lui soit accorué, et considérons ce qui se passerait en France si cette admirable utopie de,; huit heures et du salaire augmenté se réalisait aujourdîrni pour l'Europe entière. ll y aura d'abord un splendide moment d'enthousiasme et de fraternité; les ou nlers mangeront leur part de nourriture et jouiront de leur part de repos. lis s·rnYerront .'t tra,·ei•s les frontières des félicitations, des protestation,; fraternelle,;, pendant quelques jours. Et bientôt, pour une raison quelconque : surabondance üe,; produits, pléthore de population, ambition des traY,tillenrs dont le gain chez eux est relathement inférieur au gain chez le:;; YOi:;;ins,ou même implantation de groupes ouvrier,; éLranger:;; sou,; couYert de fraternité; pout· d'autres raison,; encore, irnprén1es, spécieuses, des dif!icultés naitront enLre nations onHieres; il sern moralement impos,;ible de refuser ;'t des frères malheureux la part de Yie qu'ils réclameront; les nations prolifique,; imposeront leur nombre aux nations moins dense,; on plus riches; leurs besoins et lems forces s'érigeront, comme de tout temps, en lois irnpre::;criplible::;. .\lors le mot de ..\I. de ..\Ioltke seàt prouYé : <, Les élémrnts qui menacent la paix sont dans les peuples, dan,; le::;clas::;es malheureuse,; qui cherchent ù améliorer leur ,;ituation. » Alors on ::;ern bien forcé de ::;·organiser contre lïnva- ::;ion, et c'e::;t nous qui serons cnrnhis; il faudra bien reconnaitre que nous, frant;ais, ne pou rnns <rue perdre it l'inLrnsion (l'éLrangers r1ui. n·ayant pas le,; besoins créê,; par notre ci rilisation, peu ,·c,it produfre nos besog1Jcs plus ai::;ément, ù meilleut· co111pteque nous. l.ls Yiendront diminuer ht quantiLé de joui::;sanccs auxquelles, y étant accoutumés. nous croyons a,·oi1· droit. Ces gens s'imposeront ù. nous grùce aux lois que nous aurons promulguées, feront re1rnitre le::;confits internationaux que l'organisation générale de notre pays, alors 1fout-être négligée, ne saura plus prévénir. BibliotecaGino Bicn: co
- '72 - Que les ou uicrs tiennent compte de cc qui se passe tons les jours dans les chantiers e1wahis dïtalicns cL d'allemands; qne serait-cc si les étrangers pouYaienls'arrogerun droit créé par nous pour nous rédamcr leur pari de tranlil, nos huit heures accomplies! .\près la guerre de '70, j'ai YUde quelle façon les ouHiers d'une grande ville de l'Est recernient des om-rins alsaciens : « QuïJs restent chez eux, nous sornm.Js déjù bien assez ... » et les injures, et les reproches de Yi\Te de pommes de lerre; si la grande senliment.1lité palriotic1ue n·an,il dominé tout, maun1is pa1'li eùt été fait ù ceux qu·on nppelail « tètes canées», comme les purs allemands. ôi de tels conflits pournient menacer, on s·apen·euail que les grnndes nations de l'Europe sont de~ organismes trop homogènes, trop indi \'itlués pour se laisser fondre les nns clans les autre~. On reconnailrait, trop tard penl-ètre, que les races existent.<'ohésh·es, trop différentes dans leur en,;emble pour êt1·c fusionnées ou mème comparées. Et nous, Fran(.'ais, gallo-romains, nons comprendrions enfin que nous sommes les dcl'lliers représentants de la Yieille romanité, et nous lutterions enc-oreune fois contre tout le ;·este, car, Dieu merei ! nous ,l\'ons encore trop de Yitalité pour nous soumettre définilirnmenl et sans résistance ,·l des races qni, en somme, ne nous Yalent ni par la générosilé, ni par le génie, ni par la sincérité, ni par la tolérance. (Ces qualités sont aujourclîrni moins apparente::; qu'elles ne furent, mais qu'on voyage un peu .'t l'étranger! et si quelque vertu isolée se rencontre plus grande chez tel ou tel voisin, qu'on cherche le Yoisin en possédant autant que nous.) Enfin, le jour où nous sentirons profondément que nous sommes la France, et qne notre existence est importante - car elle garantit, plus que celle de toute autre nation, la ch'ilisalion latine et chrétienne; - nous retrouverons la tradition perdue depuis Louis XlY du rôle prépondérant et admirable que nous deYons tenir pour exister. Sans doute, le peuple français ignore ces traditions que rien ne lui apprend, que trop clïntéressésluiclissimule 01 t; il ne sait pas assez ce qu'il est: le peuple, chair de la naBibliotecaGino Bianco
