Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

144 armées dans les steppes de la Volga en donnant à ·Tsaritsyne le nom de Staline'. . A un autre endroit, ce pathos poétique de Fédine s'accompagnait d'une appréciation énergiquem~nt prosaïque : Staline ne fit pas qu'élaborer et proposer le plan stratégique de cette lutte, il ne se contenta pas de le faire adopter. Du commencement à la fin, il en dirigea l'exécution et conduisit la lutte jusqu'à la victotre 10 • Or cette victoire dépassait ·les limites de la défense de Tsaritsyne, ce que Fédine exprime en plaquant' l'accord final : Il y a un peu plus d'un an, Staline défaisait les Cosaques de Krasnov à Tsaritsyne. Mais à présent le mot Staline retentissait sur tous les fronts et acquérait une teneur particulière : c'était celui d'un grand capitaine 11 • Lorsque, à la fin de 1951, parut dans.la Grande Encyclopédie Soviétique (2e édition) le récit de la défense de Tsaritsyne dans l'article consacré à la « campagne de Vorochilov en 1918 », l'exaltation de Staline n'avait pas sensiblement varié dans le ton : Sur proposition de V. I. Lénine, J. V. Staline fut envoyé pour organiser le ravitaillement à Tsaritsyne et il dirigea la défense de la ville dont dépendait la défense de la République soviétique... K. E. Vorochilov amena à Staline dans Tsaritsyne une armée forgée dans les combats... Les troupes qui avaient mené une campagne héroïque constituèrent la base de la nouvelle Xe Armée, à qui fut confiée . la tâche historique de la défense héroïque de Tsaritsyne sous la direction de J. V. Staline et K. E. Vorochilov 12 • CETTE NOTICE sur le génie militaire déployé par Staline dès 1918-19, d'ailleurs assez discrète par rapport aux échantillons qui l'avaient précédée, devait être la dernière. Quinze mois plus tard, le dictateur mourut. Comme on le sait, ses héritiers entreprirent de le déboulonner, entreprise qui ·concernait également ses mérites militaires, son génie de grand capitaine, son « apport » à la science. et l'art militaires. Il faut penser que la mise à bas des mythes pieux qui l'ont grandi sera poursuivie tôt ou tard, malgré les doutes qui se font jour dan~ les hautes sphères quant à l'utilité de la « déstalinisation ». En tout cas, le rôle de Staline dans la défense de Tsaritsyne et dans la guerre civile, gonflé par des flagorneurs; particulièrement dans les années 40, est soumis à révision en U.R.S.S. La falsification pure et simplè est devenue moins· flagrante, et cela vaut la ·peine qu'on s'y arrête. - 9. C. Fédine : Un été extraordinaire, 1,949, pp. 281-82. 10. Id., p. 651. 11. Id., p. 712. 12. G.E.S., 2e éd., 1951. BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL On sait qu'en février 1956, au :xxe Congrès, Khrouchtchev, dans son « discours secret », ouvrit le premier chapitre de la déstalinisation et qu'il a, en particulier, tourné en ridicule la légende du génie déployé par Staline dans la deuxième guerre mondiale. C'est avec sarcasme qu'il parla des romans, des films et des recherches historiques « scientifiques » suivant lesquels Staline avait tout prévu, tout envisagé, élaboré le plan stratégique de « défens~ active », plan qui en réalité amena l'armée allemande en quelques semaines jusqu'aux abords ·de Moscou et de Léningrad. Khrouchtchev n'oublia pas de raconter comment le « stratège génial et prévoyant » avait exterminé à l'avance les cadres supérieurs de l'Armée rouge dans les années 30, décapitant ainsi les forces armées à la .veille du choc avec l'Allemagne. De façon non moins colorée, Khrouchtchev raconta comment Staline avait causé la perte de centaines de milliers d'hommes. pendant les hostilités pour la seule raison qu'il répugnait . à quitter son fauteuil pour aller au téléphone entendre des rapports sur la situation critique au front 13 • Ainsi, un coup était porté au prestige mili- .taire de Staline dans la deuxième guerre mondiale. De là, il n'y avait qu'un pas à faire pour ramener à de plus justes proportions les mérites du dictateur pendant la guerre civile, plus particulièrement au point de départ de sa carrière militaire, la défense de Tsaritsyne. Cela ne se fit pas longtemps attendre. Dans le tome de la Grande Encyclopédie Soviétique (2e édition) mis sous presse en février 1957 (très ·exactement un an après le discours « secret », lequel d'ailleurs n'est toujours pas publié en U.R.S.S.), on présentait une image entièrement nouvelle de la défense de Tsaritsyne, n'ayant plus rien de commun avec aucune des versions f>récédentes : non seulement il n'était fait nulle mention des mérites militaires de Staline, mais son nom même n'était cité qu'en passant, sans . qu'il soit question d'un rôle important joué par lui à cètte époque. . · Il est curieux de constater que dans cette variante, la dernière dans le temps, toute allusion à Trotski, à ses machinations, à ses créatures et à sa ~raîtrise est absente, alors que le rôle de Vorochilov dans la défense de la ville est mis en avant -1:. Si Staline a eu quelques mérites pendant son séjour à Tsaritsyne, il faut , 13. Bertram D. ,volfe : Khrushchev and Stalin's Ghost, New York 1957, pp. 176-180. • A ce moment, Vorochilov fait encore partie du groupe · djrigeant, il n'est pas encore dénoncé comme complice de la fraction dite « antiparti • et il bénéficie d'une version apologétique dont les exagérations seront indubitablement corrigées dans une édition suivante. - N.d.l.R. I

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