LE DEUXIÈME ·AVÈNEMENT DE MARX par Sidney Hook L'HISTORIEN des idées, dans l'avenir, se trouvera en présence d'un phénomène étrange survenu dans la deuxième moitié du :xxe siècle : le deuxième avènement de Karl Marx. Lors de sa deuxième venue, il n'apparaît pas dans la redingote poussiéreuse de l'économiste en tant qu'auteur du Capital ni en tant que sans-culotte révolutionnaire, pamphlétaire inspiré du Manifeste communiste. Il se présente drapé dans la toge du philosophe ; c'est un prophète moral porteur d'heureuses nouvelles sur la liberté de l'homme, valables au-delà du milieu étroit de la classe, du parti ou de la faction. Ce ne sont pas les travailleurs industriels qu'il entraîne à sa suite, mais les intellectuels des grandes métropoles ; non pas le prolétariat, mais des éléments du professorat ; non pas les déshérités sociaux, mais les gens psychologiquement aliénés et une gamme étendue d'écrivains et d'artistes, de jeunes idéalistes, hommes et femmes, en quête d'une cause, les uns conformistes, les autres non conformistes, certains même adeptes du Zen. Le marxisme orthodoxe prétendait être une théorie scientifique de l'histoire. Or, au lieu de reviser sa théorie à la lumière de l' expérience historique, il s'est cramponné à sa doctrine comme le fait une foi religieuse. Les doctrines sont devenues des dogmes, tenus pour valides quoi qu'il arrive. Le résultat a été un désastre intellectuel. La première guerre mondiale et les événements d'après guerre ont beaucoup discrédité la généralisation abusive de Marx concernant la lutte des classes. Ils ont démontré que les credo nationalistes pesaient, aux moments décisifs de l'histoire, d'un poids bien plus lourd Biblioteca Gino Bianco que la solidarité économique de classe. La révolution d'Octobre a donné le coup de grâce à la théorie du matérialisme historique, en montrant que le régime économique ne détermine pas forcément la politique, alors que la politique peut déterminer le régime économique de façon décisive. Les révélations du :xxe Congrès du parti communiste de l'Union soviétique, ainsi que la répression brutale de la révolution hongroise, ont mis en évidence la faillite de la théorie marxiste de l'Etat. L'Etat a refusé de dépérir après la nationalisation des fondements économiques de la société. Bien plus, il a pris un caractère totalitaire impitoyable. Malgré tout, aujourd'hui, un grand nombre des analyses pénétrantes et des conceptions de Marx ont été assimilées par la théorie sociologique et la recherche historique. Marx demeure un des géants de la pensée sociale. Aux yeux des orthodoxes, pareil jugement constitue un « embourgeoisement » et une émasculation de l'œuvre de Marx, une trahison de son héritage révolutionnaire. Le marxisme devient ainsi une idéologie au sens bien particulier qu'il confère lui-même à ce terme, un faux-semblant de lucidité, l'opium des intellectuels de gauche et le baume du vrai croyant. Au moment même où les restes intellectuels du marxisme en tant que système étaient en train d'être enterrés, la nouvelle d'un Marx ressuscité a commencé à se propager. Ses principales sources ont été des intellectuels désenchantés dans les pays communistes satellites qui cherchaient à se libérer de la camisole de force du stalinisme. Elle a gagné petit à petit les éléments rétifs des mouvements commu-
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