Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

190 « Notre meule s'arrête, les ruisseaux coulent ailleurs ; allons chercher un autre terrain et d'autres veines ». Notre meule aussi s'arrête, mais nous ne chercherons ni un autre terrain, ni d'autres veines : autre temps, autres circonstances. La Cloche avait commencé à sonner en 1857, cent ans juste avant la parution de notre Contrat social qui a reproduit (dans son n° 4) l'article d 'Herzen inaugurant son journal : le lecteur attentif aura compris la parenté d'esprit qui justifiait alors ces « Pages oubliées ». Et après douze années de vie difficile dans les deux cas, « notre meule s'arrête», mais pour des raisons en partie semblables, en partie assez différentes. Il faut ici être bref et s'en tenir au principal, donc à notre propre oraison funèbre, car pour la prononcer nous ne pouvons compter sur personne. * * * LA FIN de cette revue tient à des causes générales et à des causes directes pour ainsi dire locales, nationales, soit dit sans méconnaître le caractère universel des phénomènes qui affligent la société contemporaine. « Une des marques essentielles de décence à présent est d'avoir honte d'être un homme du xx:e siècle », a écrit Thorstein Veblen, économiste et penseur américain d'origine norvégienne, qui pourtant ne prévoyait pas ce que Staline et Hitler allaient commettre, ni les conséquences (et il ne faisait pas allusion spécialement à la France). Aussitôt des objections s'élèvent. On pense par exemple au mot de Ménandre jugeant l'espèce humaine de son temps, à propos de l'hypothétique transmigration des âmes : « Oui, j'aimerais mieux être âne que de revivre homme pour voir prospérer des indignes ». On pense aux paroles de l'Ecclésiaste : « Et j'estime les morts déjà morts plus heureux que les vivants encore vivants, mais plus heureux que les uns et les autres celui qui n'a pas encore vécu et n'a pas vu les mauvaises actions qui se commettent sous le soleil ». Tout cela pour reconnaître que notre époque et notre monde ne sont peut-être pas particulièrement défavorisés par le sort, mais il n'empêche que Veblen ait eu raison, car le sort nous a réservé des « TchingisKhan disposant du télégraphe », autre prescience remarquable d'Herzen, et en tient d'autres en réserve, armés d'autres gadgets que le télégraphe. Et les réflexions générales sur l'humanité malheureuse ne contredisent nullement nos vues singulières, temporelles et françaises, puisqu'en l'occurrence c'est en France qu'une revue comme celle-ci ne trouve pas les moyens d'accomplir sa tâche. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Dans ses Considérations sur la France, Joseph de Maistre ... (Mais une parenthèse s'impose : les citations se pressent sous la plume et bien d'autres vont suivre. Cela s'explique sans doute, dans ce numéro d'adieu, par le besoin de rompre un sentiment de solitude devant les mastodontes appelés mass 1nedia qui nous submergent. Citer, c'est se découvrir des affinités électives. Et .ce sera retrouver de vieilles connaissances, avant de retourner au silence). Donc, Joseph de Maistre, dans ses Considérations sur la France, convient que « la Révolution française a pour cause principale la dégradation morale de la noblesse ». Nous assistons de même à la dégradation morale de la bourgeoisie, terme peu satisfaisant qui ne rend plus bien compte d'une pensée affranchie des catégories et des étiquettes banalisées par le marxisme des épigones et très dépassées par l'évolution sociale : il s'agit en réalité dés classes influentes et privilégiées (au pluriel, comme il y a des classes laborieuses plutôt qu'un prolétariat) qui encadrent un peuple dans son ensemble. Même parler de « classes », supérieures sur le plan matériel, c'est encore user d'une expression trop simpliste dans la complexité sociale actuelle pour désigner les gens de toutes sortes que le destin ne condamne pas à se préoccuper exclusivement du pain quotidien, des besoins primaires de l'homme et de la famille. L'indifférence de ces gens, ex-bourgeois, en matière de civisme, leur égoïsme borné, leur vulgaire appétit de jouissance, leur dédain des idées générales et des intérêts généraux de la société laissent le champ libre aux descendants d'Hitler et de Staline qui, désormais associés dans une commune ambition, peuvent impunément poursuivre leur travail de sape et de mine, d'infiltration et de pénétration, de pollution des âmes et des consciences jusqu'au moment propice aux actions brutales préparées de longue date. La France et l'Italie sont les plus menacées, à terme,· par la conquête intérieure en connexion avec les pressions et les ingérences de l' extérieur, mais nulle part autant qu'en France l'ennemi ne jouit de conditions aussi favorables à une future conquête du pouvoir. Sous la quatrième et la cinquième Républiques, qui sont de même origine, les « sans-scrupules conscients » du parti pseudo-communiste ont pu se constituer en Etat dans l'Etat, avec l'assentiment de gouvernements sans doctrine ni principes qui les traitent en quantité respectable, parfois les aident et les subventionnent, les introduisent en nombre à la Radio-Télévision dite « française », leur permettent de s'emparer peu à peu de l'Université, c'est-à-dire de

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==