N. LESER ouvriers purent maintenir les leurs à Vienne. bastion municipal traditionnel de la socialdémocraue, et parmi les cheminots. Certes, ils conservaient aussi l'influence tirée de leur force parlementaire - et de la menace (bien hypothétique) d'une action extra-parlementaire. Tout cela était de peu de poids face à la puissance massive de l'Etat. Le déséquilibre devait être dramatiquement illustré par l'émeute avortée du 15 juillet 1927, véritable tournant dans l'histoite de la première République. Exaspérée par l'acquittement de ligueurs d'extrême droite qui avaient assassiné plusieurs ouvriers, la foule n1it le feu au palais de justice. Il y eut un millier de blessés et quatre-vingt-cinq morts. Le gouvernement, resté maître de la situation, sévit contre les manifestants qui avaient échappé au contrôle des dirigeants du parti et de la Ligue de défense républicaine. Dès lors, il était impossible de revenir en arrière sur le chemin qui conduisait à la guerre civile et .à la tragédie de février 1934. Les efforts désespérés que multipliait Renner afin de faire renaître la coalition échouèrent aussi lamentablement que les tentatives de Julius Deutsch pour obtenir le désarmement parallèle des formations paran1ilitaires qui s'affrontaient. La Heimwehr se sentait le vent en poupe, elle était déjà assez forte pour repouss~r les offres d'une paix de compromis. S'il n'est pas douteux que la bourgeoisie - par son effort acharné en vue d'éliminer la social-démocratie - porte, de loin, la principale responsabilité de la guerre civile, une certaine part revient à coup sûr à l' austromarxisme, du moins en ce sens que le ton menaçant qu'il crut bon d'adopter fournissait un alibi à la politique agressive de la Heimwehr. Pourtant les ministres chrétiens-sociaux savaient parfaitement - au moins depuis le 15 juillet 1927 - que les chefs social-démocrates ne prenaient pas au sérieux leurs propres menaces et s'évertuaient au contraire à calmer leurs troupes de crainte d'une épreuve de force à laquelle ils répugnaient, tant en raison de leur sens des responsabilités que parce que des qualités authentiquement révolutionnaires leur faisaient défaut. Même le 15 mars 1933, lorsque les députés furent empêchés par la force de siéger au Parlement et que fut manifeste la violation de la Constitution par Dollfuss, la social-démocratie recula devant la grève générale ou l'insurrection - laissant ainsi passer, peut-être, la dernière occasion favorable à sa cause. Biblioteca Gino Bianco 353 Le pessimisme d'Otto Bauer LA TRAGÉDIEDE L' AUSTR0-MARXISMtEient à son incapacité de choisir. Il ne put se résoudre à s'engager ni dans la voie de Renner (coresponsabili té pour l'Etat et abandon de la phraséologie révolutionnaire) ni dans celle d'un putschisme conséquent. L'ardente controverse entre Otto Bauer et Max Adler au cours des années 20 portait précisément sur la position marxiste devant l'alternative : action constitutionnelle ou révolution. Il s'agissait aussi de se prononcer sur l'opportunité de maintenir, dans le programme du parti, une certaine idée et un certain style : la révolution comme but final, la terminologie extrémiste - et cela sans que ce but et ces mots aient le moindre rapport avec les conditions du moment, ni A • • , meme avec une situation pouvant se presenter dans un avenir prévisible. La perspective « messianique » - héritage d'une période que Renner croyait révolue - continuait d'obséder dirigeants et militants de la base, au point de voiler leur intelligence de la réalité politique. Ainsi, en ne cessant d'insister sur le caractère transitoire des institutions républicaines et de dénigrer celles-ci, alors que le parti faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les défendre, la propagande social-démocrate exposait la doctrine aux fausses interprétations de ses adversaires. C'est ainsi qu'on lit dans un des textes fondamentaux de l'austro-marxisme, le programme de Linz (1926) : Le parti social-démocrate exercera le pouvoir dans les formes et avec toutes les garanties de la démocratie (...). Si cependant la bourgeoisie s'opposait à la transformation sociale qui sera l'objectif du pouvoir ouvrier, en sabotant la vie économique, en recourant à la violence et en complotant avec les forces contre-révolutionnaires étrangères, alors la classe ouvrière se verrait forcée de briser la résistance par les moyens de la dictature 14 • Malgré cette conception toute défensive du recours à la violence, les représentants de la bourgeoisie ne cessèrent de se référer au programme de Linz pour dénoncer les aspirations dictatoriales de la social-démocratie. Il reste que cette interprétation tendancieuse pouvait s'appuyer sur maintes déclarations de militants de la « base », qui trouvaient dans la phraséologie révolutionnaire une compensation pour la perte de leur force réelle. Max Adler, gardien de l'orthodoxie, avait déjà défendu, dans son ouvrage Die Staats18. Die d1lerrelchlsche Sodaldemokrati, im Spl~otl lhnr Programme, Vienne 196', p. 4'3.
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