Le Contrat Social - anno X - n. 6 - nov.-dic. 1966

S. VORONITSYNE ronnant », explique sans doute l'immense succès de ce genre littéraire auprès des lecteurs . , . sov1et1ques. Les attitudes et la mentalité des « physiciens » sont évidemment très influencées par les développements de la science elle-même. L'académicien soviétique A. I. Berg écrit, dans le Messager de l'Ecole supérieure (1965,n° 11, p. 68 ), que la mentalité d'un homme qui travaille sur une machine électronique diffère déjà très sensiblement de celle de quelqu'un qui utilise des méthodes de calcul plus anciennes, donc plus simples. S'il en est ainsi, la mentalité des mathématiciens, astrophysiciens et cybernéticiens diffère encore plus nettement de celle des philosophes et sociologues, obligés que sont ces derniers d'employer des méthodes séculaires. Le développement des branches les plus récentes de la science et de la technologie est d'une importance pratique absolument vitale dans la rivalité à la fois militaire, économique et scientifique entre les deux systèmes, « capitaliste » et « socialiste ». Or, cela exige que le savant (le « physicien ») ait la possibilité de donner libre cours à sa pensée, de libérer ses idées des limites étroites du dogme et de l'idéologie, afin de combiner des visions audacieuses, fruits de son imagination, avec l'expérimentation objective la plus précise. En outre, les méthodes fonctionnelles employées dans des sciences telles que la cybernétique exigent que les savants puissent comprendre et évaluer sans parti pris des phénomènes parfois difficiles à expliquer, souvent contradictoires, et qui ne sont pas toujours conformes aux interprétations préfabriquées. C'est ce que V. V. Parine, vice-président de l'Académie de médecine de !'U.R.S.S., exprime en ces termes : Les jeunes qui entrent dans le domaine de la science doivent se préparer à rencontrer des hypothèses qui leur sembleront presque certaines, voire des théories qu'ils considéreront comme intangibles. Vivre dans cette atmosphère n'est pas une chose facile. Cette expérience, qui s'accompagne de réflexions douloureuses et d'amères désillusions, exige, de la part du chercheur, une résolution virile et la capacité de porter un jugement sur des faits qui, parfois, en raison de leur surprenante nouveauté, semblent n'avoir aucun sens. La vérité surgit du heurt des opinions. Mais pour arriver à saisir cette vérité, il faut apprécier soigneusement les arguments d'un autre homme qui suit sa propre voie dans la recherche. Il ne suffit pas de savoir défendre ses convictions : pour l'amour de la vérité, il faut être prêt à renoncer à ses propres opinions, si elles sont fausses, quelque pénible que puisse être ce sacrifice, et ne pas se retrancher derrière l'autorité d'une « grande ombre » ou derrière les larges épaules d'un maître de la science (la Jeune Garde, 1964, n° 8, pp. 10-11). BibliotecaGino Bianco 339 · LA CONTROVERSE qui dure en U.R.S.S. depuis plusieurs années sur la question de savoir si oui ou non l'univers est infini (voir, par ·exemple, I. Radounskaïa : « Voyage au bout du monde», in la Science et la Vie, 1963, n° 8, p. 38) illustre le conflit entre les nouvelles hypothèses scientifiques et les dogmes du marxisme. L'impossibilité de faire coïncider les idées nouvelles en génétique avec les principes posfs par Engels dans La Dialectique de la nature (cf. la Science et la Vie, 1966, n° 3, pp. 56-59) en offre un autre exemple. Savoir s'il est souhaitable ou dangereux d'établir des contacts avec certaines civilisations du cosmos est une question qui peut sembler absurde de prime abord, mais qui illustre à merveille la relation étroite entre les problèmes scientifiques et les problèmes strictement idéologiques. A la première Conférence pansoviétique sur les problèmes de civilisation dans l'univers, tenue en 1964, on a avancé la thèse suivant laquelle toutes les civilisations qui atteignent un certain degré de développement deviennent communistes, c'est-à-dire qu' « elles ignorent les intentions agressives » ; par voie de conséquence, les « terriens » n'ont pàs à redouter d'établir des contacts avec des êtres habitant d'autres corps célestes (cf. la Nature, 1966, n° 2, p. 113). Il semble donc que les astrophysiciens auront, eux aussi, et cela dans un proche avenir. à se préoccuper de « 1 'édification du socialisme » sur les autres planètes. Certes, ni ce qui distingue les « phvsicien~ » dans leur manière d'interpréter l'univers ni leurs prétentions à une nouvelle philosoohie supérieure ne constitue encore une conce~tion du monde véritablement cohérente ou totale. Cependant, leurs idées, qui plaisent en raison de leur nouveauté et sont devenues accessibles à un grand nombre d'étudiants, lesquels les simplifient en les radicalisant, exercent une forte influence sur le comportement et l'évolution mentale des ieunes intellectuels, ce oui ne laisse pas d'inquiéter les fonctionnaires du Parti. La responsabilité personnelle des savants croît en proportion de l'inAuence de la science et de la technologie sur la vie. Des signes d'alarme apparaissent dans la communauté soviétique devant le fossé qui sépare la compétence scientifique et techniaue des ieunes et leur de~ré de conscience morale. Dès 1964, dans les colonnes de la Komsomolskaïa Pravda, avait lieu une vive controverse sur « les connaissances et la moralité », à laquelle plusieurs milliers de oersonnes prirent part deux mois durant. A l'issue de cette confrontation se

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