Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

192 Il n'y aurait que demi-mal, et passager, si devant un tel dévergondage, au surplus corsé de stupre fastidieux, ne s'extasiaient pas les innombrables snobs de la presse écrite ou parlée et les philistins des institutions officielles que la terminologie archéo-marxiste qualifie de « bourgeoises », si l'Etat défini comme « capitaliste » selon la même terminologie ne se prêtait pas avec tant de complaisance aux débordements de .ce néo-marxisme frelaté, délétère, souvent dénommé « marxisme-léninisme », pseudonyme du stalinisme désormais décomposé en divers ismes plus nocifs les uns que les autres. « Notre meule s'arrête », disproportionnée à cette pestilence. * * * Au COURS de nos douze années d'existence, ces cahiers bimestriels se sont tenus autant que possible dans les limites du projet initial sans perdre de vue, pour autant, l'immense transformation des ·conditions de vie et de travail qui modifie profondément les données de la politique et ce qu'elles impliquent de morale. Non par étroitesse de vues, mais par nécessité de spécialisation, le Contrat social s'est abstenu de traiter les sujets, si tentants fussent-ils, qui relèvent plutôt des revues de culture générale et qui eussent élargi notre cercle de lecteurs, stimulé leur appétit intellectuel, peut-être amélioré notre situation matérielle. Etrangère à la mode comme à la publicité, allant .contre tous les courants d'aprèsguerre, notre modeste publication a pourtant fait preuve de démesure en un certain sens, faut-il supposer, pour n'avoir sacrifié en rien aux impératifs actuels de la réussite. Il est vrai que nous n'avions pas lu « Comment se faire des amis et influencer les gens », de Dale Carnegie, tandis que nous pensions depuis toujours avec Joseph de Maistre « qu'on n'a rien fait contre les opinions tant qu'on n'a pas attaqué les personnes », certes ayant en vue les opinions pernicieuses et les personnes malfaisantes. La tentation est irrésistible de citer encore, de citer toujours ce que nos devanciers intellectuels ont prononcé sur la presse longtemps avant ses perversions les plus récentes, et d'abord Diderot qui notait dans l'Encyclopédie : « Tous ces papiers sont la pâture des ignorants, la ressource de ceux qui veulent parler et juger sans lire, le fléau et le dégoût de ceux qui travaillent ». La nocivité des gazettes de son époque apparaît pourtant insignifiante, comparée au « fléau » de nos jours, et alors qu'à mi-chemin Balzac a pu écrire dans sa Monographie de la presse parisienne : « Si la presse n'existait BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL pas, il ne faudrait pas l'inventer ». D'aucuns parmi nos lecteurs de longue date remarqueront peut-être que ces citations, dès 1948, ont préludé avec d'autres dans le même sens à !'Observateur des Deux Mondes, feuille discrète où s'esquissaient les thèmes repris à dix ans d'intervalle dans ce Contrat social : c'est que « toutes choses sont dites déjà, mais comme personne n'écoute, il faut toujours recommencer », André Gide dixit, dont le ci-devant Observateur rapportait pour l'approuver cette autre sentence opposée aux platitudes en cours sur les prétendus « colosses », Etats-Unis et Union Soviétique : « Je crois à la vertu des petits nombres, à la vertu des petits peuples, le monde sera sauvé par quelques-uns ». Les vingt années écoulées depuis n'ont pas infirmé ·cette intuition pertinente, bien au contraire. Le même Observateur des Deux Mondes s'était permis de contredire tous les augures, tous les gouvernements et tous leurs experts en soutenant qu'entre les deux pseudo-puissances géantes sur la scène internationale, il n'y aurait désormais ni paix ni guerre au sens habituel des termes, dans l'avenir prévisible. Thèse que confirme la collection du Contrat social, que justifient vingt ans d'histoire contemporaine, thèse dont la méconnaissance explique l'incapacité occidentale de concevoir une politique étrangère .cohérente devant les entreprises du despotisme oriental, puisque la peur irraisonnée d'un holocauste universel est le commencement de l'impotence et, au pire, de la soumission sans paix ni guerre. Piètre réconfort que le lieu-commun selon lequel le pire n'est pas forcément le plus probable. Notre expérience prouve qu'un organe désintéressé, uniquement dédié à la recherche du vrai et du juste, à la défense d'idées sérieuses et d'intérêts supérieurs, ne saurait durer sans une manière quelconque de mécénat. Or la France .n'a pas de ces « fondations » qui existent en Amérique pour soutenir des causes ou des -a~uvressalutaires mais non-lucratives. Rares sont les favorisés de la fortune qui prennent à cœur l'avenir de la collectivité. Quant aux autres, indifférents aux malheurs en perspective, un des proverbes de Salomon (qui ne sont pas de Salomon, mais peu importe) s'adresse à eux en termes laconiques : « Celui qui se confie dans ses richesses tombera » (Prov. XI, 28 ). Sagesse très ancienne qui ne cesse d'être vraie, alors que les progrès prodigieux de la science et des techniques sont aussi au service des nouveaux barbares. LE CONTRAT SOCIAL.

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