Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

354 par honnêteté intellectuelle, crainte d'outrepas- .ser les droits du savant. Le titre même d'un de ses grands articles : Essai sur la neutralité axiologique, montre à quel point la pensée de Weber était dominée par le kantisme, lequel « a les mains pures, mais n'a pas de mains ». Quant à la rationalisation de la vie quotidienne, où Weber voyait à la fois la condition nécessaire du capitalisme et le caractère essentiel de la civilisation occidentale moderne, l'enquête vaudrait d'être reprise et élargie. Sur la définition même, d'abord : Littré ne donne pas moins de vingt et un sens au mot « raison », et si la rationalité, comme l'étymologie l'indique, est en premier lieu une affaire de comptables et de balance, il y a tout au long du XVIe siècle, et le débordant de part et d'autre, une tendance plus conquérante à organiser le monde extérieur selon un plan, qui se marque dans les grandes utopies comme celle de Morus, dans les projets d'harmonie universelle de Postel, dans les tracés de villes nouvelles, imaginaires ou réalisées, bref, dans des aspirations à une raison conquérante et distributrice qui sont comme la préhistoire de Descartes, et dont on peut se demander quelles relations elles entretiennent, historiquement et logiquement, avec la rigueur. calviniste : c'est l'une des questions que pose naturellement le grand livre de Weber.- L'édition française n'a pas eu tout l'écho qu'elle mérite. Elle reproduit le texte de 1920, le plus complet, celui où Weber répond aux objections ; d'où, ici, l'importance des notes. La complexité du sujet, la nouveauté de certaines notions et parfois l'épaisseur du style rendaient délicat le travail du traducteur, M. Jacques Chavy ; il a renvoyé au texte allemand chaque fois qu'il est nécessaire. La pagination de l'original est indiquée; une précieuse bibliographie des œuvres de Weber complète le livre. On y voit comme il n'est encore traduit qu'en ordre dispersé. L'Ethique protestante ne fut publiée en anglais qu'en 1930 ; il existait, en revanche, des traductions russes de Weber dès 1904 et encore en 1923 (sur Weber et l'U .R.S.S., cf. le Contrat social, mars 1959 )., Sur la survie de Weber -en Allemagne, sous/ forme d'un culte où l'on encense la divinité, sans trop consulter ses livres, ·M. Freund a·~ écrit une page amusante (p. 252 de sa Sociolo-/ · gie de Max Weber). On peut espérer qu'en, France son temps est enfui venu. Cela avant fout grâce à M. Eric de Dampierre et à la col-} lection des « Recherches en sciences humai-1 . nes >> qu'il dirige chez Pion·: d'autres ouvrages~ Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL de Weber y sont en effet annoncés pour faire suite à .L'Ethique p,-otestante et aux Essais sur la théorie de la science ( 1965) dont nous nous proposons de parler bientôt. JEAN-PAULDELBÈGUE. Un document historique EUGÈNEPRÉOBRAJENSK:Y La Nouvelle Economique ( « Novaïa Ekonomika » ). Traduit du russe par Bernard Joly. Paris 1966, E.D.I.~ 403 pp. QUARANTEANS APRÈS sa publication en russe, cet ouvrage est rendu accessible aux lecteurs de langue française. il fut pendant deux ou trois ans au centre des controverses théoriques dans le P.C. de !'U.R.S.S., après quoi Staline s'empara des idées exposées par l'auteur en les appliquant à triple dose et avec sa brutalité bien connue, tout en faisant déporter Préobrajenski en Sibérie en attendant de le faire assassiner en 1937 après une brève période de semi-réhabilitation. La Nouvelle Economique est l'une des analyses les plus pénétrantes de l'économie de la nep ( 1921-1929), caractérisée par la coexistence et l'interpénétration d'un secteur collectif et d'un secteur privé. Mais elle n'est pas qu'une analyse. L'auteur en tire des déductions pour la politique économique dont il recommande l'application. Et autant l'analyse est pénétrante, autant les déductions sont aberrantes, voire insensées. Cette contradiction, à première vue incompréhensible chez un esprit aussi lucide, provient de ce que l'auteur, marxiste de formation, étudie le fonctionnement et la dynamique d'un système qu'il avait contribué à créer au mépris des principes essentiels de sa propre doctrine. .Préobrajenski savait, tout comme Lénine, Trotski, Boukharine et autres, que la Russie de 1917 était loin d'être mûre pour le socialisme. Il l'avait reconnu lui-même dès 1919 en soulignant que la Russie ne pourrait passer au régime communiste qu'en tant que partie intégrante d'une « République mondiale ou au moins européenne des Soviets » 1 • La révolution :« prolétarienne » n'ayant pas eu lieu en Euro!_Je ;.,centrale et occidentale, la Russie demeura isolée .avec son secteur non agricole prématurément étatisé et noyé dans un milieu ru_ral comptant 1. Boukharine et Préobrajenski: A be du communisme pp. 159-60._ .. .

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