Le Contrat Social - anno XI - n. 3 - mag.-giu. 1967

CHEZ SIMONE WEIL • • RUPTURE AVEC TROTSKI par Jacques de Kadt LE RAPPROCHEMENTde ces deux noms, Simone Weil et Léon Trotski, exige une explication. Il la faut simple et claire pour dissiper la confusion trop répandue par le verbiage insipide du journalisme touche-à-tout qui a obscurci et embrouillé la question des rapports entre Simone Weil et le communisme. Seuls des ignorants et des snobs (ils sont légion dans la presse) peuvent confondre le communisme de Marx avec celui de Staline et croire que l'adhésion au communisme ne va pas sans possession de la carte d'un parti devenu l'instrument servile du pire Etat despotique et policier. A la vérité Simone Weil devint communiste à l'époque où le parti communiste avait déjà cessé de l'être. D'abord membre du syndicat des instituteurs, elle entra par cette voie e.n rapports avec une revue << syndicaliste-communiste &, la Révolution prolétarienne, avant de rallier le petit << Cercle communiste démocratique» (ci-devant << Cercle Marx-Lénine>>) qui publiait un Bulletin communiste intermittent, puis la Critique sociale. Cela se passait en 1932, alors que les hommes pour lesquels elle ressentit estime et solidarité, puis sentiments d'amitié profonde, étaient tous hors du << Parti >>domestiqué qui trahissait ses origines et reniait sa raison d'être. Simone Weil a donc été intelligemment marxi1te et communiste, c'est-à-dire critique et • révisionniste J>, comme le prouvent ses articles du moment dans l'Ecole émancipée et dans deux des revues précitées, juste le temps de mQrir très vite et d'approfondir ses idées, puis de les dépasser tant par l'étude et la réflexion qu'à la lumière de l'expérience allemande d'alors .de tout ce qu'elle assimilait pour motiver sa règle de vie. (Lire ou relire, dans notre n ° 4 de 1957, l'article de Simone Pétrement : « La critique du marxisme chez Simone Weil », à défaut du recueil : Oppression et liberté, Paris 1955.) En 1932, Simone Weil passa ses vacances en Allemagne, sac au dos à la façon des W andervogeln, fréquenta la jeunesse et les travailleurs qu'elle aimait, assista à la trahison pseudoBiblioteca Gino Bianco communiste qui favorisait les nazis par hostilité envers la social-démocratie, prédit l'avènement de Hitler et le pacte de celui-ci avec Staline, pressentit l'approche de la guerre européenne. Parfaitement clairvoyante devant la version stalinienne du communisme, elle remarquait déjà que Trotski ne différait pas beaucoup de Staline en s'obstinant à définir le régime soviétique comme un Etat prolétarien affligé de déformations bureaucratiques. Elle lui opposait une réfutation magistrale, en écrivant entre autres : << Descartes disait qu'une horloge détraquée n'est pas une exception aux lois de l'horloge, mais un mécanisme différent obéissant à ses lois propres; de même il faut considérer le régime stalinien non comme un Etat ouvrier détraqué, mais comme un mécanisme social différent, défini par les rouages qui le composent et fonctionnant conformément à la nature de ces rouages>> (cf. Oppression et liberté, p. 15). Trotski s'avéra incapable de comprendre. ne trouvant à répondre que par une polémique mesquine et des sarcasmes sans portée. Cela n'empêchait pas Simone de s'évertuer à lui faire entendre raison, ni de rester humainement solidaire d'un << camarade >>proscrit, persécuté, dont elle espérait encore qu'il n'avait pas dit son dernier mot. Au Cercle communiste démocratique, elle avait connu incidemment un hurluberlu (ce Molinier mentionné par J. de Kadt dans son papier de notre dernier numéro, « Chez Trotski ») qui l'alerta en lui assurant que Léon Sédov, fils de Trotski, était en grand danger à Berlin et avait besoin d'aide urgente. Pendant son séjour en Allemagne, elle prit rendez-vous avec ce jeune homme très sympathique et le trouva bien tranquille dans un café, fort surpris d' apprendre que son sort inspirât la moindre inquiétude. Il profita de l'occasion pour confier une valise pleine de papiers à Simone qui, après une halte à Hambourg, la trimbala jusqu'à Paris où elle resta (la valise) plus d'un an rue Auguste Comte, chez la famille Weil. ,

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