Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

304 Devant les armes britanniques, l'autorité de la dynastie mandchoue est tombée en pièces ; la foi superstitieuse en l'éternité du Céleste Empire s'est écroulée ; son barbare et hermétique isolement du monde civilisé a été violé ( ...). Dans la même mesure où l'opium a obtenu la souveraineté sur les Chinois, !'Empereur et ses mandarins pédantesques ont été dépossédés de leur propre souveraineté. Il semblerait que l'histoire avait d'abord voulu enivrer tout ce _peuple avant de pouvoir l'éveiller de sa torpeur séculaire ( ...). L'isolement complet était la condition première de la préservation de la vieille Chine. Cet isolement ayant pris fin violemment avec le concours de l'Angleterre, la dissolution doit s'ensuivre aussi sûrement que celle d'une momie soigneusement conservée dans un cercueil hermétiquement scellé, quand elle est mise en contact avec l'air 49 ... On retrouve ces accents dans tous les commentaires que Marx et Engels ont consacré aux événements chinois. Finalement, Engels reportera ses espoirs sur l'impérialisme japonais. La guerre de 1894 entre la Chine et le Japon, laquelle a entraîné la perte de Formose et le début du démembrement de la Chine, signifie, dit-il, la fin de l'ancienne Chine, une révolution complète, quoique graduelle, de toute sa base économique (...). La guerre a porté à la vieille Chine un coup mortel. L'isolement n'est plus possible, l'introduction des chemins de fer, des machines à vapeur, de l'électricité, de la grande industrie est devenue une nécessité, ne serait-ce que pour la défense militaire. Mais en même temps s'écroule l'ancien système de la petite économie paysanne, où la famille fabriquait elle-même ses articles industriels, et de ce fait aussi tout l'ancien système social so. Et l'on comprend pourquoi Marx et Engels ont fait si peu confiance aux mouvements antiimpérialistes des peuples orientaux. Les « mouvements de libération nationale » BIEN ENTENDU,ils n'ont pas manqué la moindre occasion pour clouer au pil9ri l' arrogance des Occidentaux et leurs «· entreprises de pirates » en Orient. Aussi, dans la résistance désespérée des Chinois contre les Anglais en 1857, Engels a reconnu « une guerre pro aris et focis, une guerre nationale pour le maintien de la nationalité chinoise, et, malgré ses préjugés tout-puissants, sa docte ignorance et sa . barbarie pédante, une guerre du peuple malgré tout » (XII, 214 ). Mais il n'a jamais pensé lui attribuer un quelconque caractère progressif ; au contraire, dans le « fanatisme » des Chinois 49. Marx : La Révolution en Chine et en Europe, mai 18~3; IX, 95-97. 50. Lettre à Kautsky du 23 septembre 1894; lettre à Sorge du 10 novembr~ 1894. Biblioteca Gino Bianco -. ., DÉBATS ET RECHERCHES durant leur lutte contre les étrangers, il n'a vu qu'une réaction de la vieille Chine devant « le danger suprême qui la menace » (XII, 216). De même, ·Marx dira de la révolte des Taïpings qu'elle fut le dernier « sursaut d'une société fossilisée » (XV, 516). Engels, qui attendait avec impatience le jour où la mort des vieilles structures précapitalistes « ouvrira pour l'Asie une ère nouvelle », envisageait avec une extrême méfiance les mouvements irrédentistes des Orientaux. Ainsi, après le bombardement d'Alexandrie par la flotte anglaise (1882) et la destruction du mouvement nationaliste d'Arabi Pacha, il s'est empressé de. désavouer ses disciples qui, choqués par l'intervention brutale de l'Angleterre, s'étaient solidarisés avec les nationalistes égyptiens. A cet égard, sa lettre à Bernstein datée du 9 août 1882 mérite d'être reproduite in extenso: . , Il me semble que dans la question égyptienne vous êtes trop favorable au parti dit national. Nous ne savons pas grand-chose d'Arabi, mais on peut parier à dix contre un que c'est un vulgaire pacha qui ne veut pas céder aux financiers la perception des impôts, parce qu'il préfère, selon la bonne coutume orientale, les empocher lui-même. C'est l'éternelle histoire des pays paysans qui se répète. De l'Irlande à la Russie, de l'Asie Mineure à l'Egypte, le paysan est là pour être exploité. C'est ainsi depuis les royaumes assyrien et perse. Le satrape - alias le pacha - personnifie la forme essentielle d'exploitation en Orient, de même que, de nos jours, le marchand et le juriste personnifient la forme moderne et occidentale d'exploitation. La répudiation des dettes du khédive, c'est très bien, mais que s'ensuit-il ? Nous, les socialistes d'Europe occidentale, ne devrions pas mordre aussi facilement à cet hameçon que les fellahs égyptiens ou... tous les Romans. C'est curieux! Les révolutionnaires des pays romans se plaignent d'avoir toujours fait des révolutions au profit des autres (...) pour la simple raison qu'ils se laissent toujours éblouir par le mot « révolution » (sic). Et pourtant, dès qu'une émeute éclate quelque part, le monde révolutionnaire roman s'exalte sans le moindre sens critique (sic). A mon avis, nous pouvons parfaitement prendre la défense des fellahs opprimés, sans partager leurs illusions du moment présent (car un peuple paysan doit être leurré durant des siècles avant d'être assagi par l'expérience), et nous pouvons intervenir contre les violences de-s Anglais sans nous solidariser pour cela avec leurs adversaires militaires actuels. Dans toutes les questions de politique internationale, il faut se méfier au plus haut point de la sentimentalité (sic) des journaux de parti français et italiens; nous, les Allemands, devons garder, dans ce domaine aussi, la supériorité que nous donne, dans la théorie, la manière critique d'envisager les choses. , On imagine sans peine ce qu 'Engels aurait pensé du national-socialisme nassérien avec sa « philosophie· de la révolution », ses rêves de guerre sainte et ses trop réelles cohortes de criminels de· guerre experts en « solution -

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