Le Contrat Social - anno XII - n. 1 - gen.-mar. 1968

34 Lockhart avait l'air d'examiner très attentivement la signature : - Savez-vous qu'elle est fort bien imitée? J'aurais pu moi-même m'y tromper. Là-dessus, il se leva et affirma d'un ton tranchant : - Tout votre dossier n'est qu'un ·faux. Je nie catégoriquement ma participation à quelque complot que ce soit. - Pourtant, vous avez remis vous-même tous ces papiers à Berzine, un officier letton. Ce nom vous est-il familier ? - Non. Mais attendez, attendez... Une chose me revient à la mémoire... - Vous avez essayé de l'acheter. Par l'intermédiaire de votre agent Sidney Reilly, vous lui avez fait remettre 900.000 roubles. Lors de votre dernière entrevue, vous lui avez donné vous-même 300.000 roubles supplémentaires. - Pure invention de vos subordonnés, monsieur le président. Je vous donne ma parole de gentleman que... Il n'acheva pas. Berzine parut à la porte. Pendant quelques instants, les deux hommes se regardèr-ent dans les yeux. - Que dites-vous maintenant, monsieur le diplomate? demanda doucement Dzerjinski. . Avec ostentation, Lockhart tourna le dos à Berzinc : - Je n'ai pas l'intention d'ajouter quoi que ce soit. Mon rang de diplomate accrédité me donne le droit de me taire. Dzerjinski se leva et s'approcha de Berzine : - Par ce refus, n'est-ce pas, monsieur· Lockhart a répondu à toutes nos questions? Monsieur Lockhart, le tribunal appréciera. Vous pouvez vous retirer. Le diplomate sorti, Dzerjinski prit Berzine· par les épaules : - Vous êtes un brave. Pour votre fidélité à la révolJtion, nous vous disons un grand merci tchékiste (pp. 234-36) ! Le 26 novembre 1918, on lisait dans les Izvestia : • Sont traduits devant le Tribunal suprême 1. ·L'ex-ministre plénipotentiaire britannique Lockhart et l'ex-consul général de France Grenard, accusés d'avoir, contrairement au droit international et aux usages en vigueur, utilisé leur situation pour créer en Russie une organisation contre-révolutionnaire en vue de restaurer le régime bourgeois et capitaliste. 2. Le lieutenant de l'armée britannique Sidney Reilly et ( ...} Kolomatiano, détenteur d'un faux passeport au nom de Serge Serpovski, accusés d'avoir été au cou~ant des plans de Lockhart et de Grenard et d'avoir :pris une part directe à leur réalisation. Reilly -a notamment remis à Berzine 1.200.000 roubles pour soudoyér les tirailleurs lettons (pp. 216-17). ) ' Au; cours de l'instruction, dirigée par Kin- · gissep;: tous les conjurés avaient été identifiés .et· pleine lumière avait été faite sur leurs acti- . . , . •vites. Bibli.oteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Le 4 décembre, le Tribunal suprême militaire révolutionnaire condamnait les six principaux accusés, dont Lockhart et Grenard, à la peine capitale, les autres à des peines de . prison. Deux des condamnations à mort n'étaient que symboliques : Lockhart fut échangé contre des diplomates soviétiques non reconnus cornnie tels par le gouvernement britannique et détenus par celui-ci (p. 236 ). Quant à Grenard, il fut autorisé à rejoindre Paris. * * * LE TCHÉKISTEPETERS et son agent Berz.ine avaient donc bien manœuvré : les diplomates alliés avaient donné à fond dans le ~ panneau. Seuls les attentats contre Lénine et Ouritski avaient empêché la Tchéka de poursuivre dans le Nord les préparatifs d'un traquenard dans lequel les troupes alliées devaient tomber . Pour imparfaite qu'elle fût dans ses résultats, la machination n'en avait pas moins permis de déclencher un grand branle-bas de propagande, fort utile à l'époque pour la jeune République soviétique. Afin d'augmenter la sympathie du lecteur pour le principal artisan de pareil haut fait, Edouard Berzine, quelques pages de cette édifiante histoire rapportent le triste sort qui devait être réservé à ce « héros positif ». Ses états de service lui valurent son admission au Parti et il se battit sur les divers fronts de la guerre civile. Travaillant de nouveau pour le compte de la Tchéka, il fut envoyé en mission d'espionnage à Berlin. Revenu à Moscou, il conti• nua sa carrière dans la police secrète. En tant que tch~kiste, il joua un rôle de premier plan dans la construction d'un important ensemble industriel pour la fabrication du papier, à Vichéra. En 1933, il fut chargé par Staline de créer le bagne aurifère de Magadan. Pour ses mérites acquis dans cette sinistre entreprise, Berzine fut décoré de l'ordre de Lénine (pp. 238-39). En décembre 1937, Staline le convoqua à Moscou. E'n cours de route~ dans une gare, deux tchékistes l'arrêtèrent (pp. 12-13). Depuis lors, nul n'a entendu parler de cette intéressante victime des épurations staliniennes. . E. DELIMARS.

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