Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

78 preuve que ces nombreuses recrues nouvelles aient exercé une influence notable, et à plus forte raison décisive, sur la direction qui demeurait aux mains des vieux porte-parole du parti, tels que Gotz, Tchernov, Zenzinov, Avksentiev ou Brechko-Brechkovskaïa. Ces derniers, de même que bien d'autres dirigeants s.-r., avaient derrière eux de nombreuses années de militantisme et de persécution tsariste, et ne pouvaient guère représenter les intérêts d'une « nouvelle classe moyenne ». La guerre et l'expérience de 1905 LES RAISONSde ladite métamorphose doivent évidemment être cherchées ailleurs. Elles sont, semble-t-il, étroitement liées d'abord et surtout à la guerre, ensuite à l'expérience acquise par les dirigeants du parti pendant la révolution de 1905. La guerre, l'effondrement de l'Internationale, la· défaite des armées russes, tous ces faits brutaux divisèrent le parti s.-r. comme les autres partis socialistes, les menchéviks et les bolchéviks. Les s.-r. comptaient dans leurs rangs fort peu de défaitistes de l'espèce Lénine ; leurs dirigeants étaient plutôt divisés en défensistes et zimmerwaldiens de diverses nuances, certains plus à gauche, comme Tchernov, d'autres plus à droite, comme Gotz. Le défensisme qui s'était déjà manifesté fortement avant la révolution, tant dans l'émigration à Paris qu'en Russie, se renforça encore après la révolution. Le raisonnement était le suivant : une victoire allemande, outre qu'elle serait un désastre national pour la Russie, amènerait une restauration des. Romanov. Visà-vis de la guerre, les défensistes s.-r. adoptèrent par conséquent, dans une large mesure, les ppsitians des cad~ts. Comme Milioukov, la plupart d'entre eu~ croyaient que la révolution avait éclaté surtout à cause de la conduite défectueuse de la guerre par la bureaucratie tsariste ; la tâche principale du nouveau régime était par conséquent de faire de la Russie un allié militaire plus efficace. Ainsi la guerre préparait les défensistes s.-r., qui théoriquement approuvaient la fameuse formule soviétique d'une paix sans annexions ni indemnités, à une alliance ou coalition avec les cadets. Les cadets eux-mêmes souscrivirent officiellement à cette formule, en particulier après la démission de Milioukov en avril. Mais cette belle formule avait peu de signification pratique : en fait, il n'existait aucun moyen de forcer les Alliés (ou les Allemands) à engager des pourparlers de paix à partir de là. BibliotecaGino Bianco -·, LE CONTRAT SOCIAL Alors que la guerre et ses nécessités rapprochaient s.-r. et cadets, l'expérience de la révolution de 1905 avait rendu possible non seulement une étroite collaboration entre s.-r. et menchéviks, mais encore la domination idéologique de ces derniers sur les s.-r. Les enseignements tirés de la première révolution russe furent donc décisifs pour tous les partis. Les chefs s.-r., qui avaient tous pris une part active à la révolution de 1905, ne pouvaient oublier que l'effondrement de la première révolution était dû principalement au caractère extrémiste qu'elle avait revêtu et à l'isolement de l'avantgarde révolutionnaire par rapport aux masses et aux libéraux, leurs alliés potentiels contre l'absolutisme. Ils n'oubliaient pas que les grèves de novembre 1905 à Pétersbourg et le soulèvement de décembre à Moscou, ainsi que les troubles agraires, avaient marqué la fin de la révolution. Tel était le sens conféré aux événements de 1905 par les analyses très poussées publiées après la révolution par les théoriciens menchévistes en exil, Martov, Dan, Potressov et autres. Puisque la première révolution avait été vaincue en raison de son extrémisme, la prochaine devait être, selon Bounakov (Fondaminski), ' l'un des théoriciens s.-r. lés plus doués, ~< nationale plutôt qu'internationale, démocratique plutôt que sociale et patriote plutôt que pacifiste » 31 • Avec un tel programme, l'unité d'action était assurée non seulement entre défensistes s.-r. et cadets, mais également avec ~es menchéviks. En effet, n'était-ce pas ces derniers qui estimaient, la Russie n'étant pas prête pour le socialisme, que la révolution devrait se contenter de renverser l'autocratie et d'établir un régime démocratique ? Le rapprochement avec les cadets et les menchéviks ne se limitait pas à la théorie. Comme beaucoup de .menchéviks, les s.-r. participèrent acti- ·vement ·aux « comités industriels de guerre » et eurent, entre les deux révolutions, leurs ,, « liquidateurs », c'es~à-dire ceux qui, ayant perdu la foi en la révolution, essayaient d'utiliser les possibilités légales, si limitées fussentelles, offertes en Russie pendant la période de la Douma. Une autre raison rapprochait les s.-r. des .cadets. La direction s.-r. composée, à de très ·rares exceptions près, d'anciens terroristes, de révolutionnaires professionnels et d'orateurs, . . , . , . sentait son 1ncompetence et son 1nexperience en matière d'administration, particulièremen{ 31. Oliver H. Radkey : The Agrarian Foes' of Bolshevizm, New York et Londres 1956, p. 101. •

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