Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

CHARLES BAUDELAIRE par A. Lounatcharski CHARLESBAUDELAIR(E1821-1867), poète français. Sa carrière poétique coïncida avec l'épanouissement, dans la littérature française, des tendances romantiques et parnassiennes. Après la tourmente de la Révolution française et l'épopée des guerres napoléoniennes, un ordre bourgeois s'instaura qui ne répondait pas aux aspirations des masses ouvrières non plus qu'à celles des classes moyennes, de cette petite bourgeoisie qui avait donné le plus d'artistes en général, d'écrivains et poètes en particulier. Un profond désen1 chantement s'était emparé des esprits, suscitant le scepticisme à l'égard des principes rationalistes de naguère, qui devaient éclairer et améliorer le monde. Les conceptions des encyclopédistes étaient enterrées, laissant le champ libre au culte opposé des passions, de l'irrationnel ou du mysticisme. Tout espoir avait même disparu de trouver une issue à la vallée de larmes par la voie d'une profonde réforme sociale. Sur le fond d'un noir pessimisme qui gagnait les meilleurs esprits, un immense désenchantement, phénomène non seulement byronien, mais universel, se propageait, fortement imprégné d'effervescence révolutionnaire. Cependant, le romantisme avait ses autres aspects propres. En même temps que Byron, quoique moins imposant mais tout de même dominant les esprits, Chateaubriand était apparu, exprimant le même désenchantement, avec bien des traits proches du byronisme, mais aussi une forte dose de christianisme esthétique et d'idéologie aristocratique réactionnaire. Sur une position intermédiaire, d'autres artistes cherchaient à s'enfermer dans leur art Biblioteca Gino Bianco et à trouver, dans le jeu de l'imagination, les élans de la fantaisie et les délices de leur métier, un contenu vital. Si Leconte de Lisle, chef de file du Parnasse (lequel préconisait une attitude purement formelle à l'égard de la poésie), fut en même temps qu'un penseur profond un des pessimistes les plus affirmés de son siècle, les autres n'allaient pas si loin et se contentaient de faire des « émaux et camées » ( titre d'un recueil de poèmes de Théophile Gautier) avec des vocables insolites, à la fois truculents et précis. Enfant de son époque, Baudelaire connut lui aussi le désenchantement et l'indifférence à l'égard des idées de progrès ; vis-à-vis de tout ce qui l'entourait, son comportement était celui d'un sceptique, voire d'un hypocondriaque. En même temps, il avait l'amour du mot juste, de la précision du musicien et du joaillier, où il voyait le moyen d'imprimer sa marque sur ses tristesses et ses souffrances et de les atténuer ainsi tant soit peu. Cependant il se détachait nettement des autres poètes de ce temps par son penchant très accentué au raffiné, voire au pervers. · Cela s'expliquait sans doute chez lui par la maladie. Il descendait d'une famille de maniaques héréditaires. Ses dispositions innées et ses conditions d'existence le poussaient également à l'abus des narcotiques. En proie à l'ennui, dédaignant une réalité dont il ne pouvait se satisfaire, Baudelaire cherche alors dans les plaisirs inouïs des sensations neuves et n'y trouve pas seulement une certaine délectation : il se flatte de son dandysme esthétique et moral. Ne pas ressembler aux autres, être l'objet, en tant que « poète satanique », d'un

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