Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

• K. PAPAIOANNOU du tiers des 650.000 Hongrois et Slovaquie ont été expulsés, tandis que 1. 700.000 Hongrois de Transylvanie (soit 9 % de la population roumaine ou 17 % de la population hongroise) ont été privés de toute autonomie politique et culturelle, voués à une inexorable dénationalisation. Non moins tragique a· été le sort des Allemands, troisième « peuple historique ». Une fois de plus, l' « intérêt de la civilisation » a servi de justification à l'expansionnisme, voire à l'impérialisme le plus brutal. Quelques mois après la parution du Manifeste communiste et l'annonce, avec la fin des antagonismes nationaux, de la fraternisation universelle des prolétaires, Engels donna sa bénédiction à la guerre contre le Danemark et couvrit d'injures l'attachement des Scandinaves à leur « sale et brutale nationalité de brigands de la mer ~> ::,o : Avec le même droit avec lequel la France s'est emparée de la Flandre, de la Lorraine et de l'Alsace, et s'emparera tôt ou tard de la Belgique (sic), l'Allemagne s'empare du Schleswig : c'est le droit de la civilisation contre la barbarie, du progrès contre la stagnation. Et même si les traités existants donnent raison au Danemark, ce droit vaut mieux que tous les traités, car c'est le droit du développement historique (V, 395). Ce « droit » était encore plus évident dans les rapports entre les Allemands d~ l'Est (Sudètes, Autrichiens) et leurs sujets slaves. Car la germanisation des pays slaves a été faite « dans l'intérêt de la civilisation » (VI, 277-78), tandis que !'irrédentisme panslaviste n'est qu'un «· mouvement ridicule et antihistorique, qui ne prétend à rien moins qu'à soumettre l'Occident civilisé à l'Orient barbare, la ville à la campagne,_le commerce, l'industrie, la vie intellectuelle à l'agriculture primitive des serfs slaves » 56 • Tchèques, Moraves, Slovaques, Croates, Slovènes ne sont que des « peuples-déchets d'une évolution millénaire et c'est pourquoi ils cherchent leur salut dans la négation de tout le mouvement européen, puisqu'ils exigent que 55. Engels : L' Armistice entre la Prusse el le Danemark, septembre 1848,; V, 393-97. 56. Engels : Révolution et Contre-Révolution en Allemagne; VIII, 53. On Rense au passage du JHanifeste gloriOant la bourgeoisie d avoir soumis les peuples agraires et semi-civilisés de l'Orient aux nations industrielles et civilisées de l'Occident, Mals on ne peul s'empêcher de penser également au •programme• maoîste d'encerclement de la • ville mondiale capitaliste • par la • campagne mondiale anticapitaliste •· BibliotecaGino Bianco 307 ce dernier n'aille pas de l'Ouest vers l'Est, mais de l'Est vers l'Ouest » (VI, 172). Ici, le duel millénaire entre l'Est et l'Ouest prend la forme d'une lutte à mort entre le Drang nach Osten du germanisme porteur de « civilisation » et le Drang nach Westen du slavisme synonyme de « barbarie ». Aussi bien, quelques mois après les proclamations irénistes du Manifeste, Marx et Engels en vinrent à préconiser « le terrorisme le plus décidé à l'égard de ces Slaves » : « Les phrases sentimentales et les vaticinations quant à l'avenir démocratique de ces peuples ne nous empêcheront pas de les considérer comme des ennemis » (VI, 286 ). Aussi la révolution prolétarienne doit-elle entraîner une « lutte à mort contre ces Slaves » et impliquer un « terrorisme implacable », allant jusqu'à I' « extermination ». Polonais, Hongrois et Allemands doivent prendre une terrible revanche sur la barbarie slave. La guerre générale qui s'ensuivra fera éclater le séparatisme (Sonderbund) slave et détruira toutes ces petites nations à grosse tête de telle sorte que disparaîtra jusqu'à leur nom. La guerre mondiale qui s'approche [ 1849 !] provoquera la disparition non seulement des dynasties et des classes réactionnaires, mais aussi de peuples réactionnaires tout entiers. Et ce sera également un progrès (VI, 176). C'est dans cette perspective de génocide et de « guerre mondiale » que Marx et Engels ont vécu le « printemps des peuples ». Ces menaces absurdes et barbares disparaissent, il est vrai, dans leurs écrits d'après 1849, mais ils n'ont jamais oublié la grande leçon qu'ils avaient cru devoir tirer des événements de 1848. Derrière la « risible théorie panslaviste », ils avaient aperçu avec terreur la « sinistre réalité de l'Empire russe » (VIII, 53 ). Au cours de la grande confrontation entre la « démocratie européenne » et le « despotisme réactionnaire », ils avaient découvert que « la haine des Russes a été et reste toujours la première grande passion révolutionnaire des Allemands » (VI, 286 ). C'est par cette passion, réellement ou prétendument révolutionnaire, qu'ils se laisseront guider dans leur stratégie internationale tout au long de leur carrière. Aussi bien, leur premier et leur dernier mot en tant que pédagogues du prolétariat international sera - la guerre contre la Russie. KoiTAs PAPAIOANNou.

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