YVES LÉVY d'une opposition. Les élections législatives ne devaient pas •être la suite du 19 décembre, mais la revanche du 5 décembre. La tactique LE 5 DÉCEMBREau_rait dû être le triomphe du chef de l'Etat, régnant seul dans une arène où les pygmées adverses auraient mordu la poussière. Réaliser ce rêve avorté en se servant des élections législatives, cela pouvait passer pour une entreprise téméraire. Chacun ne sait-il pas que l'audience d~s gaullistes est fart inférieure à celle de leur chef ? Il n'était cependant pas déraisonnable d'espérer un succès : les élections de 1962 ont montré qu'on pourrait, avec relativement peu de suffrages, franchir le seuil de la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Or, la majorité absolue des députés a à peu près la même valeur qu'aurait eue pour le président une élection au premier tour : la coutume parlementaire a si bien modelé la nation que, s'il a une majorité sûre à l'Assemblée, le président peut en toute tranquillité - le passé récent l'a prouvé - accomplir des actes illégaux sans que personne songe sinon à s'indigner, du moins à agir. Pour que la bataille électorale, fût la reconstitution du combat du 5 décembre, deux points étaient essentiels : les gaullistes, images multiples ·du chef, devaient être isolés, et l'adversaire devait être divisé. Et l'on voit aussitôt l'avantage que présentait alors les élections législatives : le 5 décembre, les voix des adversaires s'additionnaient pour balancer celles du chef, tandis qu'aux élections législatives une opposition divisée s'affaiblit et permet d'espérer des succès à la faveur d'élections triangulaires. Quoi qu'il en soit, les deux points essentiels ne tardèrent pas à être mis en œuvre. Aussitôt après l'élection présidentielle, le chef du parti allié fut chassé du ministère, et M. Baumel déclara que le parti officiel devrait avoir la majorité à lui seul. On rêva même de parvenir aux approches de 300 députés. Pourquoi ce chiffre ? Par optimisme de propagande, peutêtre, mais sans doute aussi parce que la Constitution (art. 89) énonce qu'elle peut être révisée par le Parlement à la majorité des trois cinquièmes. La réforme annoncée du Sénat pourrait permettre soit de lui enlever ses attributions en matière de révision constitutionnelle, soit de lui donner une composition politique analogue à celle de l'Assemblée. De toute façon, on pourrait enfin - le référendum ayant, depuis 1962, perdu la faveur présidenBiblioteca Gino Bianco 49 tielle - mettre au point la Constitution, c'està-dire en éliminer toute trace de parlementarisme. On ne s'étendra pas ici sur le détail des mesures destinées à favoriser le parti de l'Elysée. On s'efforça d'abord d'inventer quelque réforme électorale, mais soit que les spécialistes au service du pouvoir manquassent d'imagination, soit qu'il n'y ait réellement aucun moyen d'améliorer encore les résultats d'un parti qui avait déjà, en 1962, bénéficié de circonstances exceptionnelles, la réforme adoptée semble parfaitement anodine. Edgar Faure fut chargé de séduire les paysans. On réduisit les impôts. On facilita le crédit. Etc. Bref, on eut recours aux classiques largesses gouvernementales que le chef de l'Etat, jusque-là, semblait mettre un point d'honneur à éviter. Ce qu'il y eut de plus curieux, c'est qu'il fallut se réconcilier avec l'allié d'abord maltraité. Sans doute s'était-on aperçu après coup qu'il y aurait plus à perdre qu'à gagner à se trouver partout en concurrence avec lui, et qu'il était, somme toute, avantageux, de n'être présent que dans 82 % des circonscriptions, mais avec, chaque fois, l'unique candidat de la majorité. Le second projet - diviser l'adversaire fut sans doute pour beaucoup dans les manifestations exacerbées de la politique étrangère. du président. Un grand déploiement de russophilie et d'antiaméricanisme devait, lui semblaitil, être comme un coin dans le dispositif ennemi, et le couper en deux d'autant plus facilement que l'extrême gauche n'a nullement, pour le parlementarisme, l'attachement qu'éprouve la gauche intérieure. Si cette manœuvre avait abouti, les élections triangulaires se seraient multipliées, pour le plus grand profit du parti de l'Elysée. Elle eut un résultat tout différent, et d'ailleurs prévisible : comme on l'a signalé ici 2, la réforme de 1962 devait contraindre les socialistes à recommencer l'aventure du Front populaire. C'est avec l'élection présidentielle, en effet, que le rapprochement s'est esquissé. Et parce que les élections législatives constituaient un véritable troisième tour de l'élection présidentielle - les résultats devant permettre au président d'exercer et d'accroître ses pouvoirs exceptionnels, ou bien le contraindre à rentrer dans les bornes étroites que lui assigne la Constitution - les socialistes ont dû, pour s'opposer à la dégradation du régime, resserrer leurs liens avec les communistes. 2. Le Contrat 1oclal, J ulllcl-noQl 1063, p. 206.
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