4 La soudaine recrudescence des illusions gauchistes· parmi les professeurs des universités américaines et leurs élèves est d'autant plus difficile à comprendre qu'il devient évident qu'en Russie et dans l'Europe orientale la gent universitaire est en pleine fermentation. Même si l'on se contente de prendre les nouvelles de l'étranger à la télévision, comment peut-on ne pas remarquer que quelque chose est en train de changer dans l'esprit des victimes du dogme marxiste ? Un très grand nombre de gens qui pensent essayent désespérément de trouver . . une issue. Leurs efforts pour y voir clair sont contre- .. carrés, d'une part, par le pouvoir policier. Djilas était encore récemment en prison pour avoir publié, entre autres, La Nouvelle Classe. André Siniavski purge en Sibérie une peine de sept ans de travaux forcés pour un crime, celui d'avoir mis en circulation (sous le nom d'Abram Tertz) des récits qui dénotaient non seulement du talent, 1nais aussi le sens de l'humour. Pasternak, sans doute le plus grand poète russe de sa génération, a été contraint de refuser le prix Nobel et traqué à mort. Son crime avait été d'écrire un récit de la révolution dans la manière franche et humaine de tradition chez les classiques russes. La police a encore la haute main sur les presses à imprimer. La seconde difficulté rencontrée par les hommes de plume formés sous le régilne communiste dans leur effort pour découvrir la vérité et pour la dire, est qu'ils ne sont pas seulement prisonniers des fils de fer barbelés et des champs de mines · qui bordent leurs frontières : ils le sont également d'une idéologie qui les empêche de faire des comparaisons rationnelles entre la condition de l'homme sous le « socialisme » et sous ce qu'ils continuent d'appeler le capitalisme. Pas de ·manifestation pour Siniavski LE New Leader du 30 août 1965 a donné la traduction d'un article de Mihajlo Mihajlov intitulé : « Pourquoi nous gardons le silence », lequel illustre à merveille la difficulté dont nous parlons. Mihajlov est le professeur d'université yougoslave qui a eu de gros ennuis pour son appréciation, dans Un été à Moscou, sur l'état du métier littéraire en Union soviétique. Mihajlov est manifestement un homme honnête, un homme intelligent et courageux, mais lorsqu'il tente de comparer les conditions sous le « capitalisme » avec celles qui règnent sous le « socialisme », il est frappé d'impuissance, car il n'a aucune idée des complexités, des avantages et des · inconvénients des économies mixtes sous le régime desquelles nous vivons BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL dans ce que nous aimons à appeler le monde libre. Ses notions sur les Etats-Unis remontent aux dessins satiriques anticapitalistes publiés par la vieille revue Masses de l'année 1910. En dépit de ses limites, il y a loin entre cette forme de pensée et le dogmatisme monolithique qui fleurissait. naguère. Mihajlov et les nouveaux écrivains russes sont des gens à qui un homme aimerait parler. On pourrait croire que nos sociologues et historiens qui se font gloire de leur credo marxiste s'intéressent à l'état d'esprit de leurs confrères d'au-delà les barbelés. Au lieu de quoi ils régurgitent avec avidité la propagande de routine concoctée, dans les Etats policiers, par les services chargés de la subversion à l'étranger-. Etant donné la rage d'aujourd'hui qui consiste à défiler en brandissant des pancartes, on aurait pu croire que quelques étudiants a111:érlcains auraient aimé protester en faveur de S~- niavski et Daniel pendant le procès de ces 'Qe~- niers à lvloscou. En Amérique, ia protestation a été faible au point d'être presque inaudible. Depuis l'hystérie 1naccarthyste, il semble que, pour les intellectuels américains, il soit contraire à toutes les règles de s'intéresser aux réalités de la vie dans les pays communistes. ' Il y a quelques jours seulement, se tint u~e réunion d'hommes de lettres qui discutaient le pour et le contre au sujet des subsides accor- ' dés aux arts par le gouvernement au titre du programme de la Great Society. Lorsque je tentai de suggérer qu'en l'occurrence, il y aurait peut-être intérêt à examiner les effets pratiques des subsides distribués par le gouvernement en Union soviétique, personne ne manifesta le moindre intérêt. Peut-être ne m'étais- . . , Je pas exprime assez nettement. Nous touchons là le cœur du problème. Dans les écoles et les universités comme parmi la caste entière de ceux qui récoltent les nouvelle_s et de ceux qui font l'opinion, pour un homme ou une femme qui essaye de voir les réali.tés derrière les clichés de la politique internationale, il y .en a dix qui prennent ces clichés pour argent comptant. Quelque part dans le réseau des communications, une inhibition a été dressée pour empêcher un examen rationnel des forces qui luttent pour la suprématie dans le monde. ,Cette inhibition est, dans une certaine n1esure, une création de la propagande organisée, mais on peut aussi la considér.er comme faisant partie d'un effort subconscient pour calmer les douleurs causées par les échecs de la politique américaine pendant la période d'après guerre. Cette inhibition n'a pas fini de ·
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