Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

I. KROTKOV de nombreuses années secrétaire général de l'Union des écrivains, tour à tour suppléant, puis membre du Comité central du Parti, député au Soviet suprême, membre du bureau du Conseil mondial de la paix, membre du présidium du Comité soviétique pour la défense de la paix, deux fois décoré de l'ordre de Lénine, plusieurs fois prix Staline, président du comité de cet Ordre, conseiller personnel et favori de Staline. Lorsque je pense à Fadéiev, je revois immédiatement l'anthologie de littérature que nous avions à l'école, où le Torrent de Fer, de Sérafimovitch, Tchapaïev, de Fourmanov, et la Débâcle, de Fadéiev étaient à l'honneur. En écrivant, je revois Lewinson, inflexible bolchévik, avec son Mauser dans un étui en bois, et le faible Métchik, dont les aventures amoureuses avaient gagné ma sympathie. Avec l'enthousiasme de la jeunesse, je lisais Tchapaïev, captivante histoire de partisans rouges en Extrême-Orient. Je me rappelle aussi ma première rencontre avec Fadéiev dans son bureau de l'Union des écrivains, rue Vorovski, il y a près de trente ans. Muni d'une lettre de recommandation du doyen des auteurs dramatiques géorgiens, le ci-devant prince Chalva Dadiani, j'arrivais de Tiflis pour entrer à l'Institut de littérature de l'Union des écrivains. C'était en été, et Fadéiev, assis à son bureau, était tout de blanc vêtu. Son visage bronzé contrastait avec ses cheveux gris et soyeux, la gaieté brillait dans son regard. Apparemment, il était un peu« gai»; lorsqu'il parlait, les veines de son cou se gonflaient et sa voix avait une résonance étrange, comique, comme s'il eût parlé dans un hall presque vide. Ses manières étaient simples, affables, même exagérément démocratiques, en dépit de la « kremlevka » posée sur son bureau. (Il s'agit du téléphone relié directement au Kremlin; il en avait un autre dans sa datcha de Pérédelkino.) Dans la cour stationnait une automobile à avertisseur officiel, tandis que, dans l'antichambre, une foule de gens attendaient patiemment d'être reçus, comme il en est d'ordinaire dans l' antichambre d'un Commissaire du peuple. En voyant les portes capitonnées de cuir, les tapis, les portraits de Lénine et de Staline aux murs, les secrétaires se pressant l'air affairé, je me disais : « Les questions littéraires, comme les problèmes sportifs, sont des affaires d'Etat en U.R.S.S.» Par la suite, je rencontrai Fadéiev aux réunions de l'Union des écrivains et à leur club. Il avait une façon agréable de parler en public, s'exprimait avec fougue, ne se ménageait pas, au contraire, y mettait tout son cœur. Cependant, sa façon de concevoir la littérature n'a jamais brillé par l'originalité : il était l'apologiste lucide el franc de cc qu'on appelait, selon l'expression consacrée de Maxirne Gorki, le BibliotecaGino Bianco 243 « réalisme socialiste». Un jour, l'auteur dramatique Vladimir Soloviev se leva et déclara tout de go : « On nous demande de pei_ndre dans nos œuvres les grands contempora1°:s , : métallurgistes, forgerons, secrétaires de comit~, surveillants de chantier, policiers, etc. Mais je ne vois pas de quoi il s'agit; en fait de passions, je ne connais que l'amour, la peur, la jalousie.» Fadéiev bondit, coupa la parole à Soloviev et lui dit d'aller au diable, car de toute façon il était un homme fini; mais, ajouta-t-il, des jeunes l'écoutent encore (Fadéiev pensait à nous, étudiants de l'Institut de littérature) et cela est dangereux. Au début de la guerre, je vis Fadéiev à Kazan où il revenait du front. Il était en uniforme, revolver à la ceinture, et avec l'insigne de commissaire de brigade. Le hall de la Maison de l' Industrie avait été transformé en centre d'hébergement; des piles de valises, des rideaux et des écrans de contreplaqué séparaient la place réservée aux familles des gros bonnets de la littérature soviétique évacués de Moscou. On aurait dit un camp de romanichels : « leurs éminences» couraient chercher de l'eau chaude, comme dans une gare, ou bien faisaient la queue pour des paquets de sucre ou de gruau, discutaient en chuchotant les derniers rapports du bureau d'information. Lorsque Fadéiev apparut, ce fut comme si un brusque rayon de soleil avait inondé l'immense salle. De tous côtés on entendait : « Sacha I Alexandre I Fadéiev I Camarade Fadéiev I » En 1951, j'assistais à la célébration du cinquantième anniversaire de Fadéiev, salle Tchaïkovski, à Moscou. Vêtu de sombre comme un artiste en renom à un concert donné à son bénéfice, Fadéiev monta sur l'estrade et fit un discours dans lequel, solennellement et comme accomplissant un rite, il jura fidélité « jusqu'à son dernier souffle» au camarade Staline, identifiant ce nom à l'idée même du communisme. J'étais convaincu que ce serment était sincère, sachant pourtant que Fadéiev, en état d'ébriété, avait un jour téléphoné à Boris Pasternak, du restaurant « Aragvi », et lui avait dit : « Mon cher Boris, tu es le seul parmi nous, l'unique, qui ne dise pas de mensonge.» Quelques années plus tard, la femme de Pasternak, Zinaïda Nicolaïevna, me raconta quelques incidents assez significatifs. Au début de la guerre mourut Adik, fils d'un premier mariage de Pasternak, et ce dernier demanda à Fadéiev de l'aider à obtenir l'autorisation de l'enterrer, selon son désir, dans le jardin de la maison que Pasternak avait louée à Pérédelkino. Fadéiev accéda à sa demande, bien qu'elle ffit contraire à la loi. De plus, un peu avant que Pasternak ne revînt d'où on l'avait évacué, Fadéiev fit même planter des pommiers dans son jardin; et quand Pasternak

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