Le Contrat Social - anno XI - n. 5 - set.-ott. 1967

TH. MOLNAR mondiale. Malgré les divergences entre gauche et droite (appellations assez mal choisies, mais provisoirement acceptables), les Américains dans leur immense majorité restent unis pour la poursuite d'une politique expansionniste - sans comprendre d'ailleurs l'essence et l'actualité de pareille politique, étant donné _que le vocabulaire de cet expansionnisme n'a qu'une lointaine ressemblance avec celui de l'impérialisme tel qu'il est défini aujourd'hui. C'est ainsi qu'un rédacteur. · archi-progressiste du New York Times ne pouvait comprendre les propos d'un diplomate de Hanoï qui trouvait une analogie certaine entre l'ex-impérialisme britannique et français et l'actuelle politique asiatique de Washington. Aux yeux de ce rédacteur, ainsi d'ailleurs qu'aux yeux de Lyndon Johnson, la présence américaine au Vietnam ne constitue pas un acte impérialiste, car les Etats-Unis n'ont besoin ni de territoires, ni de matières premières, ni de marchés. Au contraire,. ils protègent la liberté, l'autodétermination, la démocratie et le droit des peuples à devenir ·consommateurs... La différence entre le président des EtatsUnis et le New York Times, c'est que le premier croit à la mission américaine de conduire le monde à la démocratie universelle, tandis que le second est persuaâé qu'il suffit pour les Etats-Unis de donner l'exemple d'une démocratie pacifique afin que le reste du monde - aujourd'hui les Russes, demain les Chinois - suive. Visions au fond identiques, comme elles l'étaient dans l'esprit de cet Américain typique. F. D. Roosevelt. D'où il suit que les méthodes qui découlent de ces deux points de vue deviennent forcément elles aussi identiques, car, étant donné que le monde résiste au rêve américain, le Washington de L. Johnson et celui du New York Times finissent par recourir aux armes. Dans les deux cas, au nom de la paix. Deux conséquences très importantes découlent de cette conviction partagée : 1. La bonne conscience du Président et celle de son peuple sont, en tout état de cause, sauvegardées lorsque les objectifs de guerre (contre le Japon, contre Hitler, en Corée ou au Vietnam, etc.) sont annoncés et discutés. En langage présidentiel ou en langage commun, il ne s'agit jamais ni d'intérêt ni de conquête, mais toujours de démocratie et de liberté. Autrement le peuple américain, avide de bonne conscience, ne tolérerait pas qu'on fasse la guerre en son nom et avec les ressources qui sont les siennes. Biblioteca Gino Bianco 21S Le dialogue entre le Président et le peuple est une chose beaucoup plus subtile qu'on ne le pense généralement ; malgré l'avis des commentateurs malveillants, ou du moins ignorants, ce dialogue repose sur un accord préalable et inébranlable : le Président incarne le peuple. De plus, il connaît ce peuple car il en fait partie ; des deux côtés, on est persuadé d'avoir raison ensemble : l'Amérique, creuset de l'humanité, ne peut vouloir de mal à personne. Les autres peuples ne sont-ils pas de futurs peuples américains ? 2. Ces considérations tacites ont pour résultat d'imposer une limite quasi automatique aux buts de guerre, qu'il s'agisse de n'importe quelle guerre : ces buts ne· pourraient être l'anéantissement de l'ennemi ni la conquête militaire de son territoire. Le but est à la fois idéologique et impérial. Les Etats-Unis sont une puissance maritime : leur objectif est de contenir l'ennemi à partir de bases établies à la périphérie - puis de l'amener à composition. Ainsi l'action proprement militaire est relativement réduite, du moins par rapport ., aux moyens dont dispose Washington : il ne faut pas que l'amertume créée par les hostilités déclenche des effets durables chez l'adversaire dont on brigue, au cours de la guerre déjà, la sympathie et la coopération futures. C'est aussi le sens de la formulation de la politique étrangère, de W. Wilson à W. W. Rostow : étendre le consensus américain au monde entier, car les peuples ne sont agressifs (antidémocratiques ...) qu'aussi longtemps qu'ils n'embrassent pas l'idéal américain d'harmonie, de pluralisme et de prospérité. * * * S , I LES OBSERVATEURS etrangers se trompent si facilement sur ces attitudes et leurs mobiles, c'est qu'ils oublient que les hommes politiques américains, s'adressant à leurs électeurs de l'Ohio, de la Californie ou du Michigan, ont l'impression de parler à l'humanité dans son ensemble. En conséquence, le point de vue provincial coïncide avec l'intention de dire des choses qui puissent être universellement reçues. Le Président et son peuple, même dans leur humeur la plus isolationniste, sont persuadés qu'aussi bien dans la guerre que dans la paix, leurs actes servent l'humanité et font progresser la cause commune. Qu'on puisse, à l'étranger, les interpréter autrement, que les réactions en d'autres pays puissent être irréductibles au commun dénominateur américain, le politicien américain est

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