Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

LE CONTRAT SOCIAL précisément à la guerre mondiale. La Russie avait été précédemment battue par le Japon ; en 1878, elle n'avait que difficilement gagné contre la Turquie, elle-même en pleine décadence. La dernière défaite dans la guerre russo-japonaise avait été suivie par la révolution de 1905-1906, difficilement matée par un ministre capable et énergique, Stolypine. Les insuffisantes réformes d'Alexandre· II et l'insuffisance des terres attribuées aux paysans, ainsi que le prix payé par ceux-ci pour la suppression du servage, avaient de toute évidence provoqué tant de troubles agraires que Stolypine jugea lui-même de nouvelles réformes nécessaires pour éviter une autre révolution, mais il fut assassiné durant la mise en pratique de ces réformes. La Russie était donc manifestement incapable de soutenir une longue guerre contre deux grandes puissances auxquelles se joignirent la Turquie et la Bulgarie. Mais la chute du tsarisme pendant la guerre, ensuite la chute du Gouvernement provisoire et la prise du pouvoir par les bolchéviks qui voulaient la cessation immédiate des hostilités et la paix séparée avec ]'Allemagne, n'étaient pas inévitables. Les finances des bolchéviks jouèrent donc un rôle important. Ce n'est pas un détail insignifiant sans influence durable sur le cours des événements. L'historiographie récente n'a cependant pas tenu compte de ces révélations significatives. Par exemple, la dernière édition du livre de Pierre Renouvin : La Crise européenne et la premiè1'e guerre mondiale, tome XIX de « Peuples et Civilisations », ne modifie en rien son ouvrage précédent. Je crois que seul l'historien et publiciste américain Edmond Taylor adapte son exposé de « la chute des Empires, 1914-18 » aux éléments d'appréciation fournis par ces documents. Benedikt Kautsky en a également parlé dans un de ses derniers articles de la revue socialiste autrichienne : Die Zukunft. Puisque votre collaborateur a pris les événements de 1914-18 pour point de départ de son article sur les « Relations germano-soviétiques », il aurait dû y incorporer ces données, faute desquelles son papier souffre d'une grave lacune. Il faut nécessairement abréger, mais nous avons largement reproduit l'essentiel. Citer davantage comporterait beaucoup de redites et maintes affirmations contestables qui appelleraient une discussion minutieuse, le tout occupant une moitié de ce numéro de la revue. Il y a des questions qui méritent d'être traitées autrement que par le biais de la rubrique épistolaire. Nous répondrons donc aussi brièvement que possible, sans prétendre épuiser le sujet. Et d'abord en exonérant de controverse notre collaborateur Léon Emery, seul juge des faits et données à incorporer dans son étude. Un auteur est bien libre de sélectionner ses matériaux selon des critères personnels dont il ne saurait rendre compte sans fournir des raisons qui dépasseraient éventuellement la longueur de son texte. Un article de revue, et BibliotecaGino Bianco 255 d'une revue peu épaisse, n'est pas une thèse de doctorat. A part cela, Léon Emery pense peut-être comme nous, ce que nous ignorons, que la question soulevée après coup par notre correspondant n'a nullement l'intérêt ni l'importance que tant de commentateurs lui attribuent, par conséquent n'a pas déterminé le cours de l'histoire contemporaine. En ce cas, son article ne comporterait pas .de <<lacune >>. Sur le fond : le recueil docu1nentaire de Z. A. Zeman, mentionné plus haut, et le livre tout récent du même, consacré à Parvus : The Merchant of Revolution (Oxford University Press, London 1965), méritent certainement une analyse attentive, que la présente revue a toujours eu l'intention de faire, que le manque de disponibilité du rédacteur qualifié a 1naintes fois contraint d'ajourner (nous avons suffisamment indiqué les conditions artisanales dans lesquelles se fait le Contrat social). Mais dès notre n° 1 de janvier 1958, dans l'article intitulé <<Un point d'histoire >>,sur le <<document massue >>du premier livre de Z. A. Zeman, à savoir le message de von Kühlmann au Kaiser à propos des fonds allemands, déjà publié par George Katkov dans International Affairs, il est argumenté dans le sens que <<le télégramme Kühlmann ne prouve pas grand-chose >>;et la thèse bien connue sur l'influence de l' <<argent allemand >>dans la révolution russe est brièvement réfutée dans ses grandes lignes. Puis notre n° 2 de 1958 a exposé, article intitulé <<Autre point d'histoire >>,les conditions dans lesquelles non seulement Lénine, mais nombre de 1nenchéviks, de bundistes et de <<socialpatriotes >>ont traversé l'Allemagne en 1917 pour rentrer dans leur pays, à la suite d'une initiative de Martov. Le train qui les transportait n'était nullement <<blindé >>,leur wagon n'était pas <<plombé>>ni <<scellé>>,et d'ailleurs ces détails anecdotiques ne changent rien à l'affaire : si le wagon avait été <<plombé>>(pour ne rien dire du train et du blindage, version cocasse), ce serait tout à l'honneur des voyageurs puisque cela signifierait l'exterritorialité du véhicule. Reproduire les explications et références de ces deux articles allongerait démesurément le présent commentaire. Nous invitons notre correspondant, ainsi que les lecteurs que cette histoire intéresse, à s'y reporter, tout en réitérant notre intention de réserver tôt ou tard aux deux livres de M. Ze1nan un examen approfondi. Mais d'ores et déjà il nous semble que les deux articles mentionnés ont répondu d'avance aux affirrnations de tous ceux qui attribuent une ilnportance démesurée à la <<question d'argent >>et au wagon prétendument <<plombé >>c, omme si le nez de Cléopâtre, <<s'il efit été plus court, toute la face de la terre aurait changé >>.

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