Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

74 Les côtés sympathiques que Bakounine découvrait chez Lassalle par rapport à ses adversaires ne l'empêchaient pas de rejeter ses conceptions : Nous avons déjà exprimé à plusieurs reprises une très vive aversion pour la théorie de Lassalle et de Marx qui recommande aux travailleurs sinon comme idéal suprême, du moins comme but essentiel immédiat, la fondation d'un Etat populaire, lequel, comme ils l'ont eux-mêmes expliqué, ne serait autre chose que « le prolétariat organisé en classe dominante ». Si le prolétariat devient la classe dominante, qui, demandera-t-on, dominera-t-il? C'est donc qu'il restera encore une classe soumise à cette nouvelle classe régnante, à cet Etat nouveau, ne fût-ce, par exemple, que la plèbe des campagnes qui, on le sait, n'est pas en faveur chez les marxistes et qui, située au plus bas degré de la civilisation, sera probablement dirigée par le prolétariat des villes et des fabriques. (...) Que signifie : le prolétariat organisé en classe dominante ? Est-ce à dire que celui-ci sera tout entier à la direction des affaires publiques ? On compte environ quarante millions d'Allemands. Se peut-il que ces quarante millions fassent partie du gouvernement et que, le peuple entier gouvernant, il n'y ait pas de gouvernés ? Alors il n'y aura pas de gouvernement, il n'y aura pas d'Etat; mais s'il y en a un, il y aura des gouvernés il y aura des esclaves. ' Bakounine est sceptique quant aux sentiments révolutionnaires des Allemands : Voyez quel but lumineux est assigné au peuple par l'école communiste allemande ! Mais pour obtenir tous ces biens, il faut faire tout d'abord un petit pas, un pas innocent : la Révolution ! Eh bien, vous pouvez attendre que les Allemands le fassent! Disserter sur elle à perte de vue, peut-être, mais la faire ... * * * AVANTDE CLOREson « avant-propos » de ... 308 pages, l'auteur fera une discrète allusion au regroupement, après le Congrès de La Haye, de la majorité des sections nationales de la 1re Internationale autour de la Fédération jurassienne et à l'échec des tentatives de Marx pour soumettre l'Association internationale des Travailleurs à sa direction idéologique exclusive. Parlant de la fondation en 1868, au Congrès de Nuremberg, du Parti ouvrier social-démo- .crate allemand, il commente l'événement en ces termes : Sans aucun doute, ce parti a été fondé en Allemagne, dans le secret espoir et avec l'intention de se servir de lui pour introduire dans l'Internationale le programme intégral de Marx que le premier Congrès de Genève (1866) a repoussé. Ce programme est devenu celui du Parti ouvrier social-démocrate. Reprenant certains des principaux articles du programme de l'Internationale accepté par le Congrès de Genève, il. bifurque brusquement et recommande aux ouvriers allemands « la conquête du pouvoir politique » comme « un objectif proche et immédiat » du nouveau Parti, recommandation complétée par la phrase significative suivante : « La Bibli.otecaGino Bianco VARIÉTÉS conquête -des droits politiques (suffrage universel, liberté de la presse, liberté d'association et de réunion, etc.) est la condition préalable de l'affranchissement économique des travailleurs. » Ce qui veut dire qu'avant d'entreprendre la révolution sociale, les travailleurs doivent faire la révolution politique; ou bien, ce. qui répond le mieux au tempérament allemand, conquérir, ou même, ce qui est encore plus simple, obtenir le droit politique par une action pacifique de propagande. Et comme tout mouvement politique anticipant le mouvement social ou, ce qui revient au même, se situant en dehors de lui, ne peut être autre chose qu'un mouvement bourgeois, le programme du Parti ouvrier social-démocrate recommande aux travailleurs allemands d'épouser avant tout les intérêts et les obiectifs de la bourgeoisie radicale qui, ensuite, par gratitude, n'affranchira pas le peuple, mais l'assujettira à un pouvoir nouveau, à une exploitation nouvelle. Bakounine terminera son « · avant-propos » en montrant l'œuvre accomplie en Allemagne par le Chancelier d'Empire et en soulignant l'action, selon lui concordante, de ce dernier avec celle de Marx pour s'opposer à la révolution sociale : Bismarck a non seulement créé un puissant Empire germanique unifié, mais il l'a doté -des institutions gouvernementales les plus libérales et les plus démocratiques; il lui a donné un Parlement élu au suffrage universel, avec le droit de pérorer sur toutes les questions possibles et imaginables, se réservant seulement le droit de faire et d'appliquer ce qui lui plaît ou convient à Son souverain. Il a ouvert ainsi un champ de bavardage infini et n'a_gardé pour lui que trois choses : les finances, la police et l'armée, c'est-à-dire tout ce qui constitue l'essence d'un véritable Etat, tout ce qui fait la force de la réaction. Grâce à ces trois bagatelles, il règne aujourd'hui en maître absolu sur l'Allemagne entière et, par l'entremise de l'Allemagne, sur le continent européen. (...) Oui, sur tout le continent européen, il n'y a qu'un seul Etat bien réel: l'Etat pangermanique; tous les· autres ne sont que des vice-royautés du Grand Empire allemand. Par la bouche de son Chancelier, cet Empire a déclaré une guerre à mort à la révolution sociale. Le prince de Bismarck a prononcé contre elle une sentence de mort au nom des quarante millions d'Alle~ands qui sont derrière lui et qui lui servent de support. Quant à Marx, son rival plein d'envie et derrière lui, tous les chefs du Parti ouvrier s~1al~ démocrate d'Allemagne, ils ont de leur côté, comme pour seconder :Bismarck, déclaré la même guerre acharnée à la révolution sociale. Nous exposerons tout cela en détail dans la partie suivante. * * * CETTE 1< PARTIE SUIVANTE » a peut-être reçu un commencement d'ébauche, encore· que la désagrégation du petit groupe de compagnons que Bakounine avait rassemblés autour de lui pour imprimer ces<<publications du Parti socialrévolutionnaire » rende la chose douteuse. Quoi qu'il en soit, on n'en a pas découvert jusqu'à ce jour la moindre trace.

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