Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

276 Pravda ait eu besoin d'argent allemand pour se lancer : elle avait paru en mai 1912 sans aide extérieure, reparu plusieurs fois jusqu'en 1914 sous divers titres après chaque suspension, et elle resurgit dès le 18 mars 1917 par ses propres moyens, comme les autres journaux de toutes tendances. M. Katkov estime qu' « il est difficile de supposer que Kühlmann mentait à son souverain » ; c'est au contraire très facile, pourvu qu'on sache faire la part de l'exagération et celle de la vérité relative. Kühlmann désigne en premier lieu les « tendances séparatistes » comme bénéficiaires de ses subsides. Dans un télégramme précédent (29 septembre 1917) adressé au quartier général, il avait souligné que « notre premier intérêt, dans ces activités [subversives], était de stimuler les efforts nationalistes et séparatistes autant que possible et de donner un fort appui aux éléments révolutionnaires ». Là encore, les nationalistes et les séparatistes sont mentionnés d'abord, les éléments révolutionnaires ensuite, sans précision suffisante. Il est vrai que les allogènes opprimés sous le tsarisme ne se sentaient pas solidaires de la Russie et que certains de leurs « activistes » n'avaient pas scrupule à accepter une aide matérielle étrangère. Cela s'était déjà produit pendant la guerre russojaponaise. L'Allemagne a sans nul doute subventionné les séparatistes en Russie comme elle a aidé ceux d'Irlande. Dans quelle mesure, et avec quelle efficience ? Et dans quelle mesure les bolchéviks, parmi les « éléments révolutionnaires », ont-ils profité de la monnaie allemande ? C'est ce que le recueil de M. Zeman, d'un haut intérêt, aide à savoir et à comprendre. Mais avant d'en venir aux chiffres, aux précisions et aux détails, puis à leur interprétation, une question se pose, celle de la crédibilité des gens en cause. Que les hommes d'Etat soient enclins à se vanter, même sans être aussi menteurs que L. B. Namier le dit çle Kühlmann, c'est assez naturel. Mais que penser des intermédiaires chargés de transmettre des fonds occultes ? Selon une sentence allemande connue, pour ce métier, « il faudrait des seigneurs »... Référons-nous à Tocqueville qui écrivit en 1841 à propos de l'Algérie : « Il faut évidemment en Afrique des fonds secrets considérables, mais le succès qu'on en attend dépend entièrement du choix de l'homme qui doit s'en servir. L'emploi de ces fonds a souvent été fait d'une manière bien misérable et par de grands misérables. » Ainsi dûment mis en garde, on lira M. Zeman et ses documents avec moins d'illusions ou de préjugés, on BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL appréciera mieux le rôle de Parvus et celui de Ganetski, de Radek et autres, ses accointances. 3 * * * A la fin du premier ouvrage figure un mémorandum d'un intérêt majeur, œuvre de Parvus, présenté en mars 1915 à la Wilhelmstrasse. Qui était Parvus ? D'abord un social-démocrate de Russie, très intelligent, très doué sous maints rapports, très versé en économie politique et en théorie marxiste, d'une activité débordante, parlant aisément plusieurs langues, écrivain très prolifique. Comme tant de ses congénères, il émigre pour faire ses études en Suisse, puis il se fixe en Allemagne et s'incorpore à la social-démocratie, car il ne tient pas à rentrer en Russie dont il exècre le régime. Il collabore à divers journaux et revues, il se lie avec les militants les plus à gauche, allemands et polonais, entre autres avec Rosa Luxembourg, sans cesser ses relations avec ceux de Russie, menchéviks et bolchéviks. Il se distin - gue par la hardiesse de ses vues, l'originalité de ses écrits qui détonnent sur la sage et docte littérature du Parti, mais il se heurte aux situations acquises et végète assez tristement dans des conditions matérielles précaires. Quand la révolution de 1905 éclate en Russie, son tempérament prend le dessus, il rallie SaintPétersbourg et, auprès de Trotski mais moins en vue, il s'active au premier Soviet des députés ouvriers : tous deux ont élaboré la théorie de la « révolution permanente », bientôt ils seront l'un et l'autre arrêtés, condamnés, déportés, mais chacun pour soi prendra la clef des champs. En novembre 1906, Parvus se retrouve en Allemagne. Par nécessité d'abréger, on s'abstient 1c1 d'exposer les idées de Parvus, ses démêlés avec les polices allemandes, ses déboires dans la social-démocratie où l'establishment ne lui fait pas place en rapport avec sa valeur, les difficultés financières de sa vie besogneuse, ses entreprises aventurées qui finissent mal. En 1910, ce « stratège sans armée » part pour Vienne, puis pour Constantinople. Las de tirer le diable par la queue, il se lance dans les « affaires ». Il gagne de l'argent, beaucoup d'argent, et comprend que l'argent est aussi un moyen de réussir en politique : un nouveau Parvus, très différent du précédent et de ses 3. Nous désignerons Parvus sous son nom de plume et de militant et transcrirons le nom polonais de Hanecki du russe en français, Ganetski, plus aisément prononçable sous cette forme par les francophones. ..

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