Le Contrat Social - anno X - n. 1 - gen.-feb. 1966

W. KOREY socialistes avaient « invité les travailleurs à suspendre la lutte de la classe ouvrière », accordé « aux classes dirigeantes les crédits leur permettant de continuer la guerre », et offert à leurs gouvernements des ministres socialistes « comme otages garantissant l'union sacrée... ». La solution offerte par le manifeste était u~e :7er~ion reflétant l'opinion de la majorité. L ob1ect1f fondamental de la classe ouvrière devait être la « lutte pour la paix ( ...), une paix sans ~nnexions ni indemnités ». Il n'y était pas question de mesures extrêmes, et le manifeste ne soufflait mot ni de la guerre civile ni de l'i~tensification de la lutte des classes, que ce soit sous forme d'action parlementaire ou de grèves. Aucune allusion non plus à la fondation d'une nouvelle Internationale ; en fait, le manifeste parlait de la nécessité de « renouer les liens rompus » qui avaient naguère uni les travailleurs. Cependant, d'importantes concessions avaient ét!. f~i!es à la gauche. Outre qu'il adoptait la def1n1t1onde la guerre selon Lénine, le manifeste ne cachait pas que l'Internationale ·socialiste avait éludé ses responsabilités, précisant les manquements au devoir commis par les divers partis socialistes (par exemple vote des crédits de guerre, participation à des 'ministères de coalition). Par cette critique acerbe, le manifeste préparait le terrain pour la fondation d'un mouvement international plus actif. Enfin, quoique de manière non explicite, il répudiait la paix civile en faveur d'une lutte active pour mettre un terme aux hostilités. Si la gauche zimmerwaldienne avait obtenu gain de cause sur certains points, elle était cependant loin d'être satisfaite. Dans une déclaration, ce groupe fit observer que le manifeste était entaché d'un « opportunisme recouvert de phrases extrémistes ». Et de plus ne donnait « aucune précision sur les moyens de lutter contre la guerre » l'.?. En dépit de tout, la gauche accepta le manifeste et le vota à l'unanimité (mise à part l'abstention du socialisterévolutionnaire V. Tchernov, motivée par le fait que le texte ne faisait aucune allusion à son sujet favori, le socialisme agraire). La façon dont Lénine explique le vote favor~bl~ de la gauche zimmerwaldienne est significative. Sachant que son groupe n'était encore qu'une minorité, il estimait que c'eût été une « mauvaise tactique militaire que de refuser de "!archer avec le mouvement international grandissant de protestation contre le social-chauvi12. Sotalal-Demokrat, 13 oct. 1915, p. 2. Biblioteca Gino Bianco 57 . , n1sme sous pretexte que ce mouvement est lent ». Il craignait visiblement de s'isoler d'un courant pacifique au début de son développement. Le m_anifeste, faisait-il observer, avec toutes ses faiblesses, n'en est pas moins un « pas en avant », et ce serait du « sectarisme de notre part de refuser de faire ce pas en ava~t e?semble », avec les autres délégués, en particulier puisque « nous gardons toute notre liberté ( ...) de critiquer l'inconséquence et de nous efforcer d'atteindre de plus grands résultats » 13 • Forte de cette liberté, la gauche travaillerait « patiemment », expliqua Zinoviev, l'alter ego de Lénine, jusqu'à ce que « tous les socialistes honnêtes s'écrient avec nous : la deuxième Internationale est morte, rongée par l'opportunisme. Vive la troisième Internationale, délivrée de l'opportunisme- 14 ! » LES CHINOIS,eux aussi, ont jusqu'à présent évité de fonder formellement une nouvelle Internationale maoïste. Comme la gauche zimmerwaldienne, ils ont accepté l'actuelle charpente commune du mouvement communiste international, en se considérant eux-mêmes aujourd'hui comme une « minorité temporaire » 15 • Mais il est parfaitement clair qu'ils entendent continuer à défier le « révisionnisme » soviétique jusqu'à ce que leur point de vue ait rallié la majorité. Le mouvement communiste dominé par les Soviétiques a répondu en qualifiant de « radicalement fallacieuse » la thèse chinoise suivant laquelle la majorité du mouvement communiste mondial est dans l'erreur, comme s'il existait une minorité détentrice de la vérité marxiste-léniniste qui deviendrait, avec le temps, . . , une ma1orite. . La vigueur de la réaction signifie assurément que Moscou a en mémoire que les représentants de la gauche zimmerwaldienne, minoritaire à l'époque, finirent par déclarer - en mars 1919 - que la coalition de Zimmerwald « avait vécu », ce gui autorisait la gauche à reprendre sa liberté et à s'absorber dans la IIJC Internationale. Les signes prouvant que Pékin s'efforce de devenir le centre doctrinal de la révolution mondiale ne peuvent que renforcer l'avertissement que constitue ce précédent historique. WILLIAM KOREY. (Traduit de l'anglais) 13. Ibid., 11 oct. 1915, p. 2. 14. G. Zinoviev : Œuvre.11, vol. V, p. 225. 15. Le concept est élaboré dons le Quotidien du Peuple (Pékin), 15 déc. 1962. Ln thl-se prosovlétlque !IC trouve dnns la Nouvelle Revue internationale (Parla), n° 2, 1963, p. S.

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