Le Contrat Social - anno X - n. 2 - mar.-apr. 1966

E. DEL/MARS mission à Irkoutsk. Son arrestation reste ignorée tant à Moscou qu'à l'étranger. lakouchev peut devenir la clé qui nous ouvrira, à nous tchékistes, l'accès à la M.O.Tz.R. Bien entendu, cela dépend de Iakouchev lui-même. Il lui fa11t déclarer une guerre secrète, une guerre à mort à ses compagnons (pp. 19-20). Mais une trahison de cette sorte demande naturellement à être parée de couleurs idylliques. Un agent provocateur soviétique se doit d'être entouré d'une auréole humanitaire et héroïque. Nikouline fait dire à Dzerjinski : - Iakouchev doit en même temps nous aider à libérer de l'emprise de nos ennemis les hommes hésitants, entrés par hasard dans la M.O.Tz.R. Ni Iakouchev ni les tchékistes qui réussiront à pénétrer dans cette organisation ne doivent en aucun cas prendre part aux actes contre-révolutionnaires (...). Mais en même temps, ils doivent donner l'impression d'être des monarchistes confirmés. Pareil travail exige de l'intelligence, de la maîtrise de soi, de l'audace et de l'ingéniosité. En se camouflant adroitement, il faut pénétrer très profondément dans le camp des ennemis, attiser leur méfiance réciproque, fomenter parmi eux des soupçons mutuels, provoquer des discussions et altercations. Nous savons ce qui se passe à l'étranger : disputes incessantes, querelles acerbes entre les. émigrés blancs. Il faut leur fournir astucieusement le plus de matières combustibles à cet effet, susciter la haine entre eux (p. 20). Le chef du Guépéou, « l'homme au cœur d'or » qui « restait profondément humain en signant les condamnations à mort des ennemis qui n'avaient pas déposé les armes » (p. 285), . . . , termma ams1 son expose : - Le travail que nous accomplissons est indispensable au prolétariat. Tout en exterminant le mal, nous devons toujours songer au temps futur où le mal n'existera plus sur terre. Shakespeare a dit dans Hamlet : « Pour être bon, je dois être cruel » (p. 21). De tout temps, les inquisiteurs n'ont jamais tenu d'autre langage. Dans son livre, Nikouline exalte les belles qualités de Félix Dzerjinski, son amour de l'homme, sa capacité infaillible de distinguer la vérité du mensonge, la sincérité de l'hypocrisie. Si Dzerjinski décelait la tromperie dans le dossier d'un accusé dont il devait trancher le sort, il était sans merci. Nikouline offre ainsi aux Soviétiques une figure idéalisée conforme à l'éloge funèbre rédigé par le Comité central du Parti au lendemain du décès de Dzerjinski survenu le 20 juillet 1926 : Dzerjinski était la terreur de la bourgeoisie, le paladin fidèle du prolétariat, le constructeur inlassable de notre industrie, un travailleur infatigable et un combattant intrépide ... (pp. 284-85.) LE CHOIX d'Alexandre Iakouchev pour le rôle principal dans cette subtile machination tchékiste fut particulièrement heureux. De petite noblesse provinciale et sans Biblioteca Gino Bianco 71 fortune, Iakouchev avait pourtant fait ses études secondaires au très aristocratique lycée impérial Alexandre, à Tsarskoïé-Sélo. Après avoir obtenu son diplôme, Iakouchev y était demeuré pendant trois ans en qualité de surveillant d'études. Ce poste modeste lui avait permis de se faire de nombreuses relations parmi les parents d'élèves, souvent très haut placés dans la hiérarchie administrative. Intelligent, doué d'entregent, il était entré ensuite au ministère des Voies et Communications où il avait gravi rapidement les échelons. En 1917, il était directeur du service de l'exploitation à la Direction des voies fluviales, avec le titre de conseiller effectif d'Etat, ce qui lui valait un traitement fort convenable, un appartement officiel et le droit au titre d'Excellence, son grade équivalant à celui de général de brigade. La révolution d'Octobre balaya tout cela. Comme tant d'autres ci-devant, Iakouchev fut pris de rage : De quel droit lui avait-on supprimé sa situation mondaine, son avenir brillant, son grade de général, son appartement de service si commode, brisé une carrière qu'il avait mis des dizaines d'années à édifier, détruit le régime auquel toute sa vie était attachée ? (p. 11). En 1919, le pouvoir soviétique paraissait vivre ses derniers jours. Le général Ioudénitch avançait vers Pétrograd, le général Miller vers Vologda, Koursk et Orel étaient aux mains du général Koutiépov. Iakouchev entra dans une organisation clandestine qui préparait un soulèvement contre les bolchéviks. Mais la Tchéka démantela l'organisation. Craignant d'être arrêté, Iakouchev partit s'installer à Moscou, où il était moins connu. Il y vivait dans ]'oisiveté, en vendant son argenterie. Un jour, il rencontra par hasard le général Potapov qu'il avait bien connu avant la révolution. Celui-ci s'était rallié aux bolchéviks dès novembre 1917 et travaillait à l'état-major de l'Armée rouge. Il s'étonna que Iakouchev, avec ses connaissances et ses aptitudes, n'ait pas d'emploi. Quelques jours plus tard, un jeune homme en veste de cuir 6 vint inviter Iakouchev à rendre visite à un personnage haut placé. Iakouchev n'y alla pas, mais une semaine plus tard, deux autres « vestes de cuir » vinrent le chercher et l'emmenèrent en automobile : « J'ai été reçu fort aimablement. On m'a dit que mes états de services, mes connaissances et mes aptitudes d'organisateur, qui sous le tsar ne pouvaient être suffisamment mises en valeur, étaient bien connus. On m'a affirmé que mes convictions de « nationaliste russe » étaient également bien connues et que je ne 6. Tenue des tchékistes à l'époque.

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