Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

J. DE KADT ON NE SAIT qui eut l'idée d'organiser, pour la soirée de la Saint-Sylvestre 1933, une réunion des représentants des petits partis d'extrême gauche ay~t des contacts mutuels et aussi avec les trotskistes. Mais ce dont il me souvient, c'est que la date me parut particulièrement mal choisie. En effet, ce jour-là se passe en général dans une atmosphère peu habituelle, tant à Paris que dans les hôtels et les moyens de transport. Mais peut-être fut-ce justement pour cette raison que les organisateurs jugèrent bon de tenir alors ladite réunion, pensant qu'au cours d'une telle soirée, la visite d'un certain nombre de personnes dans un immeuble distingué passerait plus facilement inaperçue. Quoi qu'il en fût nous avions, au secrétariat de l'O.S.P. (parti socialiste indépendant hollandais), été avisés qu'une réunion de grande importance aurait lieu pour décider si notre collaboration devrait être continuée et, si oui, ce qu'elle signifierait pour l'avenir. Nous avions également appris que les trotskistes attachaient à ce rendez-vous une telle signification qu'ils se proposaient d'envoyer une très forte représentation. Des instructions très précises nous seraient données lorsque nous nous trouverions, à une certaine heure, dans un café quelque part au Quartier latin. Arrivé à l'heure indiquée, je vis tout de suite Henk Sneevliet, dégustant une tasse de café. Mais comme il ne me fit aucun signe d'invitation à le rejoindre, je m'assis à une autre table pour attendre. Quelques minutes plus tard, une dame âgée entra et s'assit près de Sneevliet. En regardant par-dessus mon journal, je vis qu'ils entraient d'emblée en conversation intime, sur un ton chuchotant. Cette dame, je l'avais reconnue, était la femme de Trotski. Au bout de quelque temps, Sneevliet se leva, fit semblant de m'apercevoir à l'instant, me serra chaleureusement la main comme on doit le faire lorsqu'on rencontre par hasard une vieille connaissance, puis m'invita à le suivre quand il quitterait le café. · Lorsque je l'eus rattrapé - car le suivre m'ennuyait - je lui demandai où nous allions. Affichant toujours un air mystérieux, il sembla hésiter, mais sur mon insistance, il finit par dire que nous allions chez le nr Weil, à quelques pas de là. En chemin, nous rencontrâmes quelques émigrés allemands, leaders du S.A.P. (parti ouvrier socialiste), petite fraction dissidente du grand parti social-démocrate, et qui faisait partie des groupes collaborant ensemble. Biblioteca Gino Bianco 141 Parmi eux, une de mes vieilles connaissances, Jakob Walcher, l'un des fondateurs du Spartakus Bund de Rosa Luxembourg, plus tard membre de la direction du parti communiste allemand, et enfin exclu en même temps que Brandler, Thalheimer et d'autres personnalités en vue. Il avait ensuite formé un petit groupe d'opposants communistes, le K.P.O. (parti com- .muniste d'opposition), qu'il dirigea pendant plusieurs années, et qui, à Paris, estima que tous les groupes communistes de gauche devraient collaborer ensemble, ce qui lui fit prendre le chemin du S.A.P. Il devait réintégrer, en 194 5, le communisme allemand et, à moins que l'annonce de sa mort m'ait échappé, il doit se trouver encore à la direction du S.E.D. d'Ulbricht. Ouvrier métallurgiste à l'origine, c'était un homme doux et cordial, ayant le sens de l'humour, et il fut de ces quelques militants allemands avec qui j'eus, quand j'étais communiste, des contacts personnels. Moins mystérieux que Sneevliet, il me raconta tout de suite que le Dr Weil ne faisait pas partie de nos groupements, qu'il était membre de la S.F.I.O.*, mais toujours disposé à aider les émigrés politiques à Paris. Il savait qu'il s'agissait d'un rendez-vous important - Trotski devait venir lui-même de Barbizon - et il avait mis son appartement à la disposition des participants. Avais-je déjà lu quelque chose de Simone, la fille du Dr Weil ? Je dis que oui, mais sur le moment cela me parut moins important que la venue de Trotski. « Quelle est, de fait, l'importance de cette réunion ? » demandai-je à Walcher. J'ajoutai qu'à ma connaissance la précédente conférence de Paris, qui réunit des partis et groupements indépendants, avait été un échec, du moins au point de vue de Trotski. Car personne, au cours de cette conférence, très fréquentée mais incroyablement mal organisée, n'avait accepté les conceptions trotskistes, abstraction faite de l'adoption, non sans réserve, de quelques dogmes prônés par Trotski-Gourov, et qu'adoptèrent finalement le S.A.P., le parti de Sneevliet et l'O.S.P. Mais en ce qui concerne ce dernier parti, nous attachions évidemment plus de valeur à une collaboration avec le parti ouvrier norvégien, l'Independent Labour Party britannique et le Bund polonais (organisation socialiste juive antisioniste) qu'avec les trotskistes. Certes, dit Walcher, puisque l'O.S.P. avait fait échouer, et surtout par mon action personnelle, la fusion de • Renseignement Inexact de Walcher : Je Dr Bernard Weil ne se mêlait d'aucune politique. Il accédait simplement aux désirs de sa flJlc Simone pour accorder l'hospitalité à ceux qu'elle voulait aider. - N.d.l.R.

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