Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

Matériaux d'histoire LETTRE OUVERTE A STALINE par F. Raskolnikov ON SAIT que tous les compagnons de Lénine lui ayant survécu ont péri, de par la volonté terroriste de Staline, dans les pires souffrances morales et physiques. A de rares exceptions près, mais il s'est avéré que Staline s'apprêtait à parachever cette extermination quand la mort est venue le surprendre. Il suffit de pointer la liste des membres du Comité central du Parti, du Conseil des commissaires du peuple, du Comité exécutif des soviets, des Congrès du Parti jusques et y compris le dix-septième, pour se rendre compte de l'hallucinante hécatombe accomplie, sans précédent sous aucun régime. Ces hommes, dont on ne veut pas ici juger les responsabilités passées, pour ne voir en eux que des victimes de leur « système » et du maître qu'ils s'étaient donné, sont morts sans avoir pu se défendre, sans pouvoir faire entendre un cri de détresse, sans laisser de témoignage pour l'histoire. Quelques-uns d'entre eux seulement, soumis par des méthodes inquisitoriales, l'âme broyée par les tourmenteurs du Guépéou, ont été exhibés aux fameux « procès en sorcellerie » de Moscou pour y réciter des auto-accusations insensées, pour proclamer l'invraisemblable, pour réclamer la peine capitale comme une faveur. Les héritiers de Staline, eux-mêmes, n'osent plus authentifier ces paroles délirantes, qui attestent seulement l'horreur des moyens employés pour arracher de faux aveux aux acteurs de ces tragédies pitoyables. Mais est-il possible que rien ne subsiste des ultimes pensées véritables de ces martyrs du stalinisme ? Ceux d'entre eux qui, in extremis, ont entrevu leur destin, n'ont-ils pas mis en lieux sûrs, ou qu'ils croyaient s-Grs, des papiers révélateurs qui, en d'autres temps, verront le jour? Il est certain que le Guépéou, dirigé personnellement par Staline, a dQ exiger 'd'eux tous les papiers possibles, en khangc de promesses qui n'ont pu éû tenues. Il n'est pas certain que tous ces papiers aient été rkupérés et soient dans les archives du Guép&,u. En tout cas, ces archives existent et nul ne ,ait si elles ont été expurgées, si leur acœs sera ouvert aux hiltorielll de l'avenir. Biblioteca Gino Bianco Or, il s'est trouvé à l'étranger un bolchévik éminent qui, sur le point de rentrer à Moscou en 1938 et de se livrer inconsciemment aux bourreaux, s'est ressaisi à 1a dernière minute et, comme Lénine et tant d'autres sous l'ancien régime, a choisi la liberté dans l'exil. Il s'agit de Fédor Fédorovitch Raskolnikov (lline), qui fut vice-président du Soviet de Cronstadt, prit une part active au coup d'Etat d'Octobre, devint commissaire à l'état-major de la Flotte, puis vice-commissaire du peuple à la Marine, commandant de la flotille sur la Volga, membre du Conseil révolutionnaire de la Guerre sur le front oriental, plus tard commandant de la flotille sur la Caspienne et ensuite commandant de la flotte sur la Baltique. En 1920, il partit comme plénipotentiaire en Afghanistan. En 1924, il dirigea la principale revue littéraire, Krasnaïa Nov. Jusqu'en 1930, il assume les plus hautes fonctions dans l'administ\ation soviétique des arts et des théâtres. Il est nomfé ensuite plénipotentiaire en Estonie et il était ambassadeur à Sofia quand Staline, en 1938, le fit rappeler pour le déshonorer et le supplicier. Réfugié en France, où par pure coïncidence le théâtre de la Porte-Saint-Martin représentait à Paris sa tragédie : Robespierre, il apprit en 1939 que la Cour suprême de Moscou aux ordres de Staline l'avait classé << ennemi du peuple » (sic) et condamné à mort, ce qui provoqua sa protestation digne et sans espoir. Un mois après, il réagit sous forme d'une Lettre ouverte à Staline qui, reproduite seulement dans la presse russe de l'exil, n'eut guère d'écho dans le monde. La suprême trahison de Staline, le pacte avec Hitler, lui causa une fièvre cérébrale dont il mourut à Nice, le 12 septembre 1939. Un quart de siècle plus tard, la revue officielle Voprossy Istorii KPSS, n° 12 de 1963, rendait publique la « réhabilitation » de F. Raskolnikov en annonçant sa reintégration posthume dans le Parti et dans la citoyenneté soviétique. Nous reproduisons ci-après sa Lettre ouverte à Staline et sa dklaration antérieure : Comment on a /ait dt moi un « ennemi du peuple », à titre de documentation historique.

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