DOCUMENTS « antisoviétiques» les poèmes impérissables d' Akhmatova. La première et modeste publication · de l'éblouissante Tsvetaïeva, il y a une dizaine d'années, fut déclarée « erreur politique grossière». Ce n'est qu'avec un retard de vingt ou trente ans qu'on nous a rendu Bounine, Boulgakov, Platonov. Inévitablement ce sera bientôt le tour de Mandelstam, Volochine, Goumilev, Kliouev. On ne pourra éviter de «reconnaître» même Zamiatine et Remizov. C'est le moment décisif : après la mort de l' écrivain incommode, tôt ou tard on nous le rend en « expliquant ses erreurs». Pendant longtemps on ne pouvait prononcer à haute voix le nom de Pasternak. Mais voici qu'il est mort : maintenant ses livres sont édités et ses vers sont même cités dans les cérémonies. En vérité, ils accomplissent les mots de Pouchkine : « Ils ne sont capables d'aimer que les morts.» Mais une publication tardive ou l' « acceptation» d'un nom ne compense nullement les pertes sociales et artistiques dont souffre notre peuple du fait de ces retards monstrueux, de cet étouffement de la conscience artistique (il y a en particulier des auteurs des années 20, Pilniak, Platonov, Mandelstam, qui, très tôt, ont dénoncé la naissance du culte de la personnalité et les traits caractéristiques de Staline, mais on les a anéantis, on les a étouffés, au lieu de les écouter). La littérature ne peut évoluer entre les catégories « permis», « interdit». Une littérature qui n'est pas l'air que respire la société contem poraine, qui ne peut lui communiquer sa douleur et ses alarmes, qui ne peut à temps mettre en garde contre les dangers moraux et sociaux, ne mérite pas le nom de littérature, elle n'est digne que du terme de maquillage. Une telle littérature perd la confiance de son peuple. Ses livres ne méritent pas d'être lus. Ce ne sont que vieux papiers. * * * NOTRE LITTÉRATUREa perdu la position de guide qu'elle occupait dans le monde à la fin de ce siècle, et cet éclat de l'expérimentation par lequel elle se distinguait dans les années 20. Pour le monde entier, la vie littéraire de notre pays apparaît aujourd'hui infiniment plus pauvre, plus plate et plus vile qu'elle ne l'est en réalité, qu'elle n'apparaîtrait si on ne la limitait pas, si on ne lui fermait pas la route. Le perdant, c'est notre pays, tel qu'il est jugé par l'opinion mondiale; c'est aussi la littérature mondiale. Si celle-ci disposait de tous les fruits de notre littérature, sans limitations, si elle s'approfondissait grâce à notre expérience spirituelle, alors l'évolution artistique du monde entier serait autre; elle Biblioteca Gino Bianco 155 y trouverait une fermeté nouvelle, et atteindrait un nouveau seuil artistique. Je propose que le congrèsexige la suppression de toute censure - ouverte ou cachée - sur la production artistique, qu'il libère les maisons d'édition de l'obligation d'obtenir une autorisation avant toute publication. * * * 2. LES DEVOIRSde l'Union vis-à-vis de ses membres. Ces devoirs ne sont pas clairement formulés dans les statuts de l'Union des écrivains (« défense des droits d'auteur» et « mesures pour la défense des autres droits des écrivains»). Il est pénible de constater que depuis un tiers de siècle l'Union n'a défendu ni« les autres droits» ni même les droits d'auteur des écrivains. De leur vivant, beaucoup d'auteurs ont été exposés dans la presse et à la tribune aux injures et à la calomnie, sans avoir la possibilité matérielle de répondre. Il y a plus : ils ont été exposés à la violence et à la persécution personnelle (Boulgakov, Akhmatova, Tsvetaïeva, Pasternak, Zochtchenko, Platonov, Alexandre Grin, Vassili Grossman). Non seulement l'Union des écrivains ne leur a pas proposé les pages de ses publications pour se défendre et se justifier, non seulement elle n'est pas intervenue pour leur défense, mais la direction de l'Union s'est toujours placée elle-même en tête des persécuteurs. Ceux qui embellissent notre poésie du xxe siècle ont été exclus de l'Union, à moins qu'ils n'y aient pas été admis. Il y a plus : la direction de l'Union a lâchement abandonné à leur malheur ceux que la persécution a finalement condamnés à l'exil, au camp de concentration et à la mort (Paul Vassiliev, Mandelstam, Artem Vessioly, Pilniak, Babel, Tabidzé, Zabolotski et autres). Cette énumération, nous devons l'interrompre par les mots « et autres» : en effet, après le xxe Congrès du Parti nous avons appris qu'ils étaient plus de six cents écrivains qui n'étaient coupables en rien et que l'Union, obéissante, a laissé à leur sort dans les prisons et les camps. Pourtant, cette liste est encore plus longue. Jamais nos yeux n'ont lu, jamais ils ne liront la fin de cette liste qui demeure enroulée sur elle-même. Il y a là les noms de jeunes prosateurs et poètes que nous n'avons connus que par hasard, grâce à des rencontres personnelles, des hommes dont le talent a sombré dans les camps avant d'atteindre la floraison, des hommes dont les œuvres n'ont pas franchi les limites des bureaux de la Sécurité d'Etat du temps de Yagoda, léjov, Béria, Abakoumov. Il n'y a aucune nécessité historique pour la 'direction de l'Union nouvellement élue de partager avec les précédentes la responsabilité du passé.
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