Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

B. SOUVARINE savoir si la rente foncière doit subsister après la socialisation des terres. Les survivants de cette époque alors présents à Moscou, peu nombreux aujourd'hui, les ont entendus constater à regret que la réponse ne se trouve pas dans Marx. Il est arrivé à Lénine, à propos de problèmes inattendus « posés par la vie » et en conflit avec les schémas du catéchisme pseudomarxiste, de dire à ses disciples que Marx n'ayant rien écrit là-dessus, il faudrait trouver les solutions sans son aide. La perplexité au sujet de la rente foncière explique assez pourquoi les « orphelins » de Lénine (expression de Zinoviev) ont mis si longtemps à qécouvrir la rentabilité des entreprises comme l'un des indices d'une gestion économique saine et rationnelle. Thomas G. Masaryk n'a pas eu tort de remarquer, dès 1920, que les bolchéviks « ont cherché et trouvé des choses depuis longtemps existantes et connues » et qu'il n'est guère de domaine où ils ne doivent « redécouvrir l'alphabet ». La rentabilité des entreprises est donc à l'ordre du jour, avec ses corollaires qu'impliquent la notion complexe de profit et l'économie de marché, depuis que le professeur Liberman a été mandaté en 1962 pour exposer ses vues en public, les académiciens Nemchinov et Trapeznikov abondant diversement dans le même sens. Cela se passait du temps de Khrouchtchev et il est hors de question que ce fût possible sans décision prise en haut lieu. Il a donc fallu trois ans d'études et de débats dans les organes économiques supérieurs pour préparer les délibérations du Comité central de septembre. On voit là une fois de plus que les réformes de cette envergure ne jaillissent pas toutes prêtes du cerveau de tel ou tel politicien dirigeant, mais résultent de laborieuses recherches et consultations contradictoires entre spécialistes et techniciens dont les conclusions trouvent en Khrouchtchev hier, en Brejnev et Kossyguine aujourd'hui, différents interprètes. Ici encore un rappel s'impose : lors de la nep dès ses débuts, un vocable nouveau s'introduisait dans le langage des bolchéviks et devenait leitmotiv chez leurs économistes, celui de khozrastchott, signifiant à peu près : équilibre du bilan, autofinancement et rendement de l'entreprise. A présent c'est encore de khozrastchott qu'il s'agit avec quarante-cinq ans de retard pour le réaliser « sérieusement et pour longtemps » et avec les implications multiples qu'il comporte ou que l'expérienceenseigne : tauxde l'intéretrémunérantles investissements, calculdes prix de revientet des amortiss~ments, opbations de aédit, correctifs et stimulants Biblioteca Gino Bianco 271 fiscaux, rapports avec les fournisseurs et avec le marché, marge d'autonomie accordée aux directeurs, intéressement des travailleurs, pour n'évoquer brièvement que les principales. Le Plan d,Etat demeure tabou et la décentralisation décrétée sous Khrouchtchev (suppression de nombreux ministères économiques et création des sovnarkhozes régionaux) est abolie; mais le centralisme économique avait été dûment condamné par le Comité central comme bureaucratique et stérilisant, comme la cause de tous les maux qui retardent la prospérité matérielle. On y revient, pourtant, à la centralisation, et l'on reconstitue en hâte les ministères supprimés, on en crée même d'autres ; or ce processus était déjà commencé avec Khrouchtchev sous forme de Comités d'Etat, pseudonymes de ministères. Chaque réforme, jusqu'à présent, s'accompagne d'un surcroît de bureaucratie et rien ne dit que tout doive décidément changer pour le mieux. Si le Plan et le marché sont en conflit, si les plans particuliers divergent du plan d'ensemble, si les exigences des consommateurs déjouent les prévisions financières, si les avantages accordés aux producteurs provoquent la hausse des prix, la raréfaction des marchandises, la dépréciation de la monnaie, ce ne sont que nouvelles contradictions et difficultés en perspective. 0 N CONÇOIT que le Parti ait hésité, réfléchi et discuté pendant trois ans avant de s'engager dans la voie tracée par le dernier Comité central. Jusqu'à l'adopti~n imprudent_eet tonitruante de son nouveau programmemanifeste de 1961, le Parti a pu donner le change, les apparences économiques ont été plus ou moins sauvées (en chiffres absolus) par une série de tricheries qui abusaient le public au-dedans comme au-dehors. Il a longtemps triché sur la valeur de la production en chiffrant arbitrairement les prix. Il a ttiché ensuite sur les quantités, en poids ou en volume, en comptant comme normaux des produits deux ou trois fois trop lourds. Il a triché encore en admettant que les matériaux d'un même objet soient évalués ensemble et séparément pour grossir les additions. Il a triché constamment en regardant. comme conforme au plan ce qui était obtenu au moyen de tricheries particulières appelées couramment blat en argot, c'est-à-dire le débrouillage illégal procurant des bénéfices occultes et personnels. Il a toujours triché en inscrivant dans ses statistiques d'innombrables déchets et rebuts. En fin de compte il a réalisé

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