- 73 - lion, Yent être cerYeau et se laisse tromper, subornei·, éblouir, en attendant qu'on l'écrase; et pour qu'il en soit un jour réduit it cette improbable extrémité, cela lui est facile, il n·a qu'it continuer. ~fais il faut le dire hautement: il lui est possible do retrouyei· ses traditions fondamentales sans attendre quo les éYènements sanglants la lui imposent. ::s;apoléon Hl a failli retrouYor la Yoie normale; sa tenible chute, on sait à qui surtout elle est due, et,je n'oserais aujourd'hui critiquer la faiblesse de cet empereur non plus que l'audace cl'aYeuglr.ment de ses ennemis du dedans Cne ro~·aulé se recréera, spontanément: soit que les choses politiques restent en l'ébtt et amènent le di<::tateur militaire dans le cas de conflits internationaux, ou le dictateur politique dans le cas de troubles intérieurs; soit que le jeu régiûier des institutions se perfectionne an point de démontrer que la centralisation du pouvoir dans la mème main réalise soule le pouYoir de l'Etat. Le roi seul peut prendre sur lni d'arrêter les mah·ersalions auxquelles se li Hent les financiers modernes et <Jnifont la misère du peuple. Et il faut qu'on le sache bien : en ce pays monarchique de France le sang des rois n'est pas épuisé; et l'esprit dos dieux dominera toujours le monde. ,h:Ax E. Scmnrr. BibliotecaGino Bianco
LESDEHNlEHJSOeRSD'.\LEXIS LE GR.t-LYD C02vLYkYE .lnne ·cv111nè11e;raiw 1<' de l({ fa111ill<'impé1·ialr>, ayant acquis une haute ,·éputatio,, cle .sc1r1es.,e t de sa roi,·. <:o,1.,pi1'ail arec l'aide de sa 111è1·eC, impé,-a/1•ice I1·è,1e. c-onti-c son f1·è1·<1'i11înt!.Jran 1,alos. ltoil' c-oa1·onné r!Pjà et dësir;né pou,· Ü! t,·â,1e. Il s·agiss({il de frti,·e (·ha,zve,- {oui,·!' de s111·(•e!<.,io,i pa,- Ce111p1:1·(•111· ll'ès p,·oclie de la nwl'l et fJtte lu11,-1}1(:,itaie11t clc fréq11ents, clc dolents ar·cès dl? r;o11!fr•. ,lnne arrrit épo11St; .Yù·1•jilio1·elJl'yr:n,1e. p1·011111 à la rlimzite rie C:dsa1·,et c·etait li ce 1w111q11'ellectr,sil'ait ruil· passe,· re11111i,-e. Lrr princesse ,-aconte elle-méme r·o,nme,it l'i111pé1·11/,-ic,e11 111è1·ei,i1clispe,,sable û .lle..cis le G,-and, le s11ii-c1ilen lu11s lieuJ·. cc Il mena aYcclni lïmpérntrice, qnclqucaYcr::;ion qu'elle cùl de le sui ne dan::; ses Yoyages. Hcstanl au palais. la plupart du temps. elle accomplissait se;; dcYoirs chrétiens, déYcloppait les linos des saints, s·obscn-ait clle-mème pas l'esprit, s'attachait ù la bicnl'aisancc cl it la li!Jéralilé e1wcrs ceux-lù surtout qu'elle samit scn·ir Dien par leur tenue. leur conduite. lenr::; prières cl leurs chants. Toutes les fois que la nécessité J'ohligcait ,\ se prnduirc en public, la pndcur la prenait et ses joues se counaicnt aus::;ilùl de rougeur. On rapporte anssi <Juc Théanc, nnc sarnnlc philosophe, répondit it quclqnc badin qui lui di::;aiten voyant ,;on hras mis ù nu par hasard : c< Oh le hcan bras! - Oui, mais non public. » .\insi la Basiléa. ma mère. image de de la Yerlu, demeure de la sainteté. arnil contnmc non seulement lie ne pas montrer en public son coude on son BibliotecaGinoBianco
- 75 - œil. mais encore elle ne voulait émettre sa voix pour dos oreilles étrangères. Tant elle était un admirable exemple de relenue. Mais comme les dieux mêmes. ainsi que l'on dit, ne peuvent résister il la nécessité, elle fut très sou,·e11t obligée d'accompagner l'empereur dans ses expéditions. l3ien que sa pudeur aimée la retint au palais, son ardent amour pour l'empereur la tirn do la cour malgré elle, cela pour plusieurs rai:5ons : d'abord cette maladie du pied dont il souffrait, qui l'afligeait de douleurs très aiguës et nécessitait des soins diligents. Il ne souhaitait pour le masser personne autre que ma mère qui, curieusement, habilement, lui frottant et comprimant le pied, adoucissait un peu les douleurs. :\lais l'empereur, lui, (que personne ne me reproche cette ampleur de dissertation; car f admire les vertus domestiques; que personne ne me soupçonne de mentir, car je dis nai ;) l'empereur plaça.it toujours ses commodités personnelles après le salut de l'Etat. üno autre raison de ce voyage était les nombreux pièges quo ron préparait partout contre lui. Il lui fallait donc requérir une sam·egarde très sùre et tout il fait intime. La nuit tendait des embûches; le midi elle soir le menaçaient d'une mort nouvelle; Lrnrore tramait contre lui le,; clloses les plus néfastes. De tout cola Dieu e:5ttémoin. );'importait-il pas dè:; lors de garder avec dix mille yeux un prince entouré de tant de mauvaises gens? A.lors que les uns le vi,;aient de l',u·c, les autres aiguisaient le glaive contre lui, d'autres encore semaient la calomnie et les injures et mettaient en œune les males paroles . .. ... L'impératrice était le meilleur antidote (pour .\.lexis) durantle danger des repas douteux. Cependant, et même alors, elle n'oublia jamais sa modestie habituelle, tant en se dérobant aux regards qu'en gardant le silence et la retenue; elle demeura encore plus cachée il la foule. Ceci seul indiquait que lïmpératrice suiYait le camp : qu'on yoyait une litière attelée de doux mules et portant l'écusson impérial.. ... J'écris cela contre les calomniateurs et les médisants. >, ...... \.nno Comène repousse la médisance de l'opinion qui prétendait qu'lrène arnit Youlu combattre l'ennemi. « Cela est bon, dit elle, pour Tomyris ou Spareta la :.Ia,;- sagète. " B1bhotecaGino Bianco
