Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

M. BODY le dirigeât, debout de son propre mouvement pour la défense· de ses intérêts les plus sacrés), et la sauvagerie des militaires qu'aucune considération de respect pour les principes de la civilisation et de l'humanité, pour les rapports sociaux ou le droit civil ne retenait et qui, dans l'exaspération d'une bataille atroce, incendiaient, fusillaient et massacraient tout sur leur passage. Vaincue en France et peu après en Allemagne, la révolution lança ses derniers feux en Saxe, dans le Palatinat bavarois et dans le grand-duché de Bade. On connaît le rôle que joua Bakounine dans l'insurrection de Dresde (3-8 mai 1849) et les suites que la répression eut pour lui. En vain chercherait-on dans son exposé la moindre allusion à son cas personnel. Il brosse l'histoire de la défaite des démocrates allemands, des premières tentatives victorieuses de la Prusse pour imposer son hégémonie à tous les Etats allemands et de l'avènement de Guillaume Ier comme empereur d'Allemagne. C'est ce dernier qui, en octobre 1862, avait fait du prince de Bismarck son premier ministre : Le prince de Bismarck est aujourd'hui l'homme le plus puissant d'Europe. (...) Homme d'Etat dans toute l'acception du terme, il ne croit, comme Frédéric le Grand, ni en Dieu ni en diable, ni en les hommes, ni même en la noblesse - tout ceci n'étant pour lui que des moyens. Pour atteindre un but étatique, il ne s'arrête ni devant les lois divines ni devant les lois humaines. En politique, il n'admet pas la morale ; l'odieux et le crime ne sont immoraux que lorsqu'ils échouent. Plus froid et plus impassible que Frédéric, il est, comme lui, insolent et sans gêne. Noble qui a fait son chemin grâce au parti de la noblesse, il brime systématiquement ce dernier dans l'intérêt de l'Etat ; bien plus, il l'insulte comme auparavant il insultait les libéraux, les progressistes et les démocrates. En somme, il invective contre tout et contre tout le monde, à l'exception de l'empereur, sans lequel il ne pourrait faire ni entreprendre quoi que ce soit. En secret, peut-être l'insulte-t-il avec ses amis, en admettant qu'il en ait. (...) En entrant au gouvernement, Bismarck prononça le discours mémorable dans lequel il exposait son programme: « Les frontières de la Prusse sont exiguës et ne conviennent pas à un Etat de premier ordre. Pour en conquérir de nouvelles, il faut développer et perfectionner l'organisation militaire. Il faut se préparer à un conflit prochain et, en attendant, rassembler et accroître nos forces. L'erreur commise en 1848 fut de vouloir faire de l'Allemagne un seul Etat au moyen d'institutions populaires. Les grands problèmes nationaux ne sont pas résolus par le droit, mais par la force ; la force prime toujours le droit. » Pour cette dernière expression, Bismarck fut passablement malmené, de 1862 à 1866, par les libéraux allemands. A partir de 1866, c'est-à-dire après la victoire sur l'Autriche, et surtout après 1870, c'est-à-dire après la d~aitc de la France, ces attaques se muèrent en dithyrambes. En 6n de compte, libéraux et démocrates allemands qui « voulaient non pas la liberté, Biblioteca Gino Bianco 73 mais un Etat fort » emboîtèrent le pas à Bismarck Jamais peut-être et dans aucun pays, on ne vit un revirement aussi rapide et aussi complet des esprits qu'en Allemagne entre 1864, 1866 et 1870. (...) Ne resta dans l'opposition qu'un tout petit groupe, qui avait à sa tête le vieux J acoby, cette noble figure, et qui adhéra au Parti du peuple, formé dans le Sud de l'Allemagne après 1866. Evidemment, le Parti du peuple se devait d'adopter une attitude hostile à l'égard du Parti ouvrier socialdémocrate 3 fondé dans les années 60 par Ferdinand Lassalle. DANSla dernière partie d'Etatisme et Anarchie, Bakounine analyse les programmes politiques des partis d'opposition en Allemagne. Après avoir montré ce qu'était, sous le rapport économique, le système de Schulze-Delitzsch, « double et grossière mystification » contre laquelle s'insurgea Lassalle, il s'arrête longuement sur l'action politique de ce dernier : N'est-il pas évident que le programme de Lassalle ne se distingue en rien de celui de Marx, que Lassalle reconnaissait comme étant son maître ? Dans la b10chure dirigée contre Schulze-Delitzsch, Lassalle, avec la clarté vraiment géniale qui caractérise ses écrits, après avoir exposé ses conceptions fondamentales de l'évolution politique et sociale de la société moderne, avoue que ces idées et même la terminologie ne sont pas de lui mais de Marx qui les a énoncées et développées pour la première fois dans un ouvrage remarquable encore inédit. La protestation que M. Marx a émise après la mort de Lassalle, dans la préface du Capital, n'en paraît que plus étrange. Marx se plaint amèrement que Lassalle lui ait volé ses idées. Protestation vraiment singulière de la part d'un communiste qui prône la propriété collective et ne comprend pas qu'une idée, une fois exprimée, n'appartient plus à personne. (...) Lassalle était trop intelligent, trop indépendant pour qu'il eût besoin de recourir à ces misérables moyens à seule fin d'attirer sur lui l'attention du public. Il était vaniteux, très vaniteux (...), mais en même temps il était doué de si brillantes aptitudes qu'il pouvait satisfaire sans peine les exigences de la vanité la plus extrême. Il était intelligent, instruit, riche, habile et audacieux à l'excès ; il avait au plus haut degré le don de la dialectique, de la parole, de la compréhension et de l'expression claire et nette. Contrairement à Marx, son maître, qui est fort dans le domaine de la théorie et de l'intrigue dans la coulisse ou sous le manteau, mais qui, par contre, perd de sa valeur et de sa force dans l'arène publique, Lassalle sem11lait avoir été créé pour combattre à c.tel ouvert et sur le terrain pratique. L'adresse de la dialectique et la force de la logique suscitées par l'amourpropre, attisées par la lutte, remplaçaient chez lui la vigueur des convictions passionnées. S. Erreur de plume de Bakounine, comme l montre le contexte. Il s'agit de l'Association générnle drs Travailleun allemands.

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