Le Contrat Social - anno XI - n. 2 - mar.-apr. 1967

74 dans les citadelles bolchévistes. La mutinerie de Kornilov mit fin à leur isolement et leur permit de constituer un front uni avec les autres partis socialistes dans les soviets où, grâce à leur activité, ils en vinrent très vite à jouer un rôle dirigeant 12 • Le comportement de Kérenski et de ses proches après l'affaire Kornilov est, cependant, des plus déconcertant. Cet épisode fracassant, qui produisit une forte poussée vers la gauche dans les soviets et dans le pays tout entier 13 , ne modifia pas les idées de Kérenski sur la coalition. Non plus qu'il ne l'incita, lui et ses amis, à agir de manière décisive dans la question de là paix et de la terre. Au contraire, contre toute attente, cette poussée vers la gauche, ouvrant une nouvelle crise gouvernementale, aboutit à un cabinet assez à droite composé pour la plupart de personnalités ternes et de second rang : Tsérételi et Tchernov, fort discutés mais très connus, furent remplacés par Nikitine et Maslov. Epuisé et prostré, Kérenski, essayant alors de former un « directoire », n'était plus réceptif aux suggestions des dirigeants modérés du Soviet (qui préconisaient un changement fondamental de politique) ; il était trop absorbé à constituer, avec l'aide de généraux « sûrs », des unités militaires loyales dans l'éventualité d'un soulèvement bolchéviste. Sa dernière manifestation d'énergie s'avéra la plus grande et tragique erreur : les généraux et colonels « de confiance » allaient soit, en tant que korniloviens camouflés, saboter tous ses ordres, soit flirter déjà avec les maîtres de demain, les bolchéviks. Une tentative de dernière minute DANS-SES NOMBREUX récits et souvenirs sur l'agonie du régime de Février, Kérenski insiste fréquemment sur la naïveté, sur l' « aveuglement » des dirigeants modérés du Soviet qui furent incapables de lire dans le jeu de Lénine. En premier lieu, selon lui, les chefs menchévistes et s.-r. restaient sceptiques quant aux allégations de Kérenski et aux preuves de l'existence d'un « maître plan » conçu par les Allemands et Lénine. Ce plan, qui aurait assigné à Lénine et à son parti un rôle majeur 12. Trotski : lstoriia ..., vol. II, pp. 136-40. 13. Une comparaison des résultats des élections au conseil municipal de Moscou en juin et en septembre est, à cet égard, très significative. En juin, s.-r. et menchéviks recueillaient ensemble 66 % des voix (54 % pour les s.-r., 12 % pour les menchéviks) et les bolchéviks seulement 12 %, En septembre, la situation était renversée : les bolchéviks obtenaient 51 % et les s.-r.-menchéviks seulement 16 %, Certes, Moscou n'était pas la Russie, mais ces résultats auraient dü alarmer les socialistes modérés. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL dans la démoralisation du front russe, prévoyait la création de conditions qui obligeraient la Russie à conclure une _paix·séparée avec l'Allemagne. En libérant les Allemands de la nécessité de combattre sur deux 'fronts et en leur permettant d'utiliser les matières premières de la Russie, on leur donnait les moyens de jeter tout leur poids militaire et économique contre les alliés occidentaux. Autre grief adressé par Kérenski aux dirigeants modérés du Soviet : leur incapacité à comprendre la tactique machiavélique de Lénine. Alors que Trotski, en tant que président du soviet de Pétrograd, se chargeait de préparer effectivement l'insurrection, affirme Kérenski, un bolchévik réputé modéré et dissident comme Kamenev parvenait à endormir les dirigeants modérés du Soviet en leur faisant croire que Lénine pourrait être contraint de renoncer à l' « aventure ». Certes, a~ant de souscrire aux mesures de répression contre les bolchéviks, les modérés du Soviet exigeaient des preuves tangibles de· la trahison de Lénine. Ils savaient la dissension chez les bolchéviks et rejetaient · l'idée que la lettre signée Zinoviev et Kamenev dans la Novaïa ]izn (la Vie nouvelle) contre le soulèvement imminent fût une simple mise en scène. D'autre part, étant après tout plus puissants et influents que Kérenski et son gouvernement, les leaders socialistes n'étaient prêts à approuver la politique du gouvernement qu'à la condition que Kérenski satisfasse certaines de leurs exigences. A cet égard, leur dernière (et infructueuse) démarche visant à prévenir ou déjouer le coup d'Etat est importante. Sur l'initiative de Théodore Dan, soutenue par Abram Gotz et par Avksentiev, quelque peu réticent, une délégation se rendit chez Kérenski le 24 octobre, c'est-à-dire la veille du soulèvement, pour le presser · de former un gouvernement socialiste qui demanderait aux Alliés d'entreprendre immédiatement des pourparlers de paix, proclamerait le transfert immédiat de toute la terre aux paysans et convoquerait d'urgence une Assemblée constituante. Les. initiateurs de ce plan en trois points, Dan et le, s.-r. Gotz, agissant pour le compte d'une majorité du « Préparlement », proposaient que ces décisions, une fois acceptées, soient immédiatement affichées dans la capitale et transmises aux provinces par télégraphe. Pour Dwi, ces mesures auraient rehaussé le prestige du gouvernement auprès des soldats et des marins, presque tous d'origine paysanne.

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