ALEXANDRE SOLJÉNITSYNE par Arkadi G. Gaïev AVANT DE PARLER de la valeur artistique et de la signification sociale d'Alexandre Issaïévitch Soljénitsyne, il est bon de dire un mot des multiples formes que revêt l'activité littéraire dans un immense pays multinational où l'art et tout d'abord la littérature sont condamnés à une fonction servile et humiliante. Étant données ces conditions, une grande partie des écrivains soviétiques a capitulé, acceptant sans réserve les exigences du prétendu« réalisme socialiste». Certains se sont réfugiés en « zone neutre» et se consacrent à des mémoires, traductions ou études critiques. Ces dernières années, beaucoup d'écrivains de tendance libérale essaient de louvoyer entre la vérité toute relative et le mensonge patent. Seuls quelques-uns ont réussi à traverser sans peur et sans reproche les différentes étapes du système soviétique. A cette peu nombreuse catégorie appartiennent Michel Boulgakov, Michel Zochtchenko, Boris Pasternak, Isaac Babel, Ossip Mandelstam. Une place d'honneur revient en particulier à Anna Akhmatova, cette martyre appelée à bon droit la conscience de la Russie. Ce haut et noble titre doit être également décerné à Alexandre Soljénitsyne, venu à la littérature sous l'impulsion du cœur et de la conscience. Inutile de nous arrêter en détail sur la biographie de cet écrivain : elle est déjà écrite en bien des langues. Rappelons simplement le destin plus que tout autre tragique de cet homme, à l'occasion de son cinquantième anniversaire. Encore enfant, il perdit son père. Puis ce furent les années 30, années de ténèbres et de famine. Et un peu plus tard, les souffrances, les privations et les horreurs de la guerre, aussilôt ses études terminées à l'Universilé de Rostov. Mais le front des combats ne fut pas l'étape la plus dure : deux mois avant la fin des hostililés, le capitaine d'artillerie Soljénitsyne, décoré et blessé, BibliotecaGino Bianco fut arrêté à la suite d'une dénonciation forgée de toutes pièces, qualifié d' « ennemi du peuple» et condamné à huit ans d'internement dans un camp d'isolement complet. En fait c'était la détention à vie, car vu les conditions qui régnaient sous Staline, on ne sortait pas vivant de ces camps-là. Douze années parmi les condamnés à la même mort lente que ce condamné, atteint en outre d'une maladie presque incurable, telle fut son école littéraire. Car c'est en prison et dans les camps, non dans un institut littéraire, que s'est formé !'écrivain Soljénitsyne. Plus tard il dira luimême : « Bénie soit la prison 1 Elle m'a permis de réfléchir 1 • » Au camp de la mort, et là est l'important, c'est à lui qu'il pensait le moins. Ses pensées s'attachaient surtout au sort du peuple soumis à l'arbitraire légalisé, au système étatique qui ignore l'individu et les droits de l'homme, au despotisme érigé en nécessité sociale. A. Soljénitsyne n'est entré en littérature qu'à quarante-quatre ans, après sa « réhabilitation» officielle et son retour en Russie d'Europe. Son premier récit. Une journée d' Ivan Dénissovilch, parut dans le numéro de novembre 1962 du Novy Mir. Il donnera le ton à toute son œuvre ultérieure. Il englobe un laps de temps infime : quatorze heures de la vie d'un camp d'internement soviétique. Le cours du récit ne mentionne pas d'événements particulièrement saillants. Il n'y a pas de tortures physiques. Pourtant Solj énitsyne, avec des données aussi réduites, sut montrer comme aucun des écrivains soviétiques ayant abordé ce théme scabreux ne l'a fait, l'univers des condamnés et une toute pelite partie du terrible appareil qui don1ine ce pays. En maintes circonstances, on a comparé cette œuvre, si réduile par son volun1c, à 1. Le Premier Cercle, ~d. russe, Londres 1968, p. 40.
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