- 76 - Irène partit donc, sans doute après des colloques noml.JreuxaYcc Anne et Bryenne, et décidée ,'t reYenir rapportant l'adhésion d'Alexis à leurs desseins. Elle part, distribuant l'or et l'argent le long des chemins; et cette impératrice qu'on Yient de nous décrire si recluse et si difficile ù Yoir, à peine arriYée au camp, et sans se reposer, elle donne audience. :\!ais tous les projets furent troublés par l'apparition d'une comète comme jamais on n'en a,,ait vue. en forme de lance. Quarante jours et quarante nuits elle ne çessa de se mouYoir d'occident vers l'orient. Alexis enYoYa consulter son astrologue. Durant le sommeil sun·enu i)endant qu'il étudiait, 't-.Jean se montra et prédit l'arriYée d'une nouvelle armée française, Alexis prépara la guerre. Gne ancienne statue d'Apollon toml.Je de son socle de pophyre. Comme le personnage de hronze tenait le sceptre et le globe, on présage de cet accident la mort d'Alexis qui répond ne croire qu'en Dien et que Phidias n'a pu animer ses idoles. Une conjurntion se décou\Tc. Cantostephane assirge Brindes, se laisse jouer par la mère de Tancrède, qui, sous p1·étextc de reddition, fait cesser le siège et préYicnt son Jils qui accomt prendre les marins de Contostephane avec des -mercenaires scythes. Boëmoncl s'empresse de les mener au pape, appelant ,'t sa justice de ce que les Grecs se servent ù'in{iùèles pour combattre les chrétiens. Puis Boëmoncl se présente lui-même sur le sol de l'empire, si terrifiant que les soldats romains simulent des maladies afin de fuir. Seul ,\lexis garde le calme de dire ù cette nouvelle : « .\uparavant allons diner». Des libelles courent de main en main. lis attaquent sur 0 tout J'impérntrice Irène dont les ami· de Jean Kalos redoutent lïnfluence. La lutte s·acccntuc entre le Sebastocrator et la Cœsarissa. Boëmond cerné dans un espace stérile demande la paix et signe un traité que terminent ces mots : « Je mus assure que ces promesses sont fermes e.t. inébranlables comme une ancre. » Peu après le chef Xormand meurt. Anne qni. disent certains, antit failli l'aimer en tra.ce un portrait flatteur . .\lexis repris par sa goutte retombe cependant aux mains d'Irène et de Bryenne. «Cemal ne venait pas de l'intempéBibliotecaGinoBianco
- 77 - rance, se hâte d'expliquer la princesse, mais d'un choc violent reçu en jouant à chernl ù la paume. Pressé de tous côtés, il imita la sagesse des médecins qui négligent les maux les plus légers pour ne soigner que le plus grave». Le plus graye c·était la multitude des Français établis it lhzance même. Dès le matin Alexis leur donnait audience, et lù, devant lui, loquaces, cupides et opinifttres, ils consumaient le temps sans mesure en paroles vaines. A sa table même ils poursuivaientrempereur de cris confus Anne Commène les dépeint tels absolument que Tacite les avait présentés. Déj,'t fermentait en nos ancêtres cette fiè\ï'e de dire qui leur fit plus tard inYenter le parlementarisme et organiser des réYolutions pour parYenir it se chamailler sans frnit dans des temples greco-romains . .\lexis déploie une patience men·eilleuse. « Quand il anivait que quelqu'un de nous lassé de leur insolence s'émancipait jusqu'à les interrompre, il lui imposait silence aussitôt, parce que, connaissant la propension de cette race ù la colère, il appréhendait qu'une étincelle n'excitftt un embrasement et que cet embrasement ne ruinàt l'empire». Parfois _;1 passait la nuit à les écouter. Les grands de la cour contraints par l'étiquette de reste1· debout, se tenaient tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, s'appuyaient contre la muraille ou se dérobaient pour prendre un peu de repos. Cette fatigue augmentait beaucoup la goutte de l'empereur. lrène l'avait en ses mains pendant les rares heures, de loisir et de quiétude. Elle lui répétait que .Jean Kalos ne culth·ait aucune des Yertus nécessaires à nn souYerain. Elle le montrait téméraire, irréfléchi, léger, perdu de luxe et n'ayant du courage que cet entrain commun ,'t tous les jeunes hommes deYant le péril, mais non la fermeté d'esprit qui inspire les commandements sauveurs au milieu des déroutes. Alexis, souriant, la laissait dire, feignait même de partager son avis quelques instants pour la remercier par cette déférence des soins uniques que lni Yalait le dévouement conjugal. Certain breurnge donné en remède accrut son mal. li pestait contre les mauvais esprit:;, auteurs de maléfices. une incursion des Turcs le vint oblige rit se mettre en BibliotecaGinoBianco
