70 pres actions, ainsi que celles de leurs amis politiques. Malgré cela, en dépit d~s partis pris, leurs récits sont d'une valeur inestimable. Qu'ils soient vrais ou faux, objectifs ou subjectifs, ils ont été écrits par des hommes dont les actions et les conceptions ont façonné les événements. Prenons un exemple. Personne n'est à même de prouver que la révolution de Février ait été une protestation de soldats et de citoyens d'esprit patriotique contre la conduite inepte de la guerre par le régime tsariste (ainsi que le pensait Milioukov, le dirigeant cadet),. ou bien que les émeutes qui tournèrent à la révolution aient été engendrées par la lassitude de la guerre et les sentiments pacifistes (comme Lénine le croyait). Il existe suffisamment de preuves pour établir le bien-fondé de chacune de ces deux thèses. L'important, c'est que toutes deux ont _donné naissance à des événements d'une importance capitale. En effet, la conviction de Milioukov, fondée ou non, a déterminé la politique étrangère et la politique de guerre du Gouvernement provisoire dans les deux premiers mois après la révolution; de même, la conviction de Lénine a déterminé et fondamentalement modifié la politique et l'action du parti bolchéviste. Pour bien comprendre ce qui mena la révolution de Février à sa perte, il est donc utile de rappeler brièvement le point de vue des dramatis personae. * * * Milioukov : la guerre et les révolutions COMMENÇONaSvec Paul N. Milioukov qui fut, parmi les auteurs que nous examinerons, le seul historien de profession. Leader du libéralisme russe, il écrivit son Histoire quelques années seulement après la révolution et essaya, comme on pouvait s'y attendre, de justifier la politique constitutionnelle-démocrate et la sienne propre lorsque son parti ne le suivait pas. Nous l'avons dit, selon lui, la révolution était due essentiellement à la conduite défectueuse de la guerre par la bureaucratie tsariste. Pour le chef du parti cadet et du. « bloc progressiste » à la Douma, la révolution n'avait pas commencé le 27 février 1917 1 , lorsque des soldats de la garnison de Pétrograd s'étaient ralliés au peuple soulevé, mais bien le 1er novembre 1916, lorsque Milioukov avait prononcé à la Douma son_fameux discours 1. Les dates seront données d'après ranefen style ~alendrier julien). ·Biblibteca Gino. Bianco d, LE CONTRAT SOCIAL dans lequel, critiquant âprement la politique du gouvernement, il avait posé la question : « Qu'y a-t-il là ? Sottise ou trahison ? » L'opinion publique, écrit Milioukov en dépeignant l'effet de ses paroles, « a unanimement reconnu le 1er novembre 1916 comme le commencement de la· révolution russe ». De même, dans le premier chapitre de son Histoire de la deuxième révolution russe, intitulé : « La quatrième Douma <l'Empire dépose la monarchie », il soutenait que c'était la Douma conservatrice et fondamentalement monarchiste qui avait commencé et dir.igé la révolution 2 • La tâche première du nouveau régime était, selon Milioukov, de conduire la guerre plus efficacement, les principales réformes politiques et sociales devant être ajournées jusqu'à la victoire. D'où son opposition résolue à une réforme agraire trop hâtive et à la convocation prématurée d'une Assemblée constitu~nte. Ignorant quelque peu le fait de la révolution et se heurtant non seulement aux porte-parole de la gauche, mais même à Goutchkov, ministre de la guerre, Milioukov s'opposa obstinément à toutes les tentatives de modifier les buts de guerre de la Russie : entre autres, l'annexion de Constantinople et des Détroits, voire, selon Kérenski, l'annexion des provinces polonaises appartenant à l'Autriche et à l'Alle- . magne, ainsi que de vastes territoires en Asie mineure 3 • Bien des gens ont sévèrement critiqué l'action de Milioukov durant la révolution, le considérant comme l'incarnation du manque de flair, de l'aveuglement politique et, vu les circonstances, de l'utopisme même. On ne peut cependant nier que Milioukov fµt alors l'un des. très rares hommes à savoir ce qu'il voulait, préconisant une politique conséqu~nte. Il comprenait que sa politique « non révolutionnaire » · 'et « impérialiste » ne pouvait être conduite que par un gouvernement « bourgeois » sous sa direction personnelle, et 0 il s'opposa logiquement à introduire au Gouvernement provisoire des représentants de la gauche. Il dut accepter, assurément à contre- . cœur, la présence de Kérenski, l'unique « captif » de la gauche. Or Kérenski était, en l'occurrence, absolument indispensable, comme étant le séul dirigeant écouté des masses, .donc capable de faire patienter la populace et la soldatesque. 2. P. N. Milioukov : lstoriia rousskoi révoliQutsii, Sofia 1920, vol. I, pp. 34-39. 3. Alexander Kerensky : The Kerensku Memoirs, Londres 1966, pp. 243-44.
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