Le Contrat Social - anno XII - n. 4 - dicembre 1968

224 titué par Stepan Bandera à Lvov (dans cette Ukraine occidentale que les Russes viennent d'annexer après l'écrasement de la Pologne) sont presque aussitôt arrêtés par les Allemands. Une fois de plus dans leur histoire, les Ukrainiens prennent les armes en affrontant à la fois les Russes et les Allemands. Deux organismes se partagent la direction de la lutte : l'Organisation des nationalistes ukrainiens, l'armée rebelle du général Roman Choukhévitch. A partir de l'année 1944, l'Ukraine tout entière, mais surtout sa partie occidentale, sera le théâtre de combats incessants entre les guérillas de l'armée rebelle et les unités régulières de l'Armée rouge et de la Guépéou. Lutte impitoyable, marquée par les exécutions d'otages, la torture et la mise à mort des prisonniers, la destruction des villages, le « déplacement » de populations entières par les troupes russes. Guerre de partisans qui compte parmi les plus acharnées de notre époque, conflit d'une ampleur comparable à celui du Vietnam. Mais là encore, le pouvoir soviétique saura faire régner sur ces années terribles un silence à peu près complet - même dans son propre pays. 1 ( Contre un ennemi aussi résolu, aussi brutal que le sont les communistes russes, aucun mouvement de résistance ne peut se prolonger indéfiniment. En mai 1950, le général Choukhévitch est tué à l'ennemi ; et peu après les Russes viendront à bout des derniers centres de résistance organisée. * * * A la mort de Staline, on peut se demander si après vingt années de malheur et de massacre, le sentiment national ne s'est pas éteint à jamais en Ukraine. Mais lentement, péniblement, le peuple ukrainien va se redécouvrir. Au bout d'une quinzaine d'années, une nouvelle génération occupera la scène - et ce sera une nouvelle flambée de nationalisme. A travers toutes les vicissitudes qui marquent la période post-stalinienne, les dirigeants soviétiques demeureront inébranlablement fidèles à la « politique marxiste-léniniste des nationalités ». Celle-ci consiste comme on sait, pour l'essentiel, dans l'assimilation progressive des * L'auteur de ces lignes n'a lui-même découvert la vérité que fortuitement, pendant l'automne de 1946, après sa démobilisation de !'Armée rouge. Au cours d'un voyage en train qui lui a fait traverser, deux semaines durant, l'Ukraine tm:t entière, il a pu constater que toute la région occidentale, à l'exception des voies ferrées et des grandes villes, était aux mains des Banderovtsi ou partisans de Bandera. BibliotecaGino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE cultures nationales à une culture « soviétique » unique Elisez : la culture russe), l'adoption graduelle de la langue russe par l'ensemble des minorités, la suppression des traditions nationales autochtones, enfin l'élimination de toute trace de « nationalisme bourgeois ». Mais les successeurs de Staline n'étant pas en mesure de recourir comme lui à la terreur pure et simple, Moscou s'en tiendra d'abord aux méthodes « pacifiques » d'infiltration, de pénétration et de « rééducation ». Aujourd'hui, les fruits d'un demi-siècle de russification sont apparents. L'installation massive de Grands-Russiens dans les villes et les mesures prises pour hâter l'émigration « volontaire » des autochtones vers les Terres vierges et ailleurs ont produit leur effet : déjà la moitié environ de la population urbaine de l'Ukraine est originaire de Russie. La russification des vil1es est donc très avancée. Mais dans les campagnes comme à la. ville, la culture nationale ukrainienne est systématiquement refoulée. En matière de scolarité les pressions officielles sont telles qu'un tiers environ des élèves fréquentent des établissements de langue russe. Le tirage des périodiques en langue ukrainienne ne dépasse pas 35 % du tirage total. En 1930, 84 % des ouvrages publiés étaient rédigés en ukrainien ; c'est le haut de la courbe - dès 1965 on n'en compte plus que 41 % . Il serait donc vain de nier que les bouleversements de ce dernier demi-siècle ont radicalement modifié le visage de l'Ukraine. Il ne s'agit pas seulement de la structure « nationale » et socio-économique de sa population, mais de toute l'orientation de son esprit, de la nature même de sa conscience nationale. Qu'il faille ou non s'en féliciter, l'Ukraine contemporaine est bien plus ouverte que celle de naguère aux influences extérieures. En ce sens on pourrait être tenté de parler d'un « succès » de la politique soviétique des nationalités. Mais comme tant d'autres « succès » des bolchéviks, celui-ci pose au régime des problèmes plus redoutables encore, plus critiques aussi que la situation antérieure. * * * Ce qu'on constate en effet, c'est qu'au nationalisme traditionnel, paysan et romantique, a succédé un nationalisme moderne, « idéologique » - celui d'une société industrialisée, urbanisée et instruite. Le mouvtment des années quarante s'appuyait surtout sur les provinces occidentales tla Galicie historique), région d'où provenaient aussi ses principaux animateurs. Or à la population de ces provinces, qui n'ont

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