- 78 - campagne malgré sa maladie. Il rrjoignit les troupes sur un chariot et les commandait ainsi.1Iêmr, au plus forLde h lutle, il montait à ch~Yal et frappait c1·estoc, de taille, comme le moindre soldat. fi défit les Turcs. Un chernlier de sa suite accournt à toute bride annoncer la nouYelle it lïmpératrice; et, sans rien dire aux gen:,; il monta par le palais juscru·au près de sa chambre dans là salle où mangent les empereurs: et il y ent telle joie de ce succès r1n"il cheYauchait ensuite cle rue en rue, de carrefour en carrefour contant la bataille au 1wnple. _\n retour, .\lexis rrnt aYoir conrnrti les manichéens qui. ferm,ü<'11tnne g,ude h part, très solide et très sùre. Deux trophées furent éleYés, l"un en face de l'autrncelui-ci pour une Yictoire sur les barbares Comanes. celuilit pour la co1wer,;ion des :.Ianich('ens. I.,"emperenr ne se montrait pas moins glorieux du triomphe obtenu ù gnrnds efforts de rhétorirrne et cle sanmtcs dissertations sur le dogme philosophai ; la Yictoire cle l"esprit, raulrc étant la Yictoire de la Force. On donna aux nonYr,rnx orthodoxes des lerres. des hirns. des Yilles. Les derniers dissidents rebelles ,1t1 pourninlé rnisonnement impérial durent subir hl prison perpétuelle. Puis le:; Tmcs enrnhirent de nonYean; cLleur insolence allaiL jusqn·,\ représenter des comédies ou par,1issait .\lexi:; poclragc; on y prétendait (JUela goulle n·était que le pré tex te de sa lùcheté. Le malheureux empereur souffrait de toutes les misères .. \u physique, les accès ne lui laissaient aucnn répit: an mor,tl, l'impératrice rnyant approc'.1er la Jin de son époux le tourmentait pour obtenir quïl cédftt rem pire ,'t. Bryenne. Ln Yig-i!ancematernelle le pressait de louange,:; exagérée,:; sur César. si éloquent, apte au:s. affaires, érndit dan:; ions les arts qui forment Hune à la Yertu. _\lexis simula longtemps l"intelligence de ce qu·elle YOUlait lui imposer. 11 lni parlait aus:;itôt des afütires de l'Etat, de son amour propre blessé par les inntsions barbares, des conjurations récemment découYertes, de,:; derniers .écarts des Bogomiles. Cne fois, pourtant il ne put se contenir et J ui dit : « 0 femme qni p,trtages mon empire et ma couche ne çcsseras-tu enlin de nùnsinuer cc que tu sais agréable à tes filles et cle t'efforcer à ce que l'ordre établi BibliotecaGino Bianco
- 79 - si heureusement soit trouùlé? Si tu 11°et poursui ,ie par la colère de quelque puissance hyperphysique, reYicns au hon sens, et conûdère plutôt ,wéc moi si jamais nncun dc!'lmeilleures empereurs romains ayant un Dl;, propre au pom·oil' le rejeta et le remplaça par son gendre. Si par Jiasard une telle cho e ,Hhint il ne convient pas d"ériger en loi nne une exception. Quand à ce qui me concerne, tu sais bien que le monde romain éclalcrnit de rire et croirait égarée ma raison, si moi, qui saisis le pouYoir d"une manière en somme pen c01wenahle, au prix du massacre de mes proches; par des raisons différentes des préceptes chrNiens, je répndicrais encore mon fils t1irect pour met Lre an trône, après arnir détruit une seconde fois l"ol'dre de succession. ce rnfü•édonien. » Ainsi a1Jpelait-il fü~·cnne, originaire cl'Oresli<', Yillc ~plendicle el prospère d<' \Jac-ét1oine. lri'nc ne s<'crnt cléJinili\'ement repoussée. Elle sui\'it son mal'i clans la c-ampag11e nou\'ellc et lC' rejoignit it l'étape où il attendait les renfort,;. « ll n'y aYait que trois jours qu'ils étaient en,;cmhle lorsque le préfet de 1a chambre impé1üle entra et se Lint clchout près cln lit. Lïmpéralricc qui était é\'eillér ra~·ant apcr<;n lui demanda sïl apport,tit la notffelle de l'arri1·ée des Turcs. 