Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

Documents LÉNINE CONTRE MAO N'IMPORTE QUEL POLITICIENchanceux peut, s'il en a les moyens, se réclamer d'un ancêtre spirituel illustre et d'une doctrine plus ou moins prestigieuse, le prestige fût-il de mauvais aloi : la technique moderne de la publicité et l' abaissement général de la presse facilitent les plus audacieuses impostures. Mao et ses acolytes ont ainsi beau jeu à se donner pour les meilleurs disciples de Marx et de Lénine, pour les interprètes exclusifs du , marxisme-léninisme ». L'idée burlesque d'apparenter Marx et le marxisme à leurs caricatures chinoises a déjà été commentée ici même avec la brièveté qu'elle mérite. Pour ce qui est de Lénine et du léninisme, les communistes soviétiques font surabondamment justice des allégations impudentes de leurs rivaux asiatiques, avec bien des textes à l'appui. Nous verserons au dossier de la polémique des déclarations de Lénine trop oubliées et qui ne figurent pas dans les << Œuvres complètes>> du maître dont les uns et les autres revendiquent l'héritage intellectuel et politique. Ce que Mao et sa clique prétendent imposer à la Chine par une force militaire aveugle, sous l'appellation inepte de « révolution culturelle >>, c'est essentiellement la répudiation de la culture occidentale, à laquelle il s'agirait de substituer sans rire ce qui tient lieu de « pensée • à Mao. Munis d'un tel bagage, les ouvriers et les paysans chinois seraient suffisamment équipés pour révolutionner le monde et instaurer partout un régime de termitière à la chinoise. On n'entend point ici discuter des niaiseries de ce calibre, mais seulement rappeler comment Lénine, dans des circonstances ou la Russie, comme la Chine de nos jours, avait un besoin urgent de mettre en valeur ses ressources naturelles pour donner une impulsion vigoureuse à ses forces productives, considérait la perspective d'une collaboration avec l'Occident capitaliste et quel prix il était disposé à la payer. A cette époque, en 1919 et dans les années suivantes, les dirigeants des pays intéressés n'ont rien compris aux intentions de Lénine et n'ont pas su saisir l'occasion. Cela n'amoindrit pas la portée des paroles de Lénine consignées dans une interview qui a paru dans le Temps du 22 avril 1919, sous le titre : • Chez Lénine, au Kremlin•· Biblioteca Gino Bianco L'entrevue de Ludovic Naudeau avec Lénine avait eu lieu le 4 février 1919, alors que le journaliste français venait de passer plusieurs mois en prison à Moscou et se préparait à rentrer en France. De toute évidence, Lénine voulut profiter de cette présence pour faire transmettre ses propositions réalistes en Occident par l'intermédiaire du journal français le plus influent. Le même jour (4 février), Tchitchérine, commissaire aux Affaires étrangères, au nom du gouvernement soviétique, avait lancé par radio sa réponse à l'invitation des Alliés occidentaux en vue de la conférence de Prinkipo (c'est le texte que Ludovic Naudeau désigne comme << le fameux manifeste adressé aux grandes puissances >>). Que disait ce document officiel, de la part du Politburo dont faisaient partie Lénine, Trotski et Staline? Principalement, que le gouvernement sov1etique << attache un si haut prix à la conclusion d'un accord mettant fin aux hostilités qu'il est prêt à entrer immédiatement en pourparlers à cette fin et même, ainsi qu'il l'a déjà souvent déclaré, à payer cet accord au prix de sérieux sacrifices ... >>. Sur la question des emprunts de l'ancien régime, le gouvernement soviétique « se déclare prêt à céder sur ce point aux demandes des puissances de !'Entente ( ... ), il est disposé à accorder des concessions minières, forestières et autres à des ressortissants des puissances de !'Entente, suivant des modalités à déterminer soigneusement de telle sorte que le régime économique et social de la Russie soviétique n'ait point à souffrir du régime intérieur de ces concessions ». En outre, poursuivait Tchitchérine, le gouvernement soviétique n'était nullement opposé à des négociations portant sur « l'examen d'annexions éventuelles de territoires russes P.ar les puissances de l' Entente •· Il soulignait que << l'importance des concessions envisagées par le gouvernement soviéti~ue dépendra de sa situation militaire vis-à-vis des puissances de l' Entente, laquelle situation, dans la période actuelle, vn chaque jour s'améliorant ». Autrement dit, nous sornmes arrangeants à proportion de l'état fâcheux de nos affaires, mais nous

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