Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

226 Le discours prononcé à cette occasion par Djiouba démontre abondamment (comme d'ailleurs toute une série d'autres documents) que les nationalistes ukrainiens d'aujourd'hui ont non seulement rompu avec l'antisémitisme si répandu chez leurs prédécesseurs, mais se solidarisent avec les Juifs, reconnus désormais comme une autre minorité, plus durement opprimée encore par l'ennemi com1nun. Celui-ci n'a que trop profité d'avoir dressé les deux populations l'une contre l'autre. Pour Djiouba, Juifs et Ukrainiens partagent en Babi Yar « une tragédie commune ». Toujours sur les lieux de cette tragédie, Djiouba n'hésita pas à rappeler que communisme et hitlérisme sont des manifestations presque identiques du même phénomène - vérité depuis longtemps reconnue par de bons esprits soviétiques, mais que les « progressistes » d'Occident, toujours obnubilés par les distinctions anachroniques entre « droite » et « gauche », s'obstinent à ignorer. Le nazisme ne commence ni ne s'achève à Babi Yar. Le nazisme commence par le mépris de l'homme et finit par la destruction de l'homme et la destruction des peuples - encore que ce ne soit pas nécessairement à la manière de Babi Yar. L'Ukraine connaît et reconnaît aujourd'hui, malgré les barrages totalitaires, les noms des Symonenko et des Djiouba. Mais jusqu'à ces tout derniers temps, le pouvoir a réussi à entourer du plus épais silence les centaines, les milliers d'arrestations de gens moins connus, leur comparution devant des tribunaux secrets, leur condamnation pour « nationalisme », leur incarcération dans des prisons ou des camps punitifs - et même leur exécution. Tout ceci à l'époque où le monde occidental couvrait de fleurs M. Khrouchtchev, pour avoir mis fin aux procès politiques ... * * * Depuis, le silence s'est fait moins épais. Le régime est impuissant désormais à tout cacher. Déjà on en sait suffisamment sur ses dernières campagnes de terreur contre le nationalisme ukrainien pour en établir un bilan certes incomplet, mais non moins révélateur pour autant. La mort de Staline fut suivie de quelques années de calme relatif. Mais à partir de décembre 1958, après la découverte à Stanislaviv (actuellement Ivano-Frankovsk) d'un « Parti unifié pour la libération de l'Ukraine » organisé par un groupe de jeunes travailleurs et étudiants, les arrestations en masse sont reprises. BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Moins de deux ans plus tard éclate l'affaire de l' «. Alliance ouvrière et paysanne d'Ukraine », bien plus sérieuse cette fois, puisque lors de la comparution des inculpés devant le tribunal secret de Lvov, on constate qu'il s'agit de membres du Parti honorablement connus et bénéficiant de l'entière confiance du pouvoir. Or le but de l'Alliance est la sécession de l'Ukraine. Son programme, rédigé en termes marxistes-léninistes d'une orthodoxie irréprochable, constitue le plus incisif des réquisitoires contre le régime. Celui-ci est tenu pour responsable de l'assassinat de millions d'êtres humains, de plusieurs famines meurtrières, de l'effacement de la langue ukrainienne, enfin de la réduction du rôle économique de l'Ukraine à celui d'une simple annexe de la Russie. « A certains égards, lit-on, la situation de l'Ukraine est bien pire que sous les tsars - le pays est en fait une colonie de Moscou. » Les victimes principales sont les paysans, soumis à « une persécution sociale, économique, politique et culturelle et réduits à un statut qui ne diffère en rien du servage » d'autrefois. Dans le prétoire, les militants arrêtés s'obstinent à affirmer la légalité de leur action de propagande : le droit de sécession n'est-il pas inscrit à l'article 17 de la Constitution de l'Union soviétique ? D'abord hilare, la cour somme les inculpés de faire preuve enfin de sérieux, puisqu'il est notoire que la Constitution n'existe que pour l'édification du monde extérieur. Les peines prononcées sont à la mesure du crime : elles vont jusqu'à quinze années de déportation dans un camp de travail. Mais la sentence sera plus dure encore quelques mois plus tard, lorsque la police découvre à Lvov une nouvelle organisation clandestine, le « Comité national ukrainien ». Les vingt inculpés - tous de jeunes ouvriers et paysans - sont jugés en décembre 1961. La peine minimale appliquée est de dix ans - mais deux accusés.sont condamnés à mort et exécutés. Ces trois procès politiques sont sans doute les plus importants tenus pendant les années 1958 à 1964 devant les tribunaux secrets de l'Ukraine. Mais d'autres procès, de moindre importance mais non moins secrets, se déroulent dans toutes les grandes villes du pays pendant la même période. Chaque fois le chef d'accusation est le même : « Propagande nationaliste crfminelle ». Pourtant à aucun moment la répression ne parvient à freiner le mouvement. Partout les dissidents s'enhardissent. C'est pourquoi, dès le lendemain de la chute de Khrouchtchev, le pouvoir se décide de frapper un grand coup. En août et septembre 1965,

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