11 lni dit quïb alleignaicnt le fort Gregorios. Elle lui fit signe arec la main de se Llire clc peur de réYeiller l'empereur. ~lai,; lui ,mlit tout cnlencln; il dissimutt que la n0LFelle l'émùt et, dès le lC\'Cl' du soleil. il se liHa .'t ses occupations habituelles sans pourtant songer it autre chose'. La troisième heure n·était pas eneorc écoulée qu·un homme accourut lui rapporter <jllü les Barbares approchaient déj;'t. Lïrnpératrice était alors ,lYec l'empereur et, bien que toute terrifiée, elle suh,üt ,;es a\'i,;. Comme ils allaient diner, un autre homme. souillé de sang. tornha mu: pieds dC'l'Empercur en ll)i jurant <ruele péril menaçait. .\ns,-itôt l'empereur renrn~,l L\ugusta .Irène à Hy,:ancc. Elle. bien qu·euc craignit fort, eéla ceprndant sa peur au fond de son cœnr et ne la monlra ni par mots ni par gestes ..... Comme malgré sa Yolonlé, elle s'éloigna, se retournanl maintes fois en arrière ... (2uand elle fut ù la rncr. el Ic mnn ta sur la galère réscnéc au serY ice des impératrices. » BibliotecaGinoBianco
-80L'hésitation de ce départ ne marque-t-il pas l'insistance c1·une tentative de co1wersion. tentatiYe sans succès Encore une fois les Tmcs axaient interrompu l'œune d'Irène par une gnerrr crnelle où il n'était loisir de déYelopper de la politique de chambre. ün allié, le sultan Saïssan, tomba anx main:; des ennemis; il:; Youlurent lui crever les yeux; et comme il ne possédaient pas d'instrument propre,\ cette opération,« ils se ser\'irent d'un chandelier que mon père .-\.lexislui avait donné et le priYèrent du jour par le maurnis usage c1·unprésent destiné il porter la lumière. » Tnterné ,1C.:ogui,il a,·ona il sa nou,Tice qu'il entrevoyait. La nounice le redit ù sa femme; elles ganlèrent si mal le secret, quïl deYint public en fort peu cle jours : l'ennemi fit étrangler ~aïssan. Le Basileus reYint de ces guerres atrocement maladr. Ses souffrances empirèrent. En l'an 1118du C.:hrist,comme il assistait ù une fête du cirque, il prit la fihre, et dut s'aliter. « Je me suis proposé. deux choses dans cet ouHage : l'une d'écrire l'histoire, et l'autre de phlindre mes malheurs. Pour écrire l'histoire je représente le:; guerres et les batailles; mais pour pl,ündre mes malhems je sui:; obligée de fail"eun triste récit des disgrflces qui ontassailli mon père et de son trépas qui a été la ruine de l'empire.» Ainsi commence la narration que faiL Anne Comnène de la mort cl' Alexis. Elle prend soin crnsertir par lù que ses successeurs perdirent la prospérité de Byz,u1ce, prospérité déjù bien menacée durant tout son règne. Le· chroniqueurs ne cachent pas que les supplications d'Irène et cl' Anne redoublérent pendant ton te l'agonie. La princesse, appelée en consultation aYecles médecins, donne son aYis, prescrit des traitements. Sa réputation de science la plaçait au rang des docleu 1·sles plus renommés. J arnais, au reste, Purgons de ?l'Iolièren'ordonnèrent de remèdes aussi bul'lesques. Anne tient un journal exact des période:; du mal, elle décrit renflure, la fièvre, roppre::;sion, le flux de ventre même; se repose parfois en faisant l'éloge du dévouement d'[rène. L'impératrice ayant été prenrlt·e un moment de repo:; arriYe pour la défaillance dernière et rnyan t son époux :;i près de la mort, elle arrose le corps de ses larmes. BibliotecaGinoBianco
- 81 - La princesse ne dit point, pour ne pas, sans doute, rappeler les souYenirs de dissen:sions familiales qui amenèrent sa retraite, comment Jean Kalos dès qu'il Yit le Basileus sans connaissance, s'approcha, simula un entretien tenu à voix basse et, lui prit son anneau qui était aussi le sceau de l'empire. Alexis, revenu à lui, se mit en prières et aucune objurgation de sa femme, de ses filles ne le put détourner de ce mysticisme final où il prétendait sanctifier sa mort. Cependant le Sebastocrator monta immédiatement h chernl et, entouré de ses amis, courut au palais impérial; l'agonie de l'empereur se passant clans les édifices des l\fanganes. Le peuple lui était fayorable; et comme il montrait l'anneau it tous, feignant qu'Alexis le lui eut donné, on l'acclama suinmt les formules d'usage. Le bruit en parvint aux princesses éplorées, sentant défaites leurs meilleures espérances. Aussitôt Irène envoya un messager vers Jean pour lui enjoindre de se démettre publiquement, son père ayant désigne par tes!ament un successeur. Il semble, dans la confusion des témoignages apportés par les historiens de l'époque, qu'aux derniers temps de sa vie, Alexis avait paru en effet incliner en faveur de Bryenne. Cela seul explique cette injonction d'Irène au Sebastocrator. Mais, lorsque penchée sur le visage de son époux, elle lui annonça comment son fils se proclamait déj.'tBasileus, sans plus attendre, et qu'il allait