178 rités confuses et névrotiques transformant la musique en cacophonie »... La résolution s'en prenait également aux conservatoires, « où domine le courant formaliste » ; à la critique musicale, qui était « carrément intolérable » ; enfin à l'Union des compositeurs, qui n'avait pas su développer la « tendance réaliste dans la musique soviétique » 14 • Cette condamnation par trop catégorique stupéfia le monde musical, tant en U.R.S.S. qu'à l'étranger. L'Union des compositeurs publia immédiatement un appel demandant la réunion d'une conférence nationale en avril 1948. Entre-temps, des réunions étaient tenues par tous les chapitres pour discuter et naturellement approuver la résolution du Parti. Les comptes rendus de certaines de ces réunions, publiés par la suite, étaient plutôt déprimants 15 • Les « débats » révélaient soit la soumission la plus complète, soit un esprit de vindicte à peine voilé~ Pratiquement, aucune voix · ne s'éleva pour défendre les grands compositeurs qui avaient « fauté », et les médiocres eurent beau jeu d'exhaler leurs ran- . cunes mesqumes. La conférence d'avril présenta le même aspect. Particulièrement décevante fut l' adresse lue au nom du vétéran musicologue Assafiev, trop malade pour être présent. (On a su par la suite que le discours d'Assafiev, en complète contradiction avec les opinions que professait ce dernier, avait été « préparé collectivement, avec l'aide d'autres musiciens » 16 .) Le nouvel homme fort de l'Union dès compositeurs se révéla être Tikhon Khrennikov, âgé de trente-_cinqans, qui fut élu premier secrétaire, poste qu'il occupe encore aujourd'hui. Sachant· que sa nomination était en jeu, il alla au-devant des désirs de Jdanov en dénonçant violemment tous les composi-· teurs modernes, aussi bien occidentaux que russes. .Pendant plusieurs années après la « purge » de· 1948, la musique soviétique fut pratiquement paralysée, et son prestige international tomba au plus ·bas. Les caractères les mieux trempés parmi les compositeurs et les critiques gardaient le silence ; les autres se rapprochaient ·de la ligne du Parti. Prokofiev essaya 14. La Musique soviétique, 1948, n° 1, pp. 3-8. 15. Alexander Werth : Musical Uproar in Moscow, Londres 1949, pp. 48-86. ·· - · 16. Hélène Orlova : B. V .. Assafi.ev, Moscou 1964, p. 392. Cf. également A. Werth : op. cit., pp. 96-98. Le discours complet d'Assaflev se trouve dans la Musique soviétique, 1948, n° 2, pp. 12-22. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE d'expliquer par écrit sa position 17 , m_aisaucune de ses concessions ne put prévenir le rejet brutal de son dernier opéra, Histoire d'un homme véritable. De plus, il ne vécut pas assez longtemps pour voir monter en entier son Guerre et Paix ni son ballet La Fleur·de pierre, tous deux délibérément retardés. Chostakovitch parlait et se comportait comme un homme « broyé et battu », et sa déclaration finale a été qualifiée de « document humain pathétique » 18 • Chébaline perdit son poste de directeur du conservatoire de Moscou, Mouradéli abjura, Popov sombra dans l'oubli. Les musicologues évitaient comme la . peste de discuter de musique contemporaine, s'en tenant à des sujets classiques « de tout repos ». Les critiques se contentaient de fustiger les compositeurs modernes occidentaux et la musique de scène américaine 19 • Dans ce sombre tableau, un élément consolant : les compositeurs accusés ne furent pas frappés d'ostracisme, quoiqu'ils dussent faire certaines concessions pour rentrer en grâce. En avril 1952, Prokofiev bénéficia d'une pension spéciale en raison de son état de santé, et l'une de ses dernières joies fut la brillante création de sa Septième Symphonie, en octobre de la même année. L'ère post-stalinienneJ STALINEET PROKOFIEVmoururent le même jour, le 5 mars 1953. Moscou fut si abasourdi par la disparition du dictateur que la mort du compositeur ne fut connue à l'étranger que quelques jours plus tard. Celle de Staline provoqua un certain relâchement -des contraintes et un apaisement presque imperceptible se fit sentir. Pendant l'été de 1953, Chostakovitch composa sa Dixième Symphoniè, la première . depuis ,huit ans : œuvre importante qui souleva les passions, certains allant jusqu'à ·crier à un retour au « formalisme ». La même année, Khatchatourian publia un article su~ « l'originalité et l'inspiration en musique » où il s'en prenait à la tutelle bureaucratique imposée au compositeur. L'~rticle fut très remarqué en U.R.S.S. et à l'étranger : le New York Times alla jusqu'à le qualifier d' « acte d'accusation contre la politique soviétique concernant la musique, telle qu'elle avait été défi- , J 7. Cf. Wei:th : e op. cit., pp. 94-96. Cf. également Slommsky : op. cit., 3 éd., 1949, pp. 625 et 706. 18. Werth : op. cit., p. 40. 19. Par ex., I. Nestiev : • La cacophonie du dollar•• in lzvestia, 7 Janv. 1951.
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