Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

E. DEL/MARS pris en main par les tchékistes de l'organisation, laquelle leur interdisait toute action indépendante. Rien, d'ailleurs, n'était négligé pour leur jeter de la poudre aux yeux. Quand, au printemps de 1924, Moukalov, un ami d'Arapov, passa par la « fenêtre » estonienne pour « inspecter » le Trust, on le laissa s'enivrer dans un restaurant au point d'être conduit au poste de police. On le fit libérer et il resta convaincu que le Trust lui avait sauvé la vie. Ayant constaté que l' « inspecteur » était devenu parfaitement inoffensif, les tchékistes montèrent à son intention une série de spectacles : on le fit assister à des services religieux orthodoxes « célébrés clandestinement », on lui fit rencontrer « en cachette » de prétendus officiers supérieurs de l'Armée rouge, etc. Quand Moukalov s'étonna que Zakhartchenko, nièce de Koutiépov, vécût en concubinage avec Radkévitch, Iakouchev, jouant au bigot et profitant de l'ascendant qu'il avait acquis sur le couple, les convainquit de se marier religieusement. On organisa une cérémonie clandestine où Langovoï fit le prêtre, et un banquet présidé par Iakouchev en qualité de parrain. Revenu en Europe, Moukalov resta un fervent admirateur du Trust (pp. 182-83). Quant aux émissaires venus à l'insu du Trust, ils étaient très rapidement capturés par le Guépéou et disparaissaient dans les caves tchékistes. Parfois, pour montrer la puissance du Trust, certains étaient relâchés « sur un coup de téléphone d'une haute personnalité ». Persuadés, tel Démidov-Orsini, agent de Wrange!, de devoir la vie au Trust, ils étaient réexpédiés en Occident, où ils devenaient les meilleurs agents de propagande de l'organisation. Ainsi, Zakhartchenko et son « mari » Radkévitch étaient devenus grands admirateurs de Iakouchev. Ils ne lui reprochaient que son aversion pour le terrorisme. Staunitz et beaucoup d'autres antibolchéviks véritables du Trust partageaient ce grief, mais ils s'inclinaient devant l'interdiction formulée par Iakouchev, Potapov et Zoubov. Cette soif d'action directe rapprochait Staunitz de la nièce de Koutiépov, laquelle devint bientôt sa maîtresse. On s'arrangea pour expédier Radkévitch en Estonie, sous prétexte qu'il buvait trop. A Reval, il ne gênait plus personne. Koutiépov, chef de la R.O.V.S., et son suppléant, le général Miller, présentaient un danger pour le Guépéou, car ils avaient intensifié l'activité de leur Union. On y formait activement plusieurs équipes destinées à être envoyées en Russie. Chacune était composée de Biblioteca Gino Bianco 153 deux ou trois of fi ciers parfaitement entraînés à l'espionnage, au sabotage et au terrorisme. Il était d'autant plus urgent pour le Trust de neutraliser leur activité que la reconnaissance de !'U.R.S.S. par la France, le 28 octobre 1924, avait irrité toute l'émigration blanche et augmenté l'agitation dans la R.O.V.S. Le Guépéou décida d'envoyer à Paris Iakouchev et Marie Zakhartchenko qui devait présenter ce dernier à son oncle. Ils arrivèrent le 6 juillet 1925 et descendirent dans deux hôtels voisins. Le jour suivant, Zakhartchenko amena Koutiépov chez Iakouchev. Le premier contact fut très cordial : - Vous m'avez fait l'honneur de me nommer votre représentant à Paris, mais je me serais contenté d'être un simple membre de votre organisation. Grâce à ma nièce, je sais tout sur votre Trust et je l'admire. - Si vous savez déjà tout, je n'ai rien à ajouter. Je veux vous écouter, vous qui êtes notre appui et notre espoir. - Tout d'abord, j'ai pleinement foi en votre Trust. Je n'admettrai aucune intervention séparée. Nous agirons de concert avec vous. Notre but est de vous procurer des fonds, de vous envoyer nos hommes les plus sûrs. Ici, tout est pourri, tout est moisi, à l'exception de mes gens. Il nous faut dominer l'émigration, gagner au Trust des personnalités importantes. Markov est une vieille baderne sénile. Le grand-duc Nicolas est entouré de canailles : Obolenski soutient Markov, Stahl von Holstein est une vieille loque stupide et Troubetskoï, un sybarite fainéant. Demain, je vous amènerai chez le grand-duc ; vous les verrez vousmême. Quant à nos projets, on peut faire quelque chose chez les Cosaques du Kouban et du Térek. C'est Oulagaï qui doit s'en occuper, ses trois frères restent encore sur place. Mais ce ne sont que de vagues possibilités (...). Quand vous verrez nos capitalistes émigrés, dont il faut arriver à délier les cordons de la bourse, n'appuyez pas trop sur le monarchisme devant le Comité. Ces pourceaux rêvent de se mettre eux-mêmes à la tête de l'Etat. Iakouchev objecta qu'il serait préférable· d'emprunter aux Américains, lesquels se contenteraient d'obtenir des concessions en Russie sans se soucier du régime futur du pays. Koutiépov se rallia aussitôt à cette suggestion. En prenant congé, il embrassa chaleureusement Iakouchev. · Le lendemain, Iakouchev et Koutiépov furent reçus par le grand-duc Nicolas. Notons, dans le compte rendu adressé par Iakouchev au Guépéou : « J'ai souligné que le mécontentement grandit en Russie et que le peuple languit sans un souverain autocrate. Mais le coup d'Etat n'est pas pour demain. Il sera suivi d'une dictature militaire. Ensuite, la M.O.Tz.R. appellera elle-même Votre Altesse, sans consulter Je peuple. Pas d'états généraux, pas de Constituante. Le peup!e, c'est nous, le Trust (rire joyeux du grand-duc). Votre Altesse doit faire semblant d'ignorer notre accord avec les Polonais. Quant aux

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