s'installer au Palais, Alexis ne parut pas vouloir comprendre ni s'aperceroir du larcin par lequel on l'avait dépouillé de son anneau. AYec une affectation de piété il continua ù. murlirnrer des prières, tant et si froidement qne l'impératrice se laissa emporter par la colère : « 0 mon époux! Yivant, tu fus expert clans toutes les manières de ruser; ta langue fut sans accord a\·ec tes pensées; et maintenant même, près de quitter la Yie, tu restes immuablement attaché ù tes inclinations ct.'hier. » Alexis s'affaiblissait de plus en plus. Les princesses s'eiîorçaient de le ranimer pour le remettre en ses esprit:; et lui inspirer une résolution ferme, un acte d'autorité dernière, l'indignation lcgitime contre un fils qui n'attenBibliotecaGinoBianco
- 82 - <lait pas le dernier soupir du père pomse }),uerde la couronne. Soins inutiles. Jean Kalos arriYé deYant le palais ne ])ersuada point aussitôt les gm·clescle livrer les portes. Bien qu'il arguftt de l'anneau impérial mis en sa possession, les officiers exigeaient un ordre écrit du Basilens. Le Yoyant <laps cet embarras, Bryenne expédia un eunuque alin de lui proposer de partager le trône et de s·associer pour régir l'empire. Bryenne prétendit représenter üt légalité, ht souYeraineté acquise par le choix in extremis de l'empereur . .Jean Kalos hésitait. Son père ne mourait pas. Ce pouYait être au lendemain un terrible retour des choses. l.,n accident sm·Yint qni lui Yalutrassurance clupournir. Quelque afiilié dé lacha les gonds des portes; e!les tombèrent; le ~ebastocrator, _sesamis el des satellites enYabirent aussitôt les hfttiments de la Demeure lmpériale. Peu r:1ssnrés toutefois sur l"état général des esprits et redoutant une offensiYe du parti Hr_\·enne. ils :;;·enfermèrent L'l et y Yécurent plnsienrs jours, les g,rnles an dehors ne sachant si on les assiégeait colll 1110 rebelles ou sïls tenaient l'empire dans un palais Yeillé par nnc escorte fidèle. Eniin le quinzième jonr cL\oùt le Basilen;; autocrnlor .\lexis Comnène remit son ùme à la füwonnante Douleur llu Christ. • La princesse Anne 11°:1. garde de manquerù retrarerpompeusement, tragiquement, la mort de rempereur el r hypcrholique douleur tle ses sœurs, de sa mère. Pas une foi;; le nom du frère n·est prononcé. ::--:ulleallusion fJUitrnnsparaisse aux angois;;es de ces jon rni5esterriblrs où :sejouait le sort cle son mari, le sien. Sans tlouler de la piété liliale dont la princesse Comnène ne cesse üe faire montre, on peut supposer que les transes qui l'émurent le plus en ces heures 11efurent pas dues aux alternatiYes de syncopes et de retours ~L la ,·ie qui marquèrent l'agonie du sonYerain. ::;ée dans La Pourpre, fiancée d'abord ù ce Constantin Ducas p,H'édes insignes impériaux, elle-même Cœsarissa et honorée des acc-lamalions, ayant attendu de longues années son aYènement comme une chose légitime, inévi- ·table, que la naissance de ce frère cadet pou mit reculer B1bliotecaGino Bianco
au plus. clic Y0y,tit, au jour déci:-;if,s<'dérober le fruit de ces justes espoirs et de très long;; efforts. Quelle fière opinion de sa supériorité ne pountit-C'llc rai::;onnalJlcmcnt 11ourri1·,dan,; celte cour la plus saYtllltc du monde, où on la rèYèrait comme la plus ::;aYante J'cm1r-.eet ù l'égal des plu,; sages docteurs. Et il fallait. malgré tant de motif,; de ht1p1·émalie. céder le premier rang ù ce jenne homme dc'pourYu de sarnir el tlc prndcnce, pour cela seul qu'il était un mùle. :-;a logic1ue de personnage intelligrnt et cérébral ne se ponYait facilemrnt plier aux grossit'rcs lois hulllaincs. 1>uis. pour une JH'incesse de telle ambition. partaut <1ucl- <Juepeu Yaniteuse, ce n'était pas un futile frhcc c1ue de r<'connailre Yaincs les complexes intrigues où l'impéralricc s,t mi're. le Césa1· elle-lllt;me. guidant inspirant et conseillant le::;hautes facull(•,; llc chacun. a,·ail'nt pentlant de longues série,; do mois peiné sans n'htche. Cela frappait comme la négalion brutale de ::;,t supérioritc\ de la force mol'àle <fl1·euc h·ét,tit plu iLn'(·o1rnailre hit'nnc et ll'L'S eflicienle pardessus les lùchr,; plus humhles des autres êtres. ~on monde illnsoirr s'écroulait soudain de,·ant l'habileté simple. le coup de force de .Jean, cc frère JllL'prisé, dénigl'é.ù peine salué tt·eue dans los cérémonies de com où il triomphait par l'opulenec et la splendeul' de :;es hardes. On ,-eut dans cc récit funèbre lïmmense douleur alors rrssenlie par clic. et (JUipoussa quel(Jnc,; mois plu,; tard crllc femme dr trente-cinq ans ù se retirer du momle pour plemer étomellt'me1lt 1111 de.