LE CONTRAT SOCIAL Si bien gardés que soient les secrets de la Cité interdite, il appert de nombreux signes extérieurs que Mao a dû recourir à des moyens extraordinaires pour faire face à une crise interne de son pouvoir. La création d'une« garde rouge» composée de jeunes illettrés fanatiques révèle que Mao ne pouvait se fier au Parti, ni à la Jeunesse communiste, ni à l'armée, ni à la police, pour accomplir sa« révolution culturelle», c'està-dire l'éviction des contradicteurs et l' affermissement de son autorité personnelle. Il n'a pu compter que sur une fraction du Parti et sur des éléments de l'armée aveuglément soumis au maréchal Lin Piao devenu son homme lige. Il a eu besoin de nouvelles troupes de choc, les gardes rouges, pour terroriser la population, imposer la« pensée de Mao» sous forme d'une brochure à couverture rouge, ranimer le« culte de la personnalité» par la force à défaut de ferveur. Une revue succincte des péripéties de l'année 1966 d'après les seuls titres et soustitres, parfois quelques lignes, du Monde et du Figaro, parfois d'un autre journal, donnera quelque idée de cette pseudo-révolution pseudoculturelle. * * * « Une crise grave oppose l'armée chinoise au parti communiste. Un rapport présente les militaires comme séparés des masses » (Monde, 25 .janvier). « Le travail politique est la vie même de notre armée, déclarait en septembre le maréchal Lin Piao. » « Les intellectuels doivent se mêler aux ouvriers et aux paysans, affirme le Journal de la Jeunesse chinoise» (M., 27 janvier). « Les successeurs de Khrouchtchev soutiennent activement la stratégie contre-révolutionnaire des Américains, écrit le Quotidien du Peuple.»« Les dirigeants du Kremlin déclareraient que la Chine s'efforce de provoquer un conflit nucléaire entre !'U.R.S.S. et les EtatsUnis » (M., 3 février). « Le gouvernement chinois s'est rangé aux côtés de l'impérialisme yankee, affirme M. Fidel Castro » (M., 8 février). « La population de la Chine communiste a été invitée à se préparer à une guerre contre les Etats-Unis, déclenchée par ceux-ci » (Figaro, 7 avril). « Toute mon œuvre doit être réduire en cendres, déclare M. Kuo Mo-jo» (M., 30 avril). Ce pontife de l'intelligentsia communiste, érigé en parangon de toutes les vertus marxo-léninistes littéraires depuis plus de quinze ans, déclare en outre : « Bien que j'aie plus de 70 ans, je veux me rouler dans la boue et recevoir sur le corps les stigmates de l'huile et du sang. >> Il reconnaît qu'au cours de plusieurs dizaines d'années, ayant écrit plus d'un million de caractères, c mon œuvre est dénuée de toute valeur •, car c j'ai mal appris la pensée de Mao Tsé-toung 1). iblioteca Gino Bianco 369 Plus tard, il dira qu'on a mal traduit certains termes de son << autocritique >>. « Le journal de l'armée chinoise prône l'offensive contre la pensée bourgeoise» (M., 6 mai).• « Trois publications de Pékin accusées d'avoir soutenu un groupe antiparti » (M., 10 mai). Le rédacteur en chef du Quotidien du Peuple en personne, Teng Tuo, aurait chanté << au diapason de Khrouchtchev >>. Les journaux coupables sont le Journal de Pékin, la revue Front et le quotidien Pékin-Soir. « L'armée et le parti communiste chinois dénoncent les activités révisionnistes d'éléments antiparti » (M., 17 mai). « Trois leaders à Pékin sous le feu du Parti. L'un avait été mentionné comme successeur de Mao » (N. Y. Times, 19 mai). Outre Peng Chen, membre du Politburo, maire de Pékin, il s'agit de Teng Tuo, nommé plus haut; de Wu Han, maire-adjoint; et de Liao Mo-sha, chef d'une institution importante. « M. Chen Yi : L'U.R.S.S. déclenchera, peutêtre, avec les U.S.A., une guerre contre nous ... » (F., 24 mai). « Un article fort sérieux publié par le ministère chinois de la Défense. La pensée de Mao appliquée à la vente des melons» (F., 27 mai). Sans commentaires. « Pékin purge un quatrième dignitaire du Parti. Le chef de la propagande [Li Chi] ... accusé de position antisocialiste » (N. Y. Times, 26 mai). « La campagne d'épuration atteint un membre du Comité central» (M., 29 mai). On suppose que le réprouvé serait << le célèbre écrivain Chou Yang >>, marxiste professionnel et traducteur de Tolstoï. « La campagne de Pékin contre ses intellectuels : Mesure préventive pour contrer à temps un déviationnisme qui menace l'omnipuissance de la pensée de Mao Tsé-toung» (F., 31 mai). « Les contradictions continueront d'exister pendant un milliard d'années » (Quotidien du Peuple, 2 juin). Un milliard d'années, pas une de moins. Hitler n'avait parlé que d'un millénaire. Mais le délire nazi semble raisonnable, comparé à l'in1bécillité maoïste. « Il fa~?ra peut-être des siècles pour amener une déc1s1on dans la lutte entre le socialisme et le capitalisme » (Quotidien de l'Armée de libération, 6 juin). « Peut-être des siècles », après « un n1illiard d'années o, le progrès est très net, à quatre jours d'intervalle.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==