Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

64 .-Il est remarquable que les partis socialistes ou social-démocrates d'inspiration marxiste, existant depuis la fin du XIXe siècle, n'aient pu arriver à des conclusions théoriques définitives concernant l'évolution de l'agriculture. A l'époque de la crise agraire, Karl Kautsky pensait que rien ne pouvait être tenté avant la prise du pouvoir : alors, il serait loisible au parti d'exproprier la grande propriété foncière et d'organiser la petite propriété en« une immense société .coopérative de production ». ·Les paysans à la tête d'exploitations individuelles produiraient pour l'Etat et paieraient leurs impôts en nature; en attendant que, « volontairement », ils préfèrent passer à des formes d'exploitation collective 18 • La propagande marxiste consiste à dire· au paysan que sa misère s'accentuera s'il n'adhère pas à la révolution socialiste que le prolétariat des villes doit · accomplir. Et Kautsky écrit : . . .Ce serait de notre part faire le jeu de ces partis [bourgeois ou réactionnaires] que de déclarer aux paysans que la situation de l'agriculture n'est nullement sans espoir et qu'on peut par quelques mesures les aider, comme agriculteurs, à l'intérieur de la société actuelle (loc. cit. ). En opposition avec ces vues intransigeantes et abstraites, un Bebel, un Liebknecht demandaient que fût développée, avec l'aide de l'Etat, la propriété communale ou coopérative : ils furent mis en minorité dans les congrès du parti. · La S.F.I.O. discuta de la question agraire en 1909 (congrès de Saint-Etienne) sans prendre de résolution. Edouard Vaillant préconisait la transformation des coopératives de vente en « coopération pour la culture en commun, dont le terme utile est la nationalisation du sol », d'accord, semble-t-il, avec Jaurès disant : Je crois que les paysans seront obligés d'abandonner non pas toute leur propriété individuelle, mais une partie grandissante de leur droit individuel de propriété, qu'ils seront obligés pour l'application de la technique paysanne, pour le développement de toutes les forces de production, d'accorder dans ]es coopératives, sur leurs parts, une influence crQissante à l'esprit d'ensemble, à l'action d'ensemble (Compte · rendu, p. 373). Jaurès définissait ainsi la vocation socialiste de l'association de production paysanne,· et il jugeait possible d'en voir la réalisation même dans la société capitaliste. 18. Neue Zeit, année 1895, t. II. Traduction partielle dans La Démocratie socialiste allemande, d'Edgar Milhaud, Paris 1903. Cf. aussi La Question agraire, même traducteur, Paris 1900. BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Plus tard, au congrès de· 1930 comnie dans le programme de 1936, il ne reste rien de ces formules d'association. Les ·trois points de la politique agraire se limitent aux syndicats d'achats en .commun, aux coopératives de vente et aux offices de produits agricoles, c'est-à-dire à des améliorations commerciales immédiates: * * * L 'I~DIVIDUALISME 'PAYSAN . se trouva -~is. e!1 echec lorsque, a la fin du XIXe s1ecle, 11 · eut à affronter les agricultures modernes des pays d' outre-mer. La chute des· prix am~na le succès d'un protectionnisme outrancier dont on sort à peine quatre-vingts ans plus tard et dont l'effet le plus certain, effet d'ailleurs voulu, fut de maintenir les structures agricoles dans l'état arriéré, anarchique, du siècle précédènt. En manière de compensation, elle. provoqua la naissance d'organisations syndicales dont la politique, jusqu'à ces dernières annéès; avaft pour but la conservation de ces structures traditionnelles, avec l'appoint des · coopé_ratives commerciales d'achat ou de vente, ·en général créées par ces mêmes _syndicats. L'exode rural, qui n'a pratiquement jamais cessé depuis le XIXe siècle, s'est considérablement accru après la dernière guerre : en moins de dix ans, de 25 à 30 % des agriculteurs, dont une grande majorité de jeunes, ont quitté définitivement la terre. Au prix d'un endettement croissant, le manque de main-d'œuvre eut pour effet un'e modernisation des techniques, l'augmentation rapide dù parc ·des machines, ce qui, dans les régions de haute produèdon, contribua à accent1:1erles départs de travail~ leurs. Mais un équipement perfectionné n'est rentable que sur des surfaces suffisantes: Une meilleure productivité n'est pas· possiblé ·en polyculture, sinon par cette spécialisation· des tâches que Fourier donnait comme argument décisif ·en faveur de son·association. Par aillèurs, les débouchés agricoles ne progressent· pas au rythme actuel du revenu national : les. chambres d'agriculture évaluent~ en i 96.7, le revenu agricole par tête aux deux tiers du revenu du Français moyen, cela en dépit de la diininuti_on des effectifs paysans et compte tenu des subventions et aides sociales. L'Ouest et le SudOuest du' pays demeurent dans un état de sous-développement agricole : faibles super- ·ficies, trop morcelées et dispersées, techniques insuffisantes, vieillissement des chefs d'exploitation, absence de capitaux. L'ouverture sur l'Europe risque d'accentuer l'écart _déjà considérable entre régions riches, armées pour la

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==