Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

J. DE KADT pris que le P.I.D. (service de renseignements politiques) avait déclaré indésirable mon séjour en Indonésie, parce que j'étais un « trotskiste » capable de menacer l'ordre public. Et deux jours plus tard je fus mis en prison comme trotskiste. Cependant, au bout d'une semaine, grâce à l'intervention de quelques personnalités connues et estimées, assurant le gouverneur général que je n'étais vraiment pas trotskiste et que le gouvernement avait mieux à faire que de se rendre ridicule, je fus remis en liberté. Quelques semaines après, mon article parut dans Kritiek en Opbouw, le journal indépendant de Marcel Koch. Mon jugement sur Trotski est resté, dans ses grandes lignes, pareil à celui de 1940. LES GRANDSHOMMESde la révolution russe n'étaient pas vraiment aussi grands qu'ils ont pu le paraître à leurs premiers adeptes occidentaux, lesquels n'étaient pas suffisamment pénétrés du fait que cette révolution s'accomplissait dans un pays arriéré. Aujourd'hui, d'autres révolutions, ou des événements semblables, ont eu lieu, et nous savons combien il est facile de devenir un grand homme dans des conditions aussi propices au « culte de la personnalité ». Pour bien mesurer la stature de Trotski, il ne faut pas oublier que la Russie de 1917 et aussi de la période suivante était, politiquement surtout, un pays retardataire à bien des égards, sans autres traditions séculaires que celle de l'autocratie. On ne doit pas perdre de vue que ses écrivains de génie, ses hommes de science et de culture ont vécu dans une société à moitié asiatique, composée en majeure partie de payBiblioteca Gino Bianco 145 sans peu évolués, sous la coupe opprimante de l'Eglise orthodoxe. La classe ouvrière était encore numériquement faible et à demi paysanne. C'est dans une société de ce type que le socialisme resté en partie utopique des socialistesrévolutionnaires, que le socialisme quasi libertaire du bolchévisme ensuite (tel qu'il est exposé dans L'Etat et la révolution, de Lénine) pouvaient faire illusion aux masses. Et c'est dans ce milieu, dans le chaos consécutif aux défaites militaires, en l'absence de cadres gouvernementaux stables, qui a suivi l'effondrement du tsarisme, que Lénine et Trotski ont pu s'emparer du pouvoir et s'y maintenir. Dans les pays dits du « tiers monde », on voit de nos jours des hommes d'envergure bien moindre que celle de Lénine ou de Trotski vénérés pourtant par leurs compatriotes comme des libérateurs, des héros, des prophètes, voire des demi-dieux. C'est parce que la civilisation occidentale a baissé pavillon que ces hommes ont acquis pareille réputation factice. Si l'on a tout cela présent à l'esprit, on peut mieux mesurer la taille réelle d'un Trotski. A ceux qui étudient les révolutions contemporaines de faire de nouvelles évaluations, de comparer les grands hommes du « tiers monde » et ceux de la révolution russe. En tout cas, mon respect pour Trotski, après avoir observé l'évolution du monde au cours de près d'un demi-siècle, a constamment diminué. Aussi m'est-il difficile de reconnaître que je lui aurais manqué de considération dans ces souvenirs personnels. JACQUESDE KADT,juin 1964. (Traduit du néerlandais)

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