Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

QUELQUES LIVRES anciens camarades, entre en scène. Quand la guerre de 1914 surprend et plonge toute la 2e Internationale dans le désarroi, son parti est aussitôt pris : il est pour l'Allemagne de la « Kultur » contre la Russie « barbare ». Son socialisme s'identifie spontanément au patriotisme de la social-démocratie allemande, dans l'état d'esprit exprimé jadis par August Bebel qui, plusieurs fois, avait déclaré que dans une guerre contre la Russie, « ennemie de tous les opprimés et de toute civilisation », tout « vieil homme » qu'il fût, il n'hésiterait pas « à prendre le fusil». C'est ce que MM. Zeman et Scharlau n'ont pas l'air de bien comprendre. Parvus, écrivent-ils, devient « la figure centrale des relations conspiratrices entre le gouvernement impérial et le parti social-démocrate de Russie, en particulier avec la fraction bolchévique de Lénine. » (On verra que c'est très ,, ,, I\ • • exagere, meme inexact en ce qui concerne Lénine.) Ils vont jusqu'à dire que l'importance de Parvus éclipse celle de Guillaume II, de Ludendorff et d'Hindenburg. (Là, c'est de l'exagération sans mesure.) Nos deux auteurs n'ont pas évité l'écueil habituel qui consiste à mettre le personnage d'une biographie au cœur des événements principaux de son temps, ce qui leur fait perdre le sens des proportions et des perspectives. On le remarque tout au long des deux ouvrages, et pour commencer dans les annotations du premier, où se lit en appendice le remarquable mémorandum qui ouvre à Parvus une nouvelle carrière. Dans cette sorte de plan subversif de vaste envergure visant à miner et saper l'Empire des tsars jusqu'à l'écroulement de cette « forteresse de la réaction politique en Europe », Parvus fait preuve d'une connaissance approfondie de l'état des choses en Russie, d'un savoir qui devait éblouir les diplomates allemands, comme il aurait sidéré ceux de l'Entente, tous ignorants des réalités russes. La carte industrielle et les conditions politico-sociales lui étaient parfaitement familières, mais allant de pair avec une imagination sans frein. Aussi préconise-t-il de préparer en Russie une grève en masse dont il définit les modalités, comme si les moyens pratiques étaient à pied d'œuvre. A cet effet, il propose de faciliter la réunification des fractions social-démocrates désunies, de leur faire tenir un congrès où seraient représentés les huit partis social-démocrates de Russie et des minorités nationales. Il envisage des négociations avec les socialistes-révolutionnaires. Il désigne les lieux de concentration ouvrière propices aux grèves et aux troubles. BibliotecaGino Bianco 277 Il décrit les conditions en Sibérie, où de nombreux déportés peuvent briser une administration ténue et fragile. Il trace les grandes lignes d'une campagne de presse à mener en Russie et dans les pays neutres pour orienter les esprits contre la guerre. Il prévoit une agitation fructueuse à fo1nenter en Amérique du Nord. Fort de son expérience de 1905, il anticipe un élan révolutionnaire irrésistible en Russie, puissamment secondé par les allogènes soulevés en Ukraine, en Finlande, au Caucase, le tout culminant dans la débâcle du colossal Empire. Ce plan, minutieusement détaillé, argumenté, persuasif, dénote à la fois les talents et les défauts de Parvus. Il possède à fond les données du sujet traité, mais l'utopie transparaît en contrepoint, en ce sens que Parvus s'attribue des capacités illusoires avec ou sans l'argent du Reich, outre que les virtualités réelles de grèves, de séditions, de révolution même, n'étaient réalisables qu'après une guerre épuisante sous les coups terribles de l'armée allemande, non pas sous l'effet des manigances d'un Parvus, fussent-elles alimentées par l'argent qu'elles impliquent. Inconscience ou charlatanisme, que le dessein de réunir les partis rivaux, les fractions concurrentes dont Parvus ne pouvait ignorer les antagonismes, l'intransigeance, le sectarisme : l'Internationale socialiste s'était évertuée en vain à les rapprocher, et la guerre avait accentué leurs divergences insurmontables. Parvus abusait donc de l'ignorance de ses interlocuteurs allemands, désarmés devant sa verve érudite. * * * Les documents de M. Zeman le prouvent. Le n ° 1 rapporte que Parvus « se donne pour tâche de créer l'unité » entre bolchéviks et menchéviks, qu'à cet effet « un congrès des leaders est nécessaire avant tout, peut-être à Genève », qu'il était prêt à « prendre les premières mesures à cette fin, mais pour cela aurait besoin de sommes d'argent considérables ». Invraisemblance évidente : les deux fractions étaient à couteaux tirés, et même divisées à l'intérieur de chacune, à telle enseigne que les trésors de Golconde n'auraient pas suffi à les réunifier. Parvus devait le savoir mieux que personne, et alors de deux choses l'une : ou bien il divaguait, ou bien il mentait sciemment. Les diplomates allen1ands n'en savaient rien, mais M. Zeman devrait le savoir. Il s'avère à l'examen que Parvus trompait pour obtenir des fonds à ses fins personnelles. Un historien ne saurait faire abstraction des vérités les mieux établies sous prétexte qu'il a un « document »

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