68 « la guerre amena la destruction presque complète du Parti », et, plus loin, qu' « au moment de la. révolution de mars 1917, les membres de notre Comité central étaient soit à l'étran- .ger, soit en prison ou dans la déportation. Le .Parti était dispersé et écrasé » (Librairie de l'Humanité, Paris 1926). Ce que Molotov, parlant à Milovan Djilas, confirmera un jour : « La première guerre mondiale trouva notre parti dans un état de faiblesse extrême, complètement désorganisé, dispersé, avec des effectifs squelettiques » ( Conversations avec Staline, Paris 1962). Les bolchéviks en tant que tels n'~urent aucune part à la révolution de Février, nonobstant leurs vantardises et leurs menteries ultérieures, mais ils surent exploiter ensuite les circonstances pour s'emparer d'un pouvoir mal affermi et privé de défenseurs peu armés pour faire face à un coup d'Etat militaire. Selon Lénine, la révolution de 1905 aurait été une « répéti tian générale » de celle de 1917 et la révolution de Février ne fut qu'un « prélude. » à celle d'Octobre .. Mais des interprétations ainsi formulées après coup ne ~ont guère convaincantes. Les arguments ne manquent pas, propres à démontrer que d'autres per.spectives s'ouvraient devant la Russie, pour peu qu'à pied d'œuvre se trouvassent des homrp.es po~itiques à la hauteur de leur tâche. La convocation prompte d'une Assemblée constituante, même approximative, 1~ promulgation hâtive d'une réforme agraire, même imparfaite, eussent privé les bolchéviks/ de leurs principaux ,thèmes de propagande. L'équipée du général Kornilov fournit une chance inespérée à Lénine. On n'entend pas ici passer en revue toutes .les variantes possibles alors. Quoi qu'il en fût, il n'appartient pas aux bourgeois occidentaux égoïstes,. ignorants et obtus de tenir Kérenski ,our seul/ responsable d'une déconfiture dans laquelle tant de resoonsabilités s'entrecroisent, notamment celles de la France et de l'Angleterre officielles : n'ont-elles pas soutenu le Gouvernement provisoire comme la corde soutient le pendu ? Certes, l'ancien régime figé dans son cadre irréel, replié sur lui-même, sourd aux bruits du dehors et aux exhorta tiens de la Douma censitaire et loyaliste, de ses partisans les plus fidèles n'était plus viable à moins de s'amender à mesure que s'accélérait l'évolution économique et sociale. A la veille de la guerre de 1914, la Russie était déjà en passe de devenir .normalement la première puissance industrielle de l'Europe, ce qu'attestent les compétences maintes fois citées ici même, y compris celles de l'école marxiste (de Combes de Lestrade et , . BjbliotecaGino Bianco • J I LE CONTRAT SOCIAL Edmond Théry à Lénine, Pokrovski, Boubnov et autres). Le livre récent d'Alexandre Michelson : L'Essor économique de la Russie avant la guerre de 1914 (Ed. Pichon-Durand-Auzias, Paris 1965), renouvelle la démonstration d'une façon irréfutable. Ce que notre regretté colla~ borateur N. Volski (N. Valentinov) a écrit sur ce sujet dans le même sens correspond au récit de Pierre Ryss, écrivain libéral réputé, qui rend .compte en ces termes d'un voyage accompli en 1913 : Je désirais parcourir le pays pour voir de mes yeux ce qui s'était passé pendant mes sept années d'absence. Mon voyage dura un mois : je ·parcourus les régions de la Volga, du Don et, par Kharkov, je gagnai la Russie centrale ... En effet, la Russie était différente de ce qu'elle avait été en 1905. Sur le cours supérieur de la Volga, c'était toujours la vieille Russie d'avant Pierre le Grand (...). Mais à partir de Samara, la nouvelle Russie commençait. Les charrues en bois disparaissaient pour . faire place aux charrues. américaines. Les villages av~ient des isbas solides, un beau bétail bien nourri. Beaucoup de chalands et de bateaux rapides circulaient sur la Volga et le Don. Dans les ports, il y avait des entrepôts pour le blé, construits en pierre. Toute une forêt de cheminées d'usines couvrait le territoire depuis Nijnt-Novgorod jusqu'au Don. De Taganrog à Kharkov, c'était une vaste région industrielle, avec des centaines d'usines métallurgiques et de puits de charbon. On pouvait voyager· une nuit entière à la lueur des feux des usines. Une Westphalie russe é~ait née et prospérait. . . Le peuple, lui aussi, avait changé. Extérieurement, il était plus propre, mieux élevé ; moralement les changements· étaient encore plus profonds. Il avait plus d'assurance, plus d'initiative, il savait persévérer, il désirait travailler et vivre « aQtrement » qu'autrefois. Partout, même dans les plus petites localités, on voyait des ouvriers, des paysans lire des journaux, se mettre au courant de ce qui se passait en Europe, suivre les travaux de la Douma <l'Empire. Description sincère et frappante (le Monde slave, mai 1932) qui illustre bien les mornes statistiques et fait mieux comprendre la transformation pacifique en voie de réalisation quand l'Allemagne impériale et militariste remit en question_le destin de la Rus~ie en même temps que l'avenir de l'Europe et du monde. Transformation profonde dont le· Tsar et sa Cour ne voyaient pas l'ampleur ni le sens, mais qui exigeait un ordre politique. en harmonie avec les temps nouveaux. Faute d'adaptation. de l'Etat légal au pays réel, une série de malheurs indicibles allait s'abattre sur cette immense Russie qui, trop tard soustraite aux épreuves intenables de la guerre étrangère, allait connaître les' pires horreurs de la guerre civile avant de subir la plus cruelle des oppressions qu'ait enregistrée l'histoire. Tout au long de la présente année du cinquantenaire; on aura licence d'épiloguer sur la signification de dates aussi mémorables. · B. SouvARINB.
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