200 Entre autres prévisions explicites, Lénine avait écrit : « Le développement pacifique de la révolution serait possible et probable si tout le pouvoir était remis aux soviets. Au sein des soviets, la lutte des partis pour le pouvoir peut se développer pacifiquement à condition que les soviets soient pleinement démocratiques ... » Et il annonçait des mesures pratiques afin de réaliser « une véritable liberté de la presse pour tous... ». On n'en finirait pas de le citer, comme de citer Trotski disant notamment : « Le pays ne peut être sauvé que par une Assemblée constituante », comme de citer les textes et les résolutions du Parti qui ouvraient, avant Octobre, les perspectives radieuses d'une société vraiment libre, démocratique et égalitaire. Or, sur tous les points sans exception, le régime soviétique a réalisé la négation de ses promesses, l'antithèse absolue de son programme. Entre le coup d'Etat militaire et la dissolution de la Constituante, en moins de trois mois, le parti bolchévik avait pris en pratique le contre-pied de tous ses principes. On ne peut donc tirer argument de la durée, encore moins de la « durabilité » d'un tel « système poli tique », pour justifier ce parti et son régime, pour en inférer que l'un et l'autre ont valeur d'exemple et d'indication quant au « sens de l'histoire ». · Ce qui a duré, ce n'est pas la République des Soviets proclamée en Octobre, c'est un Etat soviétique s~ns soviets réels où le mot a remplacé la chose vidée de sa teneur première, où des soviets factices masquent le pouvoir effectif des parvenus de la révolution. Ce qui a duré, c'est l'emploi de la force allant jusqu'aux pires violences afin de maintenir au pouvoir une minorité résolue à ne reculer devant rien pour perpétuer sa domination sans partage. Il n'y a là d'original, en fait d' « accomplissement », 9e dostijénié, que l'oppression du peuple travailleur par une nouvelle classe privilégiée et l'exploitation de l'homme par l'homme au nom du socialisme et du corn- . mun1sme. Les faits, en revanche, ont pleinement justifié les critiques perspicaces qui déniaient aux social-démocrates bolchéviks toute possibilité · d'instaurer un socialisme authentique dans les conditions russes de l'époque, c'est-à-dire de durer en demeurant fidèles à eux-mêmes. On doit ici rendre justice al;tx quelques compagnons proches· de Lénine qui eurent la clairvoyance de réprouver « la conservation d'un gouvernement purement bolchévik par· les ~ibriotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL moyens de la terreur politique », laquelle devait conduire « à l'établissement d'un régime irresponsable, à la perte de la révolution », et qui accusèrent les dirigeants du Parti de vouloir s'imposer ainsi, « sans compter les victimes en ouvriers et en soldats ». Une coalition des divers partis socialistes que souhaitaient alors Zinoviev, Kamenev, Rykov, Riazanov, Chliapnikov et d'autres eût pacifié la révolution, eût empêché le nouveau pouvoir de verser dans des utopies insensées, eût épargné à la Russie bien des malheurs qui allaient s'ensuivre. Les hommes qui ne croyaient pas à _la durabilité d'un régime strictement bolchévik ne se sont nullement trompés, car ils ne prêtaient pas à leurs adversaires politiques le dessein de durer par une terreur sans fin ni limites. Lénine en personne a longtemps douté de la durabilité de son « expérience ». Obsédé par le souvenir de la Commune dont il se faisait une idée singulièrement _fausse, il commença son rapport au 3e Congrès des soviets~ en janvier 1918, avec autant d'étonnement que de satisfaction, en .notant que les 2 mois et 15 jours écoulés depuis Octobre, c'était « cinq jours de plus que la durée d'existence du pouvoir précédent ( ...) des ouvriers parisiens », lors de la Commune. Par la suite, il s'est maintes fois exprimé dans le même esprit. En 1919, rapporte Hélène Stassova, ex-secrétaire du Parti devenue mémorialiste, « il n'était pas exclu que le Parti fût obligé de rentrer dans la clandestinité » ; en prévision de quoi il · . fallut faire de faux passeports pour Lénine et C1 \ imprimer du papier-monnaie à l'effigie de Catherine II, etc. Bruce Lockhart, ex-consul de Grande-Bretagne à Moscou, atteste qu'au moment du débarquement dérisoire des Alliés à Arkhangelsk (environ 1.200 hommes), les bolchéviks << perdirent la tête et se mirent, dans leur désespoir, à emballer leurs archives. Je vis .Karakhan en pleine crise ; il parlait du bolchévisme comme s'ils fussent perdus. Mais ils ne se rendraient jamais. » Plusieurs fois les communistes se crurent à deux doigts de leur perte, au cours de la guerre civile, preuve que la durabilité précaire du régime ne tenait qu'à un fil. On ne saurait traiter sérieusement de la durabilité en question si l'on fait abstraction des multiples. circpnstances, des causes et des effets qai l'ont rendue possible contre toute raison raisonnable, en particulier contre toute raison « marxiste » en montrant que l'économie politique ·et la morale sociale cèdent le pas à la force _conquérante. · B. Souv ARINE.
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