~tin mah'ncontreu:s.. l~lle se complait iL déprindrc les dernier:; instants du 1uorihonJ. La scène deYienl helle. le plus saisissant passage du li ne. Un entrt'YOit 1';1ffolemr11tdes princesses reccrnnt le,; nouYelles du dehors, Lrn•ionce tlc leurs espoir,; supprimés, pendant <1nele souYcrnin, le père. agonise. solcuncl, iminuable, sans consentir au signe qui les s,w,·entil. elles, de la disgràce et de l'obscurité déiinith·e,;. La princesse :'.\fa1·ie,verse goutte ;"1 goutte d'un Yase it long col dans la JJouche du malade quo ce remède hrùlo el (JUi s·en plaint par de rauques gémù;semonls. Anne. sous le poids du malheur, tle la tléfaite. s·est lais:;ée c-hoir aux pied:; do son père cl la princes:;c Eudoxie aYec elle; elles pleurent eu81bhotecaGinoBianco
- 8'1 - semble, sans paroles, supputant les conjonctures qui les· forceront peut-être fr se retire!' aux couYents. ces prisons politiques où finissaient les races vaincues et les familles des conspirateurs malheureux. « L'excès de mon affliction mit ma philosophie en désordre ainsi que mon éloquence. » i'si philosophie ni éloquence ne pouYaient remédier au courant adversaire du sort. L'[mpératrice Irène. prise (rnne crise nerYeuse PnYoya1ll lui échappe!' la puissance, déchirnit ses habits et jetait ses souliers de pourpre ù tra,·ers la chamhre. comme les fausses marques d'une dignité donl elle se trou mil dépouillée. « Elle arracha aussi les ornPments de sa tête, elle se coupa les cheYeux, elle priLdes souliers noi1·set, après arni1· élé en peine cru ne robe de deuil. ma troisième sœur qui avait éprouYé le malheur de la Yiduité en tira une de SPSarmoi- . res et la lni donna. Dans le Lemps même qu·eue la mettait l'empereul' rendit respl'it. » Détail admirable que cette Yengeancc de femme, s'habillant de deuil avant le spasme suprême de son mari qui n'a point Youlu lui concédel' la haute fayeul' de régner som; les noms de sa Jille, de son docile gendre! « .J'ai donc perdu Alexis, cette lumière du mo1H1C. -:,;·écriealors la rhéloricienne .. J'ai aussi perdu Irène, depuis, Irène, les Délic·es de l'Orient. .. i\e suis-je pas plus dure que le roc, moi qni ai sun·écu? » Elle sunécut d'ailleul's pou1· les déboires: On transporta le cadane de remperclll' dans un appartemenl exposé au septentrion du Palais ;\ Cinq Dômes. :\fais les -princesses· ne croyaient pas encore la pa1tie perdue. Hr)'enne assembla ses partisans; 011 machina tout un complot ù exécuter durant les funérailles. Annr Comnètw plus froide remonta les cournges. Le lendemain. au malin. · Ja Despoina lit appeler .Jean Kalos de bonne heul'c, pour assister aux cél'émonies. On allait porter le corps en grande pompe dans le monastère de .Jésus Christ ami des hommes qu'a mit fondé Alexis. Le notl\'el empereur, trop prndenL pour courir le risque d'affronter une sédition ou l'outrage de discours dénonçant au public s,t conduüe dura!1t l'agonie de l'empereur, se contenta d"enrnyer aux obsèques une partie des seigneurs de sa mai,-on. B1bhotecaGino Branco
85 - Demeuré au palais impérial, il en expédia ses courriers. donna audience aux dignitaires qui vinrent prêter serment. Puis, quand les nouvelles des provinces parurent rassurantes, il distribua les charges à ses amis et ù ceux des parents qui approuvaient sa politique. • Entre tous il aimait son frère lsaac, qui mangeait à sa table et ne se séparait guère de lui; il !"honora du titre et des insignës du Sébastocrator. Axuque, un esclave né chez les Turcs, élevé parmi eux et pris dans Nicée lorsque ·cette ville échappa ù la domination perse, connut aussi .la faveur du jeune souverain. Ayant partagé ses _ieux d"enfance, il était devenu peu à peu le plus cher des domestiques cubiculaires qui, appelés par leur ministère, aux soins très intimes du prince. acquéraient vite par lù même les secrets et la confiance du maître. Les gens aimaient Axuque, très libéral, prodigue même. , Ces deux personnages commenc~rent ù régir l'Etat. L'an n'était pas encore réYolu qu'Anne Comnène tentait de ressaisir le pouvoir. Des affidés corrompirent les gardes de l'hippodrome Philopation où l'empereur passait la nuit. Les conjurés attaqueraient en armes ses serviteurs, et lui-même, à l'heure du profond sommeil. Anne Comnène. Bryenne fondèrf'nt leur dernier espoir en ce dessein. Bryenne moins ambitieux, plus sceptique snr la Yaleur des choses de gloire, mollissait, trouvait inutile d'encourir la sévérité de son beau-frère contr::iint de venge1' aYec éclat un pouvoir récent et mal a suré, si le succès n'anohlissait pas leur tentntive. Anne fat l'âme directrice dn -complot. Elle ne tolérait point le triomphe dé!initif de Jean, l'ingratitude et l'injustice de l'empereur défunt qui avait tout accordé au droit du mâle sans déférence pour les qualités plus solides et plus éleYées de l'intelligence. Elle ne pardonnait pas surtout ;'1 çe frère l',wortement clïntriguessilongues,si difficiles ou 11mpératrice, le César, la Cœsarrissa elle-même, arnienL été joués avec leurs partisans, leurs aniis, malgré leurs richesses et le prestige de leurs talents. li fallait une rernnche. Anne Comnène répandit l'or ,·1 profusion, excita les cupidités et les Yues ambitieuses des jeunes officiers, de quelques prêtres. On gagna même certaine partie du peuple. L'ancienne cour, dévote pour Irène, prêta l'appui BibliotecaGinoBianco
- 86 - de son ant0rité cl de ses trafülions. :.\Ialheureusement, Bryenne ne montrait pas l'énergie indispensable ù un chef de parti. Quand l'excitation tles conjurés atteignit un degr(' d'efferYescence fayorable ù. l'accomplissement du projet, le César, au lieu de les conduire au but, crut prudent d'atermoyer. d'hésiter, de chercher des garanties plus sùres de la réui.sile . .\.nne maudissait son sexe, cette malignité tlc la nature qui, après l'aYoir pri,·ée du trône bien que son aînesse l'y portftt, l'empêchait de prendre le commandement effectif du complot. Constamment elle querellait Bryenne sur sa timidité. :.\lais. par respect pour les mœurs introduites au palais sous le règne précédent, il lui fallait restreindre son action entre les murs du gynecée et de:. chapelles impériales. La princesse souffrit la torture : son ambition, son orgueil, sa haine allaient faillir ù se satisfaire, tout soi-même enfin qui subirait la défaite irrémé-- diable. li en fuLainsi. L'ardeur des conjurés s'épuisa clans une Yaine attente. Les gardes achetés par les largesses eurent le temps de se dégriser de leur premier enthousiasme. l,n matin. après un essai maladroit, !"empereur apprit le crime de sa sœur et clu César. Le chroniqueur rapporte qu'à cette nouYelle, .\nne Comnène furieuse s'ewporta en paroles obscènes contre la faiblesse du mari. Elle accus,ut tout haut la nature d'ayoir donné à son âme virile la forme et le sexe ll"un étrc de passiYité. tandis que Bryenne ,wcc son esprit féminin et timide portait le signe physique d'une Yirilité menteuse. On ne peut traduire exactement le texte grec tant les termes en sont crus. Cela laisse penser !"horrible rage oü se perdit la princesse pour qu"ellc manc1uât ainsi ù. la dignité de son rang, à !"étiquette, à sa chasteté d'épouse par des paroles publiques. La Yie d'apparat Yenait de prendre fin, pour jamais détruite et sans espoir de succès autre. Les messagers de l'empire lui annoncèrent qu'on la punissait par la conlis- <.:ationde ses biens. Le monasLèl'eetlapauneté lui allaientils échoir? PAUL A.D.\'1. BibliotecaGino Bianco
PVVISDECHAVANKES Pannecm pow· le 111uséede Rouen. Parmi de Yieilles pierres-chapiteaux, fnts de colonnes. bas relief où subsiste :'t lra,·ei·,; une fêlure en une ocre antique un cahrement de Pégase ptérien - ex.humées et extraites par la fouille du mystère absorhateur <l'un sol tenace, riche, en sus de ces occultes trouYailles rfapparues en leurs dl•bris sacrés, de Yisibles fleurs et clïdyllique gazon, autour d"un bassin triste et charmant du deuil 111:rnYdeïris surgis hors de l'eau fJlÜ y séjourne, sous des pommiers fruitiers et automnaux qui oment plus qnïb n·ombragent le terrain d·une terra.sse de sieste clonünant une perspecti,·e mélancolique cle fleuYe püle, dïles sombres et hoisées. de forèt,; durables encore ;;ous un eiel Yiolct et humllle, des hommes et des femmes en nne extrème simplification anaehroniqne passent, s·acc-otent, fouissent et songent en une sorte de snl'\'ie où le geste de manier une bêdie, de porler une guirlande, d'éc-rire sur des tabletles, d'offrit' une fleur, d'être oisif sïmpr·ègne d"une magnificence paciiique et surnaturelle. Ce sont de telles images de Bétique et de Tempé que PuYis de CbaYnnnes inYente sous un quelconque prélexle comme de décorer une salle de 1Iairie, un esc,tlier de Musée, une coupole de Sorbonne; et aux yeux étonnés des municipalités et pour la respectueuse joie de quelques uns il consent ~L puiser en son mystérieux génie quelque allégorie sereine et Yirgilienne. BibhotecaGino Bianco
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