Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

CHRONIQ!!E • De l'Oural à l'Atlantique PERSONNEne comprenait réellement ce que de Gaulle voulait dire quand, après avoir parlé de l'Europe du « Spitzberg à la Sicile» en 1954, il s'est mis à préconiser l'organisation d'une Europe« de l'Atlantique à l'Oural». On a cru d'abord à une parole en l'air, mais la répétition insis~a~~e de la ,formule ~eva}t obliger les gens a s interroger l~-:dessus,bient?t à interroger les hommes politiques supposes avertis des pensées ou arrière-pensées du général-président. Nul n'a été capable de produire la moindre explication plausible jusqu'à ce que la politique extérieure de la cinquième République soit assez dessinée pour permettre de constater un séparatisme systématique vis-à-vis des deux démo.craties <l'outre-mer qui ont sauvé deux fois la France et l'Europe en grand danger d'asservissement par l'Allemagne, séparatisme parallèle à un rapprochement systématique, à une ~orte d' e~t.ente cordiale avec les pays soumis aux regimes absolutistes instaurés de force par l'impérialisme soviétique. Bien qu'une telle tendance au renversement des alliances se heurte encore à des obstacles que les voies et moyens de la France ne sont pas près de franchir, les intentions n'apparaissent pas moins assez évidentes pour autoriser à rechercher la so?rce du revirement imprévu auquel on assiste, dans la jubilation· active des uns et la consternation passive des autres. Pour retrouver cette source, il faut remonter jusqu'à la co~férenc~ diplomatique t~n?e à Berlin en janvier-février 1954 par les ministres des Affaires étrangères des quatre principales puissances à l'époque. Sur l'initiative de Churchill, cette « Conférence des Quatre» devait neuf ans après la fin de la guerre, tenter d'ébau'cher les traités de paix avec l'Allemagne et l'Autriche. D'emblée, Molotov entreprit une obstruction opiniâtre et chicanière, à son habitude en tant que porte-parole de feu Staline, et propo~a de c~mmencer par la reconnaissance officielle du gouvernement communiste de Pékin afin d'inviter celui-ci à se joindre aux Quatre, ainsi devenus Cinq, avant d'ab~rder l'ordre du jour. Tenu en échec sur ce point Biblioteca Gino Bianco durant les quatre premières séances, Molotov s'évertua derechef à saboter la discussion sur le sort de l'Allemagne. Alors que les trois Occidentaux pensaient que le futur traité de paix serait signé par un gouvernement allemand issu d'élections générales dans tout le pays, le partenaire soviétique de Ribbentrop exigeait la formation préalable d'un gouvernement incluant des communistes, sur le modèle des satellites déjà soumis à Moscou, et refusait toute garantie de contrôle international sur les élections à venir dont il entendait exclure tous les gêneurs possibles qualifiés par lui de« fascistes». Après quoi, le 10 février, à la quinzième séance, le sinistre valet de Staline sortit inopinément un plan soviétique d'unité européenne à sa façon, préparé de longue date. Il avait déjà, dès le 1er février à la septième séance, amorcé son affaire en s'adressant spécialement à la France représentée par Georges Bidault et en opposant à la « Communauté européenne de défense» alors en projet une réplique lapidaire : « L'Europe comprend non pas six, mais trente-deux Etats.» C'est ce que la presse, à l'époque appelait tout simplement« l'Europe Molotov»: Quand, dix jours après son ballon d'essai Molotov précisa quelque peu ses vues, élabo: rées sous Staline, sur « la sécurité collective pour tous les pays européens», il prétendit prendre exemple sur le traité d'assistance mutuelle co11cluen 1947 à Rio de Janeiro entre les pays d'Amérique. A l'en éroire, « la conclusion d'un traité général européen de sécurité collective répondrait aux aspirations les plus profondes des peuples de l'Europe», à condition toutefois de tenir les Etats-Unis à l'écart quitte à leur permettre éventuellement d; s'y intéresser en tant qu'observateurs mais sur pied d'égalité avec la Chine comm~niste. Ce n'était déjà pas mal, en attendant la suite : -- quels devaient être les trente-deux Etats invités à constituer « l'Europe Molotov»? On a beau en dresser une liste aussi complète que possible, le dénombrement des Etats européens oscille, selon les critères entre . . ' vingt-cinq et trente, sans atteindre la tren-

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