Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

166 mouvement ouvrier ; leur premier objectif, la « constitution du prolétariat en classe », la « conquête de la démocratie », y est expressément définie comme étant « le même que celui de tous les partis ouvriers ». Quant à leur objectif final, l'abolition des classes ou « l'auto-gouvernement des producteurs », il n'implique nullement le règne du parti unique que le bolchévisme a imposé à titre- de mesure transitoire et que le maoïsme veut perpétuer « pendant dix générations, sinon davantage » 17 • Des germes d'une telle conception, on peut à la rigueur les trouver chez les blanquistes, mais c'est justement sur ce point que le marxisme s'est opposé au blanquisme avec le plus de vigueur. Chez Blanqui, disait Engels en 1874, « il ne s'agit pas de dictature de toute la classe révolutionnaire, du prolétariat, mais de la dictature de la minorité qui a fait le coup de main et qui déjà d'avance s'est organisée sous la dictature ou sous la domination d'un seul ou de quelques-uns ». Mais, pour Engels, ces idées étaient « déjà depuis longtemps vieillies » et ne pourraient trouver d'écho que « chez les ouvriers peu mûrs et impatients ». Aussi se réjouissait-il de voir les émigrés blanquistes « se transformer en une fraction ouvrière socialiste » et accepter « les idées du socialisme scientifique allemand sur la nécessité de l'action politique du prolétariat et de sa dictature en tant que transition à l'abolition des classes et de l'Etat » 18 • Ainsi donc, la « dictature du prolétariat » désigne le contraire de la dictature d'un parti : on voit une fois de plus pourquoi la Commune (où les marxistes ne constituaient qu'une minorité) représentait aux yeux de Marx « la forme politique enfin trouvée de l'émancipation des travailleurs ». De même, la conception blanquiste du parti révolutionnaire ultracentralisé et militairement discipliné se situe aux antipodes de la conception marxienne du parti prolétarien. Tout d'abord, Marx éprouvait une méfiance instinctive à l'égard des conspirateurs ou révolution"naires professionnels, avec leur prétention d'être « les officiers de l'insurrection » et leur foi fétichiste en la toute-puissance de l'organisation. Pour ces « bohémiens d'origine prolétarienne », note Marx en 1850, « la seule condition de la révolution est une bonne organisation de leur conspiration. Ce sont les alchimistes de la révolution et ils partagent le 17. Cf. Débat sur la ligne générale du mouvement com• muniste, Pékin 1965, p. 438. . 18. Engels : La Littérature des émigrés (Il), in W., XVIII, 529; La Question du logement, (III), in W., XVIII, 266. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES désarroi mental, l'étroitesse d'esprit et les idées fixes des alchimistes de jadis 19 • » Dans le même esprit, il a fait interdire en 1871 les groupements secrets à l'intérieur de l'Internationale, même dans les pays où le droit d'association n'existait pas : « Ce type d'organisation, déclara-t-il, contredit le développement d1=1mouvement prolétarien, car ces sociétés, au lieu d'éduquer les ouvriers, les soumettent à des lois autoritaires et mystiques qui entravent leur indépendance et orientent leur conscience dans une fausse direction 20 • » Il n'est pas difficile de comprendre quel était le « type d'organisation » qui avait la faveur de Marx et d'Engels. « Quand nous entrâmes pour la première fois dans la société secrète des communistes, écrivait ce dernier à W. Blos le 10 novembre 1877, nous le fîmes à condition que les statuts écartent tout ce qui pouvait favoriser la foi dans l'autorité. » Lorsque, sept ans plus tard, Engels retrace l'histoire de la Ligue d~s communistes, il insiste longuement sur le fait que « l'organisation de la Ligue était de part en part démocratique avec des cadres élus et révocables ». « Cela seul, conclutil, suffisait pour rendre impossible l'appétit de la conspiration et de la dictature qu'elle requiert 21 • » Ce n'est pas par le « monolithisme » et le culte de l'autorité - individuelle ou collective - des dirigeants que Marx pensait réaliser l'unification politique du prolétariat, mais par la libre confrontation de « toutes les convictions socialistes » : « Aussi les statuts de l'Internationale ne connaissent-ils que de simples sociétés ouvrières poursuivant toutes le même but et acceptant le même programme, programme qui se limite à tracer les grands traits du mouvement prolétaire et en laisse l'élaboration théorique à l'impulsion donnée par les nécessités de la lutte pratique et à l'échange des idées qui se fait dans les sections, admettant indistinctement toutes les convictions socialistes dans leurs organes et leurs congrès 22 • » Ce n'est pas ici le lieu d'évoquer dans le détail la lutte constamment menée par Marx et Engels contre les résurgences du « culte de l'autorité » dans la « secte lassallienne », la mystique bakouniniste de l'élite et, last but not least, dans le mouvement marxiste luimême. Marx, qui attendait la victoire du soda- , 19. Marx : article dans la Nouvelle Gazette rhénane in W., VII, 273. ' 20. Marx : W., XVII, 655. 21. Engels : La· Ligue des communistes, in W., XXI, 215. 22. Marx-Engels : Les Prétendues Scissions dans l' ln(t>rnationale (1872), in W., XVIII, 34. Cf. aussi W., XVIII, 358.

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