Le Contrat Social - anno XI - n. 4 - lug.-ago. 1967

226 devenue plus tard le véhicule du développement historique. Ces débris d'une nation piétinée sans merci, comme dit Hegel, par la marche de l'histoire, ces déchets de peuples demeureront jusqu'à leur complète extermination ou dénationalisation les suppôts fana.- tiques de la contre-révolution, car leur existence ellemême est une protestation contre une grande révolution historique 29 • Dans son article sur le « Panslavisme démocratique », Engels revient sur ce sujet avec la même fougue de procureur hégélien plaidant devant le « tribunal de l'histoire » : Des nations qui n'ont jamais eu d'histoire propre, qui, à partir du moment où elles atteignent le premier degré rudimentaire de civilisation, se trouvent déjà sous un joug étranger ou qui même n'ont été amenées à ce degré que par une domination étrangère, n'onl pas de vitalité et n'atteindront pas à l'indépendance absolue. Tel a été le sort des Slaves autrichiens ... La Bohême et la Moravie reviennent définitivement à l'Allemagne [ = Autriche], tandis que le pays slovaque reste à la Hongrie. Comment cette nation, qui n'existe pas au point de vue historique, pourrait-elle devenir indépendante? Il en est de même des Slaves du Sud. Où est-il, le passé historique des Slovènes, des Dalmates, des Croates, des Schokaces [Bosniaques catholiques] ? Croit-on pouvoir, avec des lambeaux déchirés de peuples, fabriquer une nation vigoureuse, indépendante, viable? (VI, 275.) Deux ans plus tard, l'écrasement des mouvements irrédentistes inspirait à Engels ces réflexions aussi inquiétantes que déconcertantes : Ainsi prirent fin pour le moment et probablement pour toujours (sic) les tentatives des Slaves d'Allemagne [ = Autriche] pour recouvrer une existence nationale indépendante. Restes éparpillés de nombreuses nations dont la nationalité et la vitalité politique avaient été étouffées depuis longtemps ( ...), ces nationalités mourantes avaient tenté de profiter de la confusion universelle de 1848 pour rétablir leur statu quo politique de l'an de grâce 800. L'histoire de mille ans aurait dû leur montrer que pareille régression était impossible ; elle prouve la tendance historique, en même temps que la force physique et intellectuelle de la nation allemande [inexistante à l'époque] pour soumettre, absorber et s'assimiler ses anciens voisins orientaux; que cette faculté d'absorption des Allemands avait toujours été et était encore un des plus puissants moyens par lequel la civilisation de l'Europe occidentale s'était propagée à l'est du continent; qu'elle ne pouvait s'arrêter que lorsque le procès de germanisation (sic) aurait atteint les confins de nations grandes, compactes et intactes, capables d'une existence nationale indépendante, telles que les Hongrois et, jusqu'à un certain point (sic), les Polonais ; et que, par conséquent, c'était le destin naturel et inévitable (sic) de ces nations moribondes (sic) de laisser s'accomplir ce procès de dissolution et d'absorption par des voisins plus forts qu'elles 80 • 29. Engels : Le Combat des Hongrois, 1949; VI, 172. 30. Engels : Révolution et contre-révolution en Allemagne, 1851; VIII, 81 (trad. fr. 1951, pp. 275-76). Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Il ne·faut pas croire que ces énormités étaient dues au seul effet de la « confusion universelle » de 1848. Engels revient à l'assaut contre ces « ruines des nationalités », ces « pitoyables vestiges d'une grandeur passée », dans sesétudes sur_ « L'Allemagne et le panslavisme » (1855, XI, 194), et dans une longue série d'articles parus en 1866 il rappelle une fois de plus « la différence qui existe entre le principe· des nationalités [c'est-à-dire l'idée qu'on serait tenté d'appeler wilsonienne-léniniste de l'autodétermination des peuples] et la vieille doctrine de la démocratie et de la classe ouvrière [c'est-à-dire sa propre doctrine hégéliano-nationaliste] du droit des grandes nations européennes à une existence libre et indépendante 31 » : Le pr1nc1pe des nationalités soulève deux sortes de questions. Premièrement, celle des frontières entre ces grands peuples historiques; deuxièmement, celle du droit à l'existence nationale indépendante de ces innombrables et minuscules résidus de peuples qui, après avoir figuré plus ou moins longtemps sur la scène de l'histoire, ont été finalement absorbés par des nations plus puissantes auxquelles une plus grande vitalité a permis de vaincre de plus grands obstacles. L'importance européenne, la vitalité d'un peuple, n'est rien aux yeux du principe des nationalités. Selon lui, les Roumains de Valachie qui n'ont jamais eu d'histoire propre ni l'énergie nécessaire pour en avoir une ( !), ont une importance égale (?) à celle des Italien:s qui ont une histoire de deux mille ans et une vitalité nationale incomparable (...). Toute cette histoire est une absurdité destinée à mystifier les masses, une phrase commode qu'on emploie à l'occasion et qu'on répudie en temps opportun. Aveuglés par leur russophobie pathologique (on pouvait tout de même combattre cette« effroyable puissance » sans tomber dans le culte du Herrenvolk), Marx et Engels croyaient dur comme fer que la « question des nationalités » était une « invention russe » destinée, d'une part, à empêcher la restauration de la Pologne « dans ses frontières de 1770 », et de l'autre, · à préparer la conquête de la Turquie. C'est pourquoi, moins de cinq ans après la parution du Manifeste, ils se sont brusquement mués en défenseurs fervents de l'intégrité de l'Empire ottoman. cc Realpolitik » dans les Balkans BIEN ENTENDU, ils savaient fort bien· que l'Empire' de l' « ineffable Turc » avait atteint le dernier degré de putréfaction et que le pouvoir du Sultan ne reposait plus que sur « le mob de Constantinople, un mob auprès duquel les foules de la décadence ro~aine peu31. Engels : La Classe ouvrière et la Pologne, 186ft; XVI, 158.

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