Débats et recherches RAYMOND ARON ET LA SOCIOLOGIE par Yves Lévy N -ous PROCÉDONS par analyse et par synthèse. Par l'analyse nous purifions et dissolvons les vieux concepts, par la synthèse nous en formons de nouveaux, mieux adaptés à ce que nous enseignent les analyses accumulées. Ainsi va la science, triomphant malaisément de nos préjugés scientifiques - il n'est pas aisé de se débarrasser de la vertu dormitive ou du phlogistique - et non moins malaisément de nos préjugés religieux et moraux, de nos passions nationales ou politiques. Il faudrait sans ·cesse scruter les plus anciens concepts pour voir si c'est à bon droit que, séduits par leurs droits immémoriaux, nous continuons à en faire usage ; il faut éprouver la résistance des plus récents, parés des prestiges de la mode et de l'actualité. Personne peut-être ne s'efforce aussi lucidement, aussi délibérément que Raymond Aron de dissoudre certains concepts chargés de plus de passions que de signification, et de former de nouveaux concepts, mieux en rapport avec l'analyse et l'expérience. Ses analyses et ses synthèses sont toujours très séduisantes. Sontelles aussi toujours parfaitement satisfaisantes ? C'est ce sur quoi l'on voudrait s'interroger ici en se fondant sur divers ouvrages publiés depuis quelques années : les trois volumes qui reproduisent son cours de sociologie des trois dernières années de la IVe République, et ce volume complémentaire qu'est l'Essai sur les libertés *. • I>ix-l1uit lero1u, 11ur ln aociété indwdriclle, l'nrls, Gallimard. coll. ldée1, 1962 • La Lutte de clas,ea, Id., 1964 : Dimocralle ,t totalltarl,me, Id., 1U6:, i E11ul 11urle, liberté,, Parla, Calmann-Lévy, t 965. Nou11 de1lgneron1 ces <11111tre ouvrage-A, dont l'ordre, pur te11 lctlre-11 A, B, C, D. Biblioteca Gino Biancô Ce volume semble annoncé aux dernières lignes de Démocratie et totalitarisme (p. 338, avant la Conclusion) : « Le mot de liberté, écrivait l'auteur, est suffisamment équivoque pour appeler une étude ultérieure. » Tous nos mots sont équivoques, et avant de s'attaquer à celui-là, Raymond Aron s'était efforcé de dissoudre maint autre concept : capitalisme et socialisme, classe, démocratie et quelques autres. Ou tout au moins il s'attachait à en purifier le sens. Et il élaborait ce qu'il nomme (B, 22) « le concept clé de société industrielle ». En matière d'analyse sociologique, nous dépendons pour une bonne part du vocabulaire marxiste : « A notre époque ( ...) la façon de penser marxiste domine un peu partout, même chez les antimarxistes » (B, 162). Ce sont donc les concepts marxistes qu'il s'agit de désagréger. Non sans précautions, car le maître parle - on le discerne souvent aux nuances de son discours - à des étudiants dont il sait que certains sont fortement prévenus en faveur du marxisme. Il faut prévoir leurs objections, ces objections faciles qu'un ronronnement scolastique .fait surgir de façon quasi mécanique. Le maître doit faire sentir démonstrativement qu'il est sans préjugé, que les faits seuls retiennent son attention. Il sera clair alors que si les concepts demeurent vides, c'est qu'aucune réalité ne vient les nourrir. Le marxisme, c'est un système de concepts dont une patiente analyse nominaliste ruine les fondements. Ces concepts fondamentaux qui, débordant du cercle des sectateurs de Marx, sont aujourd'hui, si l'on peut dire, tombés dans le domaine public, Raymond Aron les passe au crible de
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