140 ce journal si savant, n'ait décelé une telle sottise ? Quoi qu'il en soit, passons. Ou plutôt, revenons au Sénat. Revenons au Sénat pour nous étonner des deux attitudes que nous avons résumées. La tradition, qui lie le droit à la morale, plonge le doyen Vedel dans un désarroi visible, d'où il ne sort qu'en se soumettant humblement au fait accompli, et même au fait à accomplir. Sous la condition expresse, sans doute, que le nouveau viol de la Constitution se fera dans des conditions identiques au précédent : sinon le précédent ne serait plus un précédent. Moderniste, homme de progrès, Maurice Duverger ne se préoccupe pas de justifier les formes : il a l'œil fixé sur les choses. Si son raisonnement de juriste (car après tout, c'est en tant que juriste qu'il prend la parole dans ce débat constitutionnel), si son raisonnement de juriste commence par l'industrialisation, c'est que la multiplication des produits est le point de départ de sa réflexion. Il souhaite avant tout l'efficacité sociale, qui se mesure par la prospérité économique, et juge les institutions selon leur rapport à l'efficacité sociale. Je sais bien qu'ensuite il indique, du point de vue des principes démocratiques, les risques actuels de la situation. Mais ces risques, il les voit exclusivement dans certaines intentions du pouvoir concernant les assemblées régionales en projet. Et après avoir fait trois réserves sur ce point - pas de membres nommés, pas de membres élus par des groupes d'intérêts, préférence pour le suffrage universel direct - il conclut par un quatrième point, qui est précisément qu'il faut détruire le Sénat. Il place ainsi sur le même plan les objections et l'approbation, et quitte le lecteur sur l'approbation : delendus est Senatus. Cette vieillerie doit s'effacer devant la société nouvelle. * * * ON VOUDRAIT ICI tenter d'examiner les choses d'un autre point de vue : non celui du droit, de la morale, de la sociologie ou des principes métaphysiques de la démocratie, mais celui de la science politique. L'expression « science politique » est depuis quelque temps fort en usage, mais il n'est pas sûr qu'on sache bien .ce qu'elle est. Pourtant elle existe depuis longtemps. Au XVIIIe siècle, ceux qui la pratiquaient s'appelaient des publicistes (parce qu'ils s'occupaient du droit public). Aujourd'hui on hésite entre politistes, politologues et politicologues. Il faut souhaiter que s'impose le premier de ces trois termes BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL parce qu'il est plus élégant, et qu)on peut prévoir que des gens qui s'intituleraient politicologues nous feraient la science politique la plus indigeste et la plus ennuyeuse du monde. Il en est déjà quelques-uns que l'on a envie de nom- . . mer a1ns1. Que peut être, dans la situation qui nous occupe, le point de vue de la science politique? Il faut d'abord faire réflexion que la science n'est point logique de l'abstraction, mais connaissance et analyse du concret. Ce qui élimine d'emblée la morale, le droit et les principes du régime démocratique. Le cas de la sociologie est plus épineux, car la sociologie s'attache à analyser du concret. Il n'en est que plus important de la distinguer de la science politique. Et l'on remarque aussitôt que la sociologie s'intéresse à la société, tandis que la science politique concerne la direction politique de cette . , , soc1ete. Sur la relation de la société et du gouvernement, il existe de très anciens préjugés. On a dit et redit que chaque peuple a le gouvernement qu'il mérite, que les bonnes mœurs importent plus que les bonnes lois, que les lois dérivent de la nature des choses, et plus précisément que le gouvernement est une superstructure qui découle des divers modes de l'activité économique. Et bien d'autres fariboles. Anciennes ou récentes, ces formules sont peut-être miraculeusement justes, mais elles n'ont jamais été démontrées. Avant d'affirmer que le gouvernement, toujours, est ou doit être analogue à la société qu'il dirige, il faudrait analyser scientifiquement les gouvernements, c'est-à-dire examiner de près tous les faits qui sont en relation avec les changements gouvernementaux, et voir quelles forces produisent ces changements. La science politique, au premier chef, c'est la science des mutations constitutionnelles. Et par mutations constitutionnelles il faut entendre les changements dans les règles, et les transformations de la pratique. Dans une certaine mesure, on peut tenter d'inscrire les changements observés dans des évolutions, c'est-à-dire apprécier la force d'inertie qui à partir de certaines modifications entraîne d'autres transformations si aucune force nouvelle n'intervient. Il y a là un domaine de recherches assez négligé, souvent mêtne à peu près inconnu de ceux qui se disent politistes. D'ordinaire, ce qu'on nomme aujourd'hui science politique, c'est de la sociologie. Revenons à la situation actuelle. A l'origine de la réforme du Sénat et <;lescommunes, il y a une décision du président